Edge of Tomorrow : All You Need Is Reed, du roman au film

Posté le 1 novembre 2014 par

Il y a parfois des bonnes surprises qui arrivent sans crier gare. De la part de Doug Liman, réalisateur des peu mémorables Jumper ou Mr et Ms Smith dont le seul coup d’éclat était  jusqu’à présent un Bourne Identity, auquel il manquait la nervosité qu’allait imposer Paul Greengrass à la saga, on n’attendait pas grand-chose. Son dernier film, Edge Of Tomorrow est pourtant le blockbuster le plus réjouissant, innovant et intelligent de l’année. À l’occasion de sa sortie en vidéo le 22 octobre, retour sur une réussite qui doit beaucoup au roman qu’il adapte : le japonais All You Need Is Kill de Sakurazaka Hiroshi, disponible chez Kazé accompagné de sa version manga dessinée par l’excellent Obata Takeshi (Death Note).

En découvrant Edge of Tomorrow au cinéma, beaucoup ont pensé à un croisement entre Starship Troopers et Un jour sans fin. Du premier, le film avec Tom Cruise reprend l’esprit S.-F. bourrine avec de vilains aliens ainsi qu’une pointe de satire sociale (le tout en plus beaucoup plus soft), du second, le concept de la boucle temporelle et un esprit ludique et détaché. Pourtant, Edge of Tomorrow est avant tout l’adaptation, à la fois fidèle et réussie (comportant donc une grande part de trahison) d’un roman de science-fiction japonais : All You Need Is Kill de Sakurazaka Hiroshi. Daté de 2004, le pitch du livre intrigue depuis longtemps la Warner qui travaille à une adaptation depuis la fin des années 2000. Brad Pitt fut longtemps associé à un We Mortals Are, avant que Tom Cruise ne prenne les commandes de l’adaptation avec Doug Liman en 2011 pour aboutir au résultat que l’on connait.

Forever Young

La genèse du projet est importante car elle témoigne d’une réelle appropriation du roman par la star. Le personnage principal est en effet modifié pour coller parfaitement à l’image de Tom Cruise : il passe de jeune recrue inexpérimentée dans la version papier à un as de la communication larguée contre son gré sur le champ de bataille. Tom Cruise a beau paraître doté d’une jeunesse éternelle, il peut difficilement jouer les jeunes recrues à 50 ans passés et ne manque d’ailleurs pas de le souligner, lorsqu’il demande à son supérieur s’il a vraiment l’air d’un jeune soldat, comme un petit clin d’œil au roman ainsi qu’à son image. Ce changement permet à la fois d’expliquer pourquoi le personnage n’a aucune expérience du combat tout en gardant la thématique de la progression au cours des multiples vies. Mais surtout, Tom Cruise s’en donne à cœur joie dans une première partie qui présente un personnage pleutre et fuyant l’action par tous les moyens, là où son alter-égo japonais  acceptait sa condition et se promettait de profiter de la situation pour devenir le meilleur guerrier possible au bout de la 5ème boucle. De là nait la comparaison avec Starship Troopers et son mauvais esprit antimilitariste des premières minutes, ainsi qu’avec Un jour sans fin et son humour répétitif.

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Deux références qui sont ainsi absentes du roman, nanti d’un premier degré à toute épreuve, là où Hollywood opte pour un ton plus enlevé. On gagne ainsi en sérieux ce que l’on perd en légèreté. Dans l’œuvre de Sakurazaka, l’expérience est aussi ludique que dans le film, mais beaucoup plus douloureuse : des passages décrivent longuement la souffrance ressentit lors de la mort, l’impuissance et la douleur répétée face aux décès de ceux qui entourent le personnage, mais surtout, on ressent avec force la monotonie d’une vie dans laquelle chaque geste est la répétition de celui de la vielle, et où toute attache est impossible, ou plus rien n’a de goût, ou toute envie, désir est annihilé par un sentiment de perte et d’inutilité infinie.

Game Over ? Over Game !

En ce sens, la lecture du roman s’avère une expérience profonde, que l’on ait vu le film ou non, puisque ce dernier est une variation empruntant un concept, mais traité avec une tonalité complétement différente. On sent paradoxalement à sa lecture beaucoup plus que dans le film l’influence des jeux-vidéo, alors même que son récit est plus réaliste, attaché à la crédibilité de l’ensemble comme des détails. Bloqué toujours au même niveau, le jeu-vidéo est autant une chance – on peut toujours essayer de faire mieux, d’atteindre la perfection du geste à force de répétition – qu’une malédiction – la vie s’y trouve résumé est devient un cauchemar, auquel est souvent comparé l’enfermement du héros dans les boucles.

L’aspect jeu-vidéo du film est quant à lui strictement ludique (quelques plans discrets en First Person Shooter), et évite de d’appuyer sur l’aspect cauchemardesque de celui-ci grâce à un montage alerte, coupant dans la continuité de la narration grâce à des éclipses reprenant là où on avait laissé le personnage tout en sautant la journée qui précède. De quoi créer un effet comique fonctionnant parfaitement et constituant le gros des modifications entre le roman et le film.

Edge of Tomorrow

Le reste n’est en effet que conjoncturel : l’Europe remplace le Japon comme lieu de l’action, le film élude l’origine et la nature de l’invasion là où le roman explique tout, mais l’essentiel est là : dans une belle traduction, différente et pleine de citations et de clins d’œil à l’œuvre d’origine. On peut seulement regretter un happy end des plus convenus et fort peu cohérent avec cette histoire de boucle temporelle, qui remplace la beauté tragique, mais pas forcément pessimiste, du roman japonais. Lui reste fidèle à sa logique interne jusqu’au bout, et offre une conclusion crédible, là où le blockbuster hollywoodien se renie un peu à partir de son climax grandiloquent. En oubliant ces dernières minutes, on peut tout de même saluer le tour de force plastique et narratif qu’est Edge Of Tomorrow, d’autant que son exposition permet la découverte du beau roman qui en est à l’origine, et que sa vision ne gâche rien au plaisir de lecture de l’œuvre de Sakurazaka Hiroshi.

Victor Lopez.

Edge of Tomorrow de Doug Liman, disponible en vidéo depuis le 22 octobre. Édité par Warner.

All You Need Is Kill de Sakarazaka Hiroshi. Édité par Kazé. Déjà disponible.

All You Need Is Kill. Manga déssiné par Obata Takeshi. Édité par Kazé. Déjà disponible.