C’est à Tokyo, dans le quartier de Harajuku, et plus précisément au Watari Museum, où une exposition lui est consacrée, que nous accueille Sono Sion. Son dernier film, le fabuleux The Whispering Star tout juste sorti dans les salles nippones, vient de clore sa folle saison 2015-2016. Nous en avons profité pour lui parler de ce film, mais aussi de la direction artistique prise par ses derniers films, de l’état du cinéma japonais et de ses projets futurs.
En ce moment, un documentaire est en salles sur votre carrière, produit par la Nikkatsu. Pouvez-vous nous parler un peu de ce film ?
C’est le fils de Oshima Nagisa, Oshima Shin qui a décidé de faire un documentaire sur moi. Il y a deux ans, une émission à la télé m’a été consacrée. Après avoir vu cette émission et l’avoir trouvée assez incomplète, Oshima Shin a décidé de me suivre pendant deux ans, y compris pendant le tournage de The Whispering Star dans le but de sortir un film sur ma carrière.
On pourrait diviser votre oeuvre en trois parties : les débuts expérimentaux, le début de la popularité grâce à un cinéma restant tout de même très sombre, de Suicide Club à Himizu, et à partir de The Land of Hope, une oeuvre plus apaisée, lorgnant parfois vers un cinéma très accessible. Quel a été l’élément déclencheur de cette troisième phase ?
Je n’ai pas l’impression de changer de style depuis mes débuts… Ce qui influence majoritairement mes films c’est mon entourage et mon état d’esprit du moment. Qu’un film ait du succès ou soit un échec, ça m’est égal, je continuerai à faire ce que j’ai envie de faire sans chercher à changer de ton volontairement. Je ne me dis pas « la prochaine fois je vais changer« . Je laisse mes idées suivre leur cours. En ce moment, je prépare d’ailleurs un film qui ressemble beaucoup à mes débuts expérimentaux.
Le dyptique Himizu/The Land of Hope est un point très important de votre filmographie, montrant le même sujet avec un point de vue et un traitement très différents. Pourquoi avoir choisi cet exercice de style ?
Himizu était à la base un manga. Donc quand le scénario a été écrit, l’accident de Fukushima ne s’était pas encore produit. The Land of Hope est un scénario original, je suis même allé sur les lieux faire du repérage. Ce sont vraiment mes intentions qui transparaissent.
Dans vos derniers films, on retrouve plusieurs adaptations de mangas (Tokyo Tribe, Shinjuku Swan, Tag). Pourquoi ces choix de commande ?
Je prends ça comme une expérience, cela fait longtemps que je voulais faire des films issus de mangas. J’en ai assez maintenant, mais je tenais à travailler dans ce domaine.
En avez-vous définitivement fini avec le nihilisme d’un film comme Cold Fish ? Vous sentez-vous assagi ?
Cold Fish est un film à part, principalement dû à ma vie de l’époque. J’étais en pleine séparation amoureuse et c’est principalement mon humeur d’alors qui est à l’origine du nihilisme de ce film.
Pensez-vous que le cinéma japonais dans son entièreté s’est apaisé ? Avec des auteurs populaires à l’international comme Kawase Naomi ou Kore-Eda Hiroaku, on est loin des films de Kitano ou du Miike du début des années 2000...
C’est la tendance dans le monde entier, pas qu’au Japon. Le cinéma s’apaise.
On dit en France que vous avez renié Shinjuku Swan. Pourtant, vous en réalisez actuellement la suite, pourquoi ?
Shinjuku Swan était aussi une sorte d’expérience. Sur tous mes films j’ai fait les storyboards. C’est la première fois que les fondations d’un film ne sont pas les miennes. J’avais envie de travailler sur une grosse production depuis longtemps, d’ajouter ma patte à un projet déjà développé. C’était un défi pour moi.
J’ai aussi travaillé sur Shinjuku Swan 2 qui est d’ailleurs fini. Je n’ai rien fait d’autre que la mise en scène. Effectivement, ce n’est pas mon oeuvre, et ce n’est pas un film qui part d’une de mes idées, mais je ne le renie pas. Actuellement, je n’ai plus l’intention de travailler sur ce genre de film.
