Rencontre, lors du Black Movie 2014 avec Arnel Mardoquio, réalisateur philippin engagé et passionné du beau The Journey Of Stars Into The Night.
Est-ce que vous pouvez vous présenter pour le public français qui vous découvre ?
Je suis Arnel Mardoquio, je suis réalisateur philippin. J’ai gagné un prix au Gawad Urian Awards pour mon film (ndlr The Journey Of Stars Into The Night). Mon film a été recommandé par Brillante Mendoza ici, et me voilà.
Quelles sont vos relations avec Brillante Mendoza ?
Nous ne sommes pas amis. Nous nous sommes rencontrés professionnellement et il m’a dit qu’il recommanderait mon film pour le Black Movie Festival.
Où avez-vous tourné The Journey Of Stars Into The Night et pendant combien de temps ?
Nous avons tourné à Mindanao dans le sud des Philippines pendant 10 jours.
La première partie de votre film est quasiment muette, pourquoi ce choix assez audacieux ?
En fait, je voulais faire ressentir aux gens la guerre dans tous ces états, qu’elle soit réelle avec les combats, mais aussi intérieur. C’était à mon sens le meilleur moyen de faire ressentir ces combats.
Ce conflit à Mindanao est très peu médiatisé chez nous, pourriez-vous nous en en parler un peu ?
Pendant 45 ans, il y a eu une guerre civile aux Philippines. Dans le sud, où les combats ont lieu, deux factions s’opposent : les musulmans et les membres du NPA (New People Army). Le NPA est inspiré par la doctrine communiste tandis que les musulmans, les Moro veulent leur indépendance. A l’intérieur même des Philippines, les entreprises étrangères interviennent. Ils ne sont pas dans le conflit même, mais viennent pour les ressources naturelles du pays. Tout le monde veut sa part du gâteau.
C’est un conflit peu connu, on peut parler pour nous de conflit sans image. Est-ce important de donner des images au conflit avec ce film ?
En tant que réalisateur, je me dois de raconter ces histoires-là. Pour montrer aux autres qu’il y a des Philippins qui ne veulent plus se battre, qui veulent l’égalité sociale et la justice.
Vous aviez dit que pour le tournage vous n’avez utilisé qu’une seule caméra et un budget très limité. Quel serait votre définition du cinéma indépendant ?
Premièrement, ce n’est pas produit par les gros studios philippins. Deuxièmement, il n’y a pas de producteurs pour dicter ce que je dois faire pour mon film. J’ai une liberté artistique. Mon film est basé sur l’histoire de Mindanao, ce n’est pas le même dialecte qu’à Manille par exemple. Je veux également promouvoir cette culture. Après que mon film soit passé dans les festivals, j’ai distribué le film dans les écoles