Oyster Factory est le sixième film du documentariste japonais Soda Kazuhiro, qui s’était notamment fait connaître en France pour son formidable diptyque Campaign et Campaign 2 (2005 et 2011) présenté au Festival de Kinotayo.
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Ushimado, préfecture d’Okayama. La culture des huîtres constitue traditionnellement le pilier économique de la ville. Mais les locaux sont de moins en moins nombreux, le métier est difficile, et la main-d’œuvre de plus en plus rare. A l’exemple d’autres employeurs ostréicoles, Watanabe, récemment venu de Fukushima, décide d’embaucher des travailleurs chinois. Chacun va devoir s’adapter…
On retrouve dans Oyster Factory cette approche singulière de « film d’observation » inspirée des grands documentaristes tels que Frederick Wiseman. Pour ce faire, Soda se fixe avant chaque tournage une dizaine de règles visant à réduire au maximum l’interventionnisme sur les sujets et situations observés, tant dans le cadre du tournage que lors de la postproduction avec l’absence de musique et de voix-off. Loin d’être des contraintes, ces règles mènent au contraire à une vraie liberté où le fil conducteur se révèle progressivement au gré des découvertes, confidences et événements se déroulant sous la caméra du réalisateur.
Ainsi, au départ Soda était venu filmer le quotidien de M. Hirano, pêcheur installé au sein de la région Ushimado dans la préfecture d’Okayama. Découvrant que ce dernier possède une usine d’huître, il va s’y attarder afin de scruter dans le détail toute l’organisation des lieux. De cette attention sur la répétitivité et le soin des gestes des travailleurs, des codes de ce microcosme, Soda tire un regard sur l’histoire passée et contemporaine du Japon. Pour le passé, c’est cet ouvrage resté très artisanal malgré les outils modernes tant dans la pêche que la culture des huîtres. L’âge mûr de M. Hirano et des autres dirigeants d’usines suivis et la relève absente de leurs enfants expriment pourtant un déclin dû à l’exode rural, mais aussi des maux où se confondent à nouveau passé et présent. Le spectre de Fukushima plane dans cette disparition du métier, notamment due à une raréfaction des zones de culture du fait des irradiations. Cette survivance tient à l’attachement de travailleurs qui ne savent rien faire d’autre, tel ce protagoniste ayant quitté en vain sa région d’origine pour Tokyo avant de reprendre son métier à Ushimado.
Le futur incertain ramènera aussi au présent avec un flambeau impossible à transmettre, si ce n’est aux travailleurs étrangers. L’ardeur de la tâche se ressent bien sûr par les longues descriptions des différentes étapes, mais aussi par cette séquence où l’on apprendra qu’un des travailleurs chinois n’a pas supporté cette difficulté. Le dédain et la moquerie qu’expriment les Japonais à ce moment révèlent donc un dépit à voir cette culture de l’effort se perdre ainsi qu’un relatif racisme expressément affirmé par un autre protagoniste japonais. Les sentiments seront ainsi constamment contradictoires : l’amour du métier et son rejet par les nouvelles générations, ce même rejet raciste se confrontant à un vrai plaisir de la transmission, du rapprochement culturel et de l’apprentissage dans le long final où de jeunes Chinois sont initiés – les codes du travail transcendant le fossé de la langue et des cultures antagonistes. Sur la forme, Soda amène une fluidité sans artifice où il semble effectivement toujours rebondir sur les éléments qu’il découvre et construire la progression du récit en fonction, de manière spontanée. Cette nature d’observateur extérieur ne signifie pas une absence de sa part, les réactions amusées et/ou surprises des travailleurs face à cette caméra curieuse et envahissante étant nombreuses. Soda n’hésite pas à interagir et, par sa bonhomie, à susciter quelques confessions, notamment lors d’une conversation chaleureuse avec l’épouse d’un ouvrier. De même, l’autorisation pour obtenir de filmer les nouveaux travailleurs chinois est vécue « en direct » dans une parfaite transparence. Loin d’aborder une forme uniquement brute et austère, le réalisateur ose d’ailleurs une vraie fantaisie à l’ensemble, que ce soit par l’interaction évoquée avec les sujets ou une certaine poésie dans les pérégrinations d’un chat facétieux. Une belle réussite qui achève de faire de Soda Kazuhiro un des plus grands documentaristes en activité.
Justin Kwedi.
Oyster Factory de Soda Kazuhiro. Japon. 2016.
Présenté au 11ème Festival du Cinéma Japonais Contemporain Kinotayo.