Avec son documentaire Madame B. Histoire d’une Nord-coréenne, Jero Yun suit le parcours de Madame B, évadée de Corée du Nord, vendue de force à un paysan chinois et dont le but est de rejoindre sa famille en Corée du Sud. Un sujet difficile traité avec brio par ce jeune réalisateur sud-coréen, à découvrir en salles le 22 février.
Il existe plusieurs documentaires sur les réfugiés nord-coréens. On peut citer Kimjongilia de N.C. Heikin (2009) et Camp 14: Total Control Zone de Mark Wiese (2012). Ces films donnent la parole à des Nord-Coréens déjà réfugiés au Sud et qui ont souvent passé plusieurs années dans des camps de rééducation. L’oeuvre de Jero Yun se démarque de ce type de documentaires : il a en effet suivi Madame B. à travers son périple clandestin de la Chine vers la Thaïlande pour être expatriée vers Séoul. Un périple éprouvant et dangereux, avec la menace pour les Nord-Coréens d’être arrêtés par la police et ramenés en Corée du Nord.
Jero Yun a rencontré son personnage à l’occasion de son précédent long-métrage, Looking for North Koreans (2013), déjà consacré à l’univers clandestin des Nord-Coréens en Chine, entre passeurs, trafiquants de drogue et réseaux de prostitution. Un univers cruel et violent car le passage en Chine est loin d’être une délivrance. Les Nord-Coréens doivent vivre dans la clandestinité et se cacher de la police chinoise et des espions nord-coréens. Pour les femmes, la prostitution ou le mariage forcé sont souvent la règle. C’est le cas de Madame B., mariée à un paysan chinois. Pour gagner de l’argent, elle en arrive même à trafiquer de la méthamphétamine (40 grammes tout au plus, selon ses dires), jouer la mère maquerelle et devenir passeur ! De quoi gagner suffisamment d’argent pour rejoindre ses enfants et son mari coréen à Séoul. Pour ce faire, il faut rejoindre Bangkok en quatre ou cinq jours, en passant par le Laos. Un accord signé entre la Thaïlande et la Corée du Sud permet aux Nord-Coréens arrivant jusqu’à Bangkok de rejoindre Séoul.
Dans la première moitié du documentaire, Jero Yun filme donc les derniers jours de Madame B. avec sa famille chinoise. La tension est palpable d’autant que Madame B. possède un fort caractère alliant éternel optimisme et colère foudroyante. Face à la situation clandestine, la caméra se fait discrète. On imagine bien pourquoi. Dans le dossier de presse, le réalisateur témoigne : “Durant le périple, j’ai filmé tout ce que je pouvais filmer, mais dans certaines situations, c’était impossible. Un passeur laotien, notamment, avait un visage qui ne m’incitait pas à sortir la caméra. Quand je suis arrivé en Thaïlande, je ressemblais à un clochard. Sur place, je me suis fait contrôler quatre fois par les autorités, tant ma situation de clandestin était évidente.” Ironie du sort : alors que Madame B est transférée à Séoul, Jero Yun est expulsé de Thaïlande vers la France pour être entré clandestinement dans le pays.
Après une ellipse de dix mois, Jero Yun retrouve Madame B et sa famille à Séoul. Le moins qu’on puisse dire est que tout cela ne respire pas le bonheur. La seconde partie du film décrit un phénomène moins connu : la difficile intégration des Nord-Coréens. Soupçonnés d’être des espions, les Nord-Coréens passent des mois à répondre à des interrogatoires et à se faire battre par les services de renseignement, un processus récemment décrit dans The Net de Kim Ki-duk. Les Nord-Coréens sont généralement considérés comme des étrangers ou une menace. Une situation paradoxale que montre Jero Yun en interrogeant les enfants de Madame B, des lycéens qui racontent leurs interrogatoires et leurs passages à tabac. Des vies brisées. Comme l’explique Jero Yun : “Les documentaires traitant de la situation coréenne, souvent réalisés par des Occidentaux, présentent une Corée du Nord monstrueuse et une Corée du Sud démocratique. Parfois ces films s’intéressent même uniquement à la Corée du Nord et leur propos manque souvent de nuance. En tant que Sud Coréen, je voulais montrer un autre point de vue. À travers l’histoire de cette femme, il est manifeste que la séparation des deux Corées crée du malheur, à cause d’une frontière créée par la force et dont les conséquences durent. » Un discours qui a de quoi choquer en Corée du Sud, mais qui montre tout l’intérêt du travail de Jero Yun sur l’identité coréenne, pour le moins schizophrène.
Madame B a été récompensé du Prix du meilleur documentaire au Festival international du film de Moscou et au Festival international du film de Zürich. Gageons que d’autres prix émailleront la carrière de Jero Yun.
Madame B. Histoire d’une Nord-Coréenne de Jero Yun. Sortie le 22 février 2017.