Dernier carnet de bord spécial Festival de Cannes 2016 avant de commenter l’ultime palmarès et de vous parler de nos coups de cœur/gueule. Direction l’Inde avec Raman Raghav 2.0, Singapour avec Apprentice et L’oiseau d’or et les Philippines avec Ma’ Rosa !
Ces quatre films ont tous un point commun : être particulièrement violents. Violence sociale, policière ou physique, ces films sont loin d’une chronique familiale de Kore-eda Hirokazu !
L’Inde était représentée à la Quinzaine des Réalisateurs par Raman Raghav 2.0, le nouveau film d’Anurag Kashyap. Le cinéaste indien nous avait enthousiasmé avec Gangs of Wasseypur et Ugly. Raman Raghav 2.0 tire son nom du tueur en série Raman Raghav, schizophrène ayant sévi à Bombay à la fin des années 1960. Pour autant, Raman Raghav 2.0 n’est pas du tout un biopic. Le film suit Ramanna, fasciné par le célèbre serial killer. Tellement fasciné qu’il passe à l’acte plusieurs fois, torture sa famille et met au défi un flic, Raghavan, de l’arrêter. Le psychopate est interprété par Nawazuddin Siddiqui (The Lunchbox) qui joue à merveille un tueur fou, barre de fer à la main et parlant à Dieu. Son regard, quasiment reptilien, lui donne un air inquiétant et fascinant. Il tient littéralement le film sur ses épaules. Son adversaire, Raghavan, joué par Vicky Kaushal (Masaan), est un flic un peu cliché. Violent, drogué, il devient finalement l’alter ego de Ramanna. Le duo fonctionne mais est écrasé par la prestance et le charisme de Nawazuddin Siddiqui et, du coup, Vicky Kaushal passe un peu à la trappe.
Pour des raisons budgétaires, Anurag Kashyap a tourné dans le Bombay actuel, filmant les maisons décrépies, les ruelles, les terrains vagues mais aussi les boîtes de nuit branchées. A l’instar d’autres films indiens de ces dernières années, le cinéaste utilise une bande son tonitruante, dans l’espoir de rendre son film ultra-dynamique. Il faut l’avouer, Kashyap met en oeuvre tout son savoir-faire pour donner une ambiance particulière à Raman Raghav 2.0. Malheureusement, ce mélange rend le film foutraque et le réalisateur n’arrive pas à faire un choix entre mettre en avant l’atmosphère ou insister sur la violence du personnage principal. L’énergie déborde du film mais est mal maîtrisée. Quitte à réaliser un film barré, autant montrer les actes de violence plutôt que des filmer hors-champ ou alors, au contraire, calmer l’hystérie pour revenir à une ambiance inconfortable. C’était le cas sur Ugly et ce dernier est bien plus dérangeant que Raman Raghav 2.0.
Raman Raghav 2.0 n’est pas un mauvais film car Anurag Kashyap a du talent, c’est indéniable. Mais on sent une petite baisse de régime due, peut-être, à une trop grande confiance en son cinéma.
Dans la catégorie Un Certain Regard, Singapour a présenté Apprentice de Boo Junfeng, dont le premier long-métrage Sandcastle avait été projeté à la Semaine de la Critique en 2010. Produit par le cinéaste singapourien Eric Khoo (Tatsumi), Apprentice met en scène Aiman, ancien voyou, qui est par la suite devenu gardien dans une prison de haute sécurité. Rahim, le bourreau, le prend sous son aile et le forme. Aiman est très appliqué mais sa conscience le rattrape peu à peu. En effet, alors qu’il était enfant, son père a été exécuté dans cette même prison par Rahim.
Le choix de suivre un bourreau plutôt qu’un prisonnier est original et permet de s’interroger sur la peine de mort, encore active à Singapour. Boo Junfeng évite l’écueil de la dénonciation à travers son personnage principal, Aiman, joué par Fir Rahman dont c’est le premier rôle au cinéma, qui ne cesse de douter. Rahim, joué par Wan Hanfi Su (Men Who Save the World), de son côté, semble être un bourreau humain, si tant est que cela soit possible. Il explique à Aiman, avec une précision chirurgicale, comment organiser une pendaison pour qu’elle ne fasse pas souffrir le condamné. Ces différents points de vue permettent à chaque spectateur de se forger sa propre opinion sans être guidé par le réalisateur et donc, sans aucune moralisation du discours.
Avec un thème pareil, on ne peut pas s’attendre à un film lumineux. La réalisation, clinique et rigoureuse, et la photographie, léchée, subliment l’ambiance macabre qui inonde la prison. Les couloirs sont sombres et interminables. La potence donne froid dans le dos. Mais l’extérieur de la prison est également teinté de noirceur. Quand Aiman rentre chez lui après sa journée de travail, il y retrouve sa sœur Suhaila et, pourtant, l’ambiance ne se réchauffe pas. La mort rôde, partout. Interprétée par Mastura Ahmad (Banting), Suhaila fuit cette mort qui la poursuit en décidant de partir vivre en Australie avec son petit-ami. A l’inverse, Aiman se rapproche de la mort à travers son nouveau travail d’apprenti bourreau.
