Scary House de Yang Byeong-gan : Home Alone (FFCP 2015)

Posté le 7 novembre 2015 par

Il y a toujours un moment où l’enthousiasme à la sortie d’une séance déborde un peu trop et quand le rédacteur en chef lance (en croisant les doigts) « alors, qui veut parler de celui-ci ? », on s’entend répondre sans réfléchir « pas de souci je m’en occupe »… au grand soulagement des confères qui commençaient à se scruter, inquiets, du coin de l’œil. Il est vrai que l’objet en question a largement divisé le public du FFCP 2015.

De quoi parle-t-on au fait ? Tout simplement du film coréen Scary House qui est en train de devenir un véritable film culte underground. Mais au final la question n’est pas de quoi on parle mais plutôt, comment on en parle ?

Car Scary House est un OVNI, un vrai. Pas la petite curiosité ou le titre obscur de derrière les fagots. Non, le film improbable par excellence, celui qui nous fait demander à chaque moment ce qu’on fiche devant « ça ».

Scary House fait partie de ces films qui remettent en question même l’exercice de la critique cinématographique. Le mieux serait donc pour ceux qui ne le connaissent pas de tenter tout simplement l’expérience, en étant seulement prévenu que ce n’est pas un œuvre à prendre au premier degré, ni au second. Plutôt le genre de film dont c’est le second degré qu’il faut prendre au premier degré. Et surtout pas l’inverse.

Voilà, à partir de là, vous pouvez arrêter la lecture ou continuer à vos risques et périls car la suite du texte risque fortement d’influencer votre ressenti durant le visionnage, ce qui serait bien dommage.

scary house

 

En effet, il ne faut pas prendre Scary House pour ce qu’il n’est pas, à savoir à un nanar, un navet ou même une parodie. C’est plutôt un habile canular tout à fait conscient de ces effets et qui en joue admirablement bien. Il va sans dire que de nombreux spectateurs l’ont pris au pied de la lettre et se sont scandalisés du cynisme de l’entreprise, à savoir un film volontairement mauvais tout en se cachant derrière son amateurisme. C’est une d’interprétation.

Nous préférons plutôt le prendre comme une blague bricolée par un réalisateur qui décide de profiter de la vague des films d’horreurs fauchés façon Paranormal Activity pour livrer un pastiche des films fantastiques coréens des années 80, poussant leurs logiques et leur thèmes dans leurs derniers retranchements.

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A la base, plusieurs films d’épouvante locaux sont sortis il y a désormais 30 ans, où des femmes au foyer se retrouvaient à faire face à des esprits démoniaques qu’elles affrontaient avec divers symboles phalliques. Peu distribués en France, nous avions tout de même pu en découvrir un type très représentatif : Suddenly in Dark Night de Go Yeong-nam en 1981, qui racontait l’histoire d’une femme luttant contre une statue possédée par un esprit malin, la poussant au bord de la folie sans que personne ne la prenne au sérieux.

Scary House en reprend l’argument, épurant à l’extrême sa conception : une femme seule face à ennemi fantomatique. Le film s’ouvre donc sur le mari (joué par le cinéaste lui-même) qui abandonne son épouse plusieurs jours pour un voyage professionnel alors qu’ils viennent d’emménager dans une nouvelle maison de plusieurs étages, entièrement vide. Cette ménagère d’une soixantaine d’année est rapidement confrontée à une poupée qui la terrorise.

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On peut y voir sans problème la métaphore à peine voilée de l’aliénation des femmes coréennes au foyer (surtout de cette génération) qui n’ont d’autre finalité dans leur existence que de bien tenir la maison. Sans enfant ni mari à s’occuper et dans une demeure encore vide, on peut donc supposer que cet être diabolique n’est que la matérialisation de son ennui et de ses angoisses d’être livrée à elle-même.

Le meilleur moyen, d’ailleurs, pour lutter (inconsciemment) contre cette présence maléfique est de trouver des tâches à accomplir : ménage, vaisselle, nettoyage, préparation fastidieuse de repas… C’est quand elle devient inactive que l’esprit vient la hanter.

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Cette logique justifie donc l’extrême longueur des prises de vues où l’on suit pratiquement en temps réel cette épouse en train de se faire un repas puis de le déguster… sans oublier l’étape suivante : la fin de la digestion ! On se croirait dans la quête d’authenticité d’Eric Von Stroheim où toute action doit être montrée dans son intégralité.

Cela crée des moments surréalistes où le temps semble complètement distordu et étiré comme ces longues minutes où l’héroïne tente de trouver le sommeil et également cette fameuse séquence gustative (la recette du sandwich est d’ailleurs vantée sur l’affiche coréenne !).

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Le rire provoqué est donc autant nerveux que stimulé par la durée des séquences proches de la performance dadaïste avec des effets de répétition exploités à outrance. C’est bien tout l’avantage d’avoir à monter ou redescendre inlassablement plusieurs étages…

Présenté comme ça, Scary House aurait l’air vraiment inintéressant mais c’est parce que la réalisation n’a pas encore été abordée… Et quelle réalisation, fichtre !

Occupant tous les postes (lumière, montage, mixage, production, prise de vue, acteur) Yang Byeong-gan revient donc à la mise en scène après 20 ans d’absence et 3 films tournés entre 1985 et 1994.

Son style, qui pourrait passer pour de la maladresse de débutant fauché est en fait une imitation tellement habile qu’il faut bien 20 minutes pour être certain des réelles ambitions de son cinéaste. c’est dire. Cela occasionne de nombreux fous rires provoqués par le découpage approximatif, un rythme inexistant dans le montage, un sens du cadre hasardeux et des effets de réalisation ringards (les dé-cadrages quand l’héroïne va s’emparer de son bâton). Ce style pourrait totalement être au cœur de véritables nanars qui abusent de personnages commentant leurs actions, de séquences étirées jusqu’à l’absurde pour gagner du temps (rappelez-vous le cheval de Devil Story !), de décors fauchés, d’un nombre limité de comédiens (et de comédiens limités) et d’idées visuelles ou narratives surréalistes. On songe évidement à l’interminable préparation/dégustation du repas, à la séquence Besame Mucho ou aux talents de l’héroïne pour manier le couteau à poireau.

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Pour tout de même signaler que son nouveau film n’est pas ce qu’on pourrait croire à première vue, Yang glisse donc, de temps en temps, quelques moments qui prouvent que tout cela est du registre du pastiche, comme l’épouse courant sur place dans l’escalier ou le fantôme réclamant sa jupe.

Là où le film étonne (si on accepte son concept), c’est que même quand on sait qu’il s’agit d’un canular, on continue de s’esclaffer devant l’énormité des situations à l’image d’un Ryoo Seung-wan présent dans la salle et joyeusement hilare de bout en bout… Il faut à ce titre louer la comédienne principale, Goo Yoon-hee (qu’on imagine être la compagne du cinéaste), qui porte le film en étant de presque tous les plans et jouant à la perfection le flegme pour un timing mémorable. Impossible de garder son sérieux quand on regarde sa façon de scruter une pièce à plusieurs reprises pour vérifier si la poupée s’y trouve. Et il est tout aussi difficile de rester imperturbable face à sa diction et ses commentaires tout aussi gratinés qu’une de ses spécialités gastronomiques. On peut même dire qu’elle gagne notre admiration à garder durant tout le film cette interprétation unique en son genre.

Alors nanar ou escroquerie, ce Scary House ? Plutôt un astucieux happening méta-gardiste.

Anthony Plu.

Scary House de Yang Byeong-gan. Corée. 2015. Présenté au FFCP 2015.

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