Vous avez annoncé à L’Etrange Festival il y a 3 ans que Babe 2 de Georges Miller était l’un de vos films préférés. Pensez-vous vous orienter vers un cinéma encore plus familial après Love and Peace ?
(Il me coupe) Babe 1 aussi est un de mes films préférés ! Mais non, je n’ai pas du tout envie de refaire un film comme ça. L’inverse même.
Pourquoi cette idée de sortir six films en un an ? Les jeux de massacre avec Tag, la comédie avec The Virgin Psychics, la poésie avec The Whispering Star… Voyez-vous cette expérience comme une mise à plat de votre carrière hétéroclite ?
C’est un simple hasard de calendrier ! Je travaille sur certains de ces films depuis deux ans… Ce sont mes producteurs qui ont décidé de sortir tous ces films à peu de temps d’intervalle. Je n’avais pas l’intention de mettre à plat ma carrière. Ce qui est important pour moi, c’est de faire l’oeuvre en soi. Picasso à la fin de sa carrière réalisait des œuvres très hétéroclites, maquettes, statues ou peintures, et c’est un peu comme ça que je vois ma filmographie.
Quelle est votre relation avec vos acteurs ? Vous travaillez souvent avec un nombre réduit de comédiens qui deviennent ainsi associés à votre cinéma comme Sometani Shota ou Kagurazaka Megumi, votre femme. Est-ce volontaire ou pensez-vous simplement qu’ils sont les meilleurs pour les rôles que vous écrivez ?
C’est effectivement plutôt par relationnel. Je m’occupe des castings donc j’ai tendance à travailler avec des acteurs que je connais. Je ne les engage pas, je travaille vraiment avec eux, c’est un échange.
Ando Sakura que vous avez révélé dans Love Exposure est devenue une célébrité au Japon avec sa victoire aux Japanese Academy Awards pour 100 Yen Love. Comptez-vous retravailler avec elle ?
Ce n’est pas moi qui décide, c’est plutôt à la production de me le dire ! Je la considère un peu comme mon élève… En ce moment, elle n’est pas spécialement connue, elle n’est pas bien adaptée à la télévision ou au cinéma commercial. J’aime bien engager des acteurs et actrices peu connus, trouver des acteurs et les révéler donc ça n’aurait pas vraiment de sens de retravailler avec Ando Sakura, elle est déjà assez bien partie comme ça !
D’ou vous est venue l’idée de The Whispering Star ? Est-ce un scénario écrit il y a longtemps, comme Himizu ou Why Don’t You Play In Hell? ?
C’est le premier film que j’ai voulu réaliser. C’était il y a 25 ans, mais je n’avais pas le budget pour le faire. J’avais déjà l’idée depuis très longtemps. Il y a d’ailleurs des storyboards datant de 20 ans, exposés dans ce musée. Récemment j’ai créé ma propre société de production, Sion Production, et comme premier film de la société, j’ai choisi de réaliser The Whispering Star.
The Whispering Star a été distribué assez discrètement au Japon, comparé à Shinjuku Swan qui a été numéro 1 au box office. Quel est votre statut, ici, selon vous ?
Je suis un outsider. Je veux me dissocier de l’industrie du cinéma japonais, et l’industrie du cinéma japonais ne veut pas de moi !
Quels sont vos projets pour le futur ? Voulez-vous toujours mettre en pause votre production cinématographique ?
Je dis souvent que je veux arrêter, mais à chaque fois que je me suis lancé dans autre chose, je me rends compte que faire des films est ce que je préfère. Je viens de finir mon roman porno pour la Nikkatsu (ndr : Antiporno, présenté à L’Etrange Festival 2016) et je ne compte pas m’arrêter ! Je suis en train de chercher des financements pour réaliser des films à l’étranger.
Propos recueillis le 21/05/2016 à Tokyo par Elias Campos.
Traduction : Ryo Niwase.
Merci à Furukawa Mami, Emico Kawai (Nikkatsu), Nicolas Debarle et au Watari Museum.