Après une présentation à la dernière édition du festival de Toronto, c’est au festival Black Movie de Genève que nous avons pu découvrir le dernier film du célèbre réalisateur Kim Ki-duk, The Net. Un film différent d’un réalisateur plus discret et presque assagi, souffrant cependant d’un manque de moyens évident.
Ce qui est drôle avec Kim Ki-duk, c’est que l’on ne sait jamais sur quoi on va tomber : le bouddhiste apaisé de Printemps, été, automne, hiver… et printemps ou le réalisateur expérimental ultra-violent de Moebius ? Et bien, ni l’un ni l’autre, puisque c’est avec un drame personnel et politique assez classique qu’il nous revient. A travers l’histoire plutôt simple de Nam Chul-woo, pécheur nord-coréen se retrouvant par un concours de circonstance au Sud et passant ainsi pour un espion aux yeux des deux pays, Kim Ki-duk va dresser des portraits en écho de ces deux pays idéologiquement opposés et de leurs systèmes administratifs.
Là est le principal intérêt du film : en traitant en deux parties distinctes ces deux systèmes idéologiquement opposés mais relativement identiques dans leurs buts et leur manière de faire, il permet au spectateur de se rendre compte du peu de différence entre les deux pays dans la guerre qu’ils se font. Lorsque Nam Chul-woo arrive à Séoul, il est accueilli par un agent sud-coréen du service de contre-espionnage et, sûr et certain d’avoir affaire à un espion, il force Nam Chul-woo à écrire encore et encore les événements qui l’ont mené à arriver en Corée du Sud dans l’espoir de trouver un détail l’inculpant. Quand Nam, dans la dernière partie du film, parvient à rentrer en Corée du Nord, c’est la même torture que lui feront subir les soldats nord-coréens afin de vérifier qu’il n’a pas été « retourné ».
Ainsi, The Net traite aussi de la violence avec laquelle sont souvent traités les prisonniers politiques, aussi bien au Nord qu’au Sud. Séparé de sa famille et ne voulant rien d’autre que retourner auprès d’eux, Nam Chul-woo est pourtant malmené par les agents sud-coréens qui tentent sans arrêt de lui faire avouer des crimes qu’il n’a pas commis, allant même jusqu’à user de la violence, physique comme psychologique. Même innocenté, il sera soumis à d’autres tortures, le gouvernement refusant de le renvoyer dans son pays d’origine et lui imposant presque un retournement, l’exposant de force aux richesses sud-coréennes afin de le convaincre de rester. Ce traitement peu manichéen et résolument nihiliste est la force du film. Sud, Nord, peu importe tant chacun est certain de sa supériorité et tant la méfiance d’un pays pour l’autre prend plus d’importance que la vie et le bien-être de ses citoyens.
Si le scénario se révèle ainsi intéressant par ses multiples facettes et cette vision inédite du conflit coréen, c’est dans la mise en scène et dans la post-production que le bât blesse. C’est bien connu, Kim Ki-duk n’est pas aimé sur sa terre natale et a de plus en plus de mal à financer ses productions. Si Moebius ou Pieta réussissaient à s’en sortir correctement, The Net ressemble visuellement à un téléfilm du début des années 2000. La réalisation tout comme la lumière ou les décors sont plats, vides et sans grand intérêt. A l’exception d’une petite incartade dans les rues de Séoul, la quasi entièreté du film se passe dans des bureaux, devant des murs unis et face à des tables en métal froides et peu avenantes. The Net ne se paye même pas le luxe d’être laid, car il est simplement oubliable voire inexistant d’un point de vue visuel.
Même si au niveau du jeu d’acteur Ryoo Seung-bum, frère du réalisateur Ryoo Seung-wan déjà vu dans Crying Fist, est excellent dans le rôle principal, le reste du casting ne lui arrive pas à la cheville. Kim Young-min notamment, pourtant un habitué du cinéaste (il a joué dans One on One ou Printemps, été, automne, hiver… et printemps) est ici absolument ridicule dans le rôle de l’inspecteur sud-coréen et semble réduire son rôle à un ensemble de cabotinages malvenus. The Net n’est pas un mauvais film, et il aurait pu même en être un très bon s’il était sorti il y a dix ou quinze ans. Mais sans renommée ni estime de ses pairs, Kim Ki-duk ne peut pas réunir le budget nécessaire pour donner libre cours à sa vision. Résultat ? Un scénario excellent transformé en film oubliable et franchement pauvre du point de vue de la mise en scène. Dommage, car le potentiel était là.
Elias Campos.
The Net de Kim Ki-duk. Corée du Sud. 2016.
Présenté au 18ème Festival Black Movie à Genève. Plus d’informations ici !