Boo Junfeng parvient à réaliser un film glacial, comme le sujet qu’il traite. Cependant, par sa réalisation, souvent trop chirurgical, le spectateur pourra se sentir indifférent à ce qui se déroule à l’écran.
Restons à Singapour avec L’oiseau d’or réalisé par K. Rajagopal dont c’est le premier long métrage. Projeté à la Semaine de la Critique, L’oiseau d’or se démarque des films singapouriens par son scénario puisqu’on y découvre les bas-fonds de la Cité-Etat. Après des années passées en prison pour contrebande, Siva, un Indien de Singapour est libéré. Dans l’incapacité d’obtenir le pardon de sa mère et rejeté par ses proches, il part à la recherche de sa femme et sa fille. Alors qu’il trouve le réconfort auprès d’une jeune prostituée chinoise, il réalise que sa famille lui a caché un terrible secret.
Nous étions partis à la projection plutôt confiants. Malheureusement, le scénario tient la route uniquement sur le papier. Le personnage principal, interprété par Sivakumar Palakrishnan, est une sorte d’autiste qui sort de prison. Est-il traumatisé par le traitement qu’il a reçu ou, simplement, ne comprend-il pas la langue du pays puisqu’il est Indien ? Nous ne le savons pas et ne le saurons certainement jamais. Les scènes de dialogues de sourd s’enchaînent au cours desquelles le protagoniste fixe ses interlocuteurs d’un regard pour le moins peu expressif. Il est impossible de savoir ce qui se passe dans sa tête. Alors, quand il se lie d’amitié avec une prostituée et essaye par tous les moyens de retrouver sa femme et sa fille, le spectateur se perd. Quelles sont ses motivations, pourquoi agit-il de telle ou telle façon ?
K. Rajagopal avait un sujet en or pour réaliser un film différent, sur une société multiculturelle qui s’efforce d’oublier ses minorités. Malheureusement, le film tourne en rond et le personnage principal débecte le spectateur au bout de quelques minutes de film.
Il est enfin temps de parler un peu de la compétition : on garde le meilleur pour la fin ! Le réalisateur philippin Brillante Mendoza, dont le dernier film Taklub est sorti récemment en France, est revenu sur la Croisette pour présenter Ma’ Rosa. L’action se déroule dans les bidonvilles de Manille. Rosa, mère de famille autoritaire et Nestor, drogué invétéré, tiennent une épicerie dans laquelle ils vendent également de la méthamphétamine pour améliorer leur vie quotidienne. Balancés par un client, ils sont arrêtés par des policiers corrompus qui réclament une forte somme d’argent pour les libérer. Leurs enfants se démènent alors pour réunir l’argent nécessaire.
Ma’ Rosa est une descente aux enfers, basée sur des faits réels. Manille, loin de ressembler à une capitale accueillante, est montrée sous son jour le plus sombre. Même les adolescents qui chantent au karaoké baignent dans la poisse et dans une pluie torrentielle qui transforme tout en boue. Caméra à l’épaule, Mendoza est en perpétuel mouvement lorsqu’il suit Rosa, incarnée par l’excellente Jaclyn Jose, mère courage qui porte la culotte. Énergique, elle fait tout son possible pour améliorer le dur quotidien de sa famille.
Mais la misère finit par la rattraper et le couple finit au poste de police. Dans ce film, la police en prend pour son grade. Les flics, loin d’être désagréables, accueillent Rosa et Nestor avec des bières et du poulet. Ce qui les intéressent n’est pas tellement de coincer des trafiquants de drogue mais de récupérer l’argent de la caution. Les scènes de dialogue au commissariat peuvent dérouter car le spectateur ne s’attend pas à un tel calme mais plutôt à des scènes de violence. Des passages à tabac sont mis en scène mais c’est surtout la négociation qui prime.
Face à tant de misère (économique, sociale), Brillante Mendoza réussit un coup de maître : la neutralité. Il ne se permet aucun jugement, ni sur le trafic de drogue du couple, ni sur le comportement de la police, extrêmement corrompue. Le piège du misérabilisme est donc évité avec brio. Filmé de façon quasi-documentaire, Ma’Rosa nous envoie du réel en pleine figure. Ça fait mal mais ça vaut le coup !
Raman Raghav 2.0 d’Anurag Kashyap. Inde. Projeté à la Quinzaine des Réalisateurs du Festival de Cannes 2016.
Apprentice de Boo Junfeng. France-Singapour. Projeté à Un Certain Regard du Festival de Cannes 2016. Sortie française le 1er juin 2016.
L’oiseau d’or de K. Rajagopal. Singapour. Projeté à la Semaine de la Critique du Festival de Cannes 2016.
Ma’Rosa de Brillante Mendoza. Philippines. Projeté en Compétition au Festival de Cannes 2016. Sortie française le 9 novembre 2016.
Elvire Rémand.