Le 20 juillet arrive enfin en salles le sublime thriller transgenre : Man On High Heels – Le Flic aux talons hauts. Presque inconnu dans nos contrés, Jang Jin, cinéaste coréen et auteur dramaturge populaire dont un seul film [Guns and talks (2001)] a eu droit à une sortie vidéo France. La sortie de son polar vient rattraper cette injustice. Pour célébrer cet événement, retour sur un film que l’on vous conseille depuis sa découverte au marché du film de Cannes en 2014.
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« Un homme, un vrai ». C’est ainsi que qualifient, parfois admiratifs, les ennemis de Ji-wook, flic hard-boiled capable de mettre à terre des dizaines d’hommes seul et à mains nues. Et pourtant, ce symbole absolu de la virilité et de la masculinité coréenne se voit comme une femme. Après avoir refusé sa féminité pendant des années en se construisant un corps, muscles seyants et bardé de cicatrices, et un esprit, emprunt des caractéristiques machistes les plus apparentes, aux antipodes de celui qu’il est vraiment, il se décide à changer de vie et d’identité. Sans être parfait – le film s’encombre par exemple d’une romance straight ayant visiblement pour seule justification de faire passer la pilule de la vraie histoire d’amour du film, homosexuelle et en flashbacks et la thématique de la transsexualité au cœur du film auprès du public assez traditionnel des amateurs de polars coréens – The Man on High Heels arrive à dégager une passionnante réflexion sur le genre et la masculinité dans les films d’action et la société coréenne, sans oublier d’être un polar, un vrai.
Victor Lopez.
Les muscles bandés, le corps bardé de cicatrices, le regard noir, une silhouette longue et élégante, le détective Ji Wook (magnétique Cha Seung-won) fait preuve d’une sacré classe quand il s’agit de s’acquitter de son devoir de policier.
Et c’est sans compter ses connaissances en anatomie humaine qu’il use avec force, et une agilité féline pour mettre en déroute une douzaines de truands lui faisant obstacle. Une méthode pour le moins radicale qui a bâti sa légende dans le milieu de la pègre et créé l’admiration de ses collègues dans tout le commissariat. Cependant, le colosse a des pieds d’argile ou, du moins, des chevilles fragiles à force de porter des talons aiguilles, car quand il raccroche sa tenue de flic, Ji Wook n’a qu’un seul désir : devenir une femme.
Sous ses apparats de polar coréen, avec ses ambiances nocturnes et ses combats au corps à corps ultra stylisés, se cache un film intimiste pour le moins atypique au vu du genre qui l’héberge, un trait de caractère bienvenu dans un genre cinématographique qui a tendance à s’essouffler.
Jang Jing traite avec une réelle sensibilité son sujet, en adoptant le point de vue de son personnage transgenre qui tente bon gré mal gré de concilier deux modes de vie que tout oppose. Aux moyens de flash-backs, le cinéaste filme l’éveil amoureux de son personnage, et la découverte de sa propre sexualité dont chacune des tragédies personnelles et souffrances vécues sera scarifiée sur ce corps non désiré comme autant de chapitres de son propre roman biographique.
Le réalisateur n’oublie pas pour autant le récit de son film, il raccorde astucieusement l’intrigue policière au parcours tumultueux de son personnage principal au travers de sa relation conflictuelle avec son rival le gangster Heo-Gon. En effet, totalement omnibulé par Ji Wook depuis leur rencontre sous une pluie battante, alors que ce dernier donnait une démonstration chorégraphiée de ses talents martiaux, le truand le vénère depuis et voit en lui un modèle de virilité qu’il tente d’approcher sans pour autant se douter du secret qu’il renferme. Une liaison pour le moins ambiguë qui se terminera dans le sang dans une scène qui révèlera de manière très symbolique la nature homosexuelle refoulée du gangster pour l’homme de loi.
Le film, tout comme son personnage, peine à sortir de sa chrysalide. Bien qu’il enchaîne assez subtilement scènes de bravoure et parcours personnel de son antihéros, Man On High Heels a du mal à se hisser au niveau des fleurons du genre. Jang Jing n’a pas le talent et la virtuosité technique de son ami et confrère Kim Ji-woon, la scène d’introduction renvoyant à celle de A Bittersweet Life sans toutefois la pasticher ou jouer de la référence abusive. Il n’y a pourtant peu de choses à déplorer sur l’efficacité de se mise en scène et la solidité de sa construction dramatique. On regrette cependant que le film ne pousse pas suffisamment loin dans le traitement de la problématique de l’identité sexuelle du détective et du milieu interlope des transsexuels dans la société coréenne. Jang Jin lève le rideau sur ce monde, sur la réalité économique et le quotidien des trans au travers du personnage de Bada, véritable guide du héros dans cette crise identitaire et sexuelle. C’est en effet cette barrière financière qui est le moteur de l’intrigue et va s’avérer être le talon d’Achille du détective et le précipiter dans sa chute. Cependant, il faut reconnaître l’audace et le courage de développer pareil projet au sein d’un studio de cinéma comme la Lotte. Malgré tous ces efforts louables, le film se termine sur un triste constat : la Corée comme le personnage de Ji Wook doivent remettre à plus tard cette révolution sexuelle et sociale, Man On High Heels n’ayant pas su trouver son public lors de sa sortie au cinéma au cours de l’été 2014.
Man On High Heels mérite tout de même que l’on soutienne un tel projet, d’une part pour le choix et le traitement de son sujet aussi courageux qu’original, et pour ses qualités indéniables de mise en scène sans oublier la performance physique et touchante de son acteur principal. On lui souhaite un meilleur accueil dans les salles françaises.
Martin Debat.
Man on High Heels – L’Homme aux talons hauts de Jang Jin. Corée. 2015. En salles le 20/07/2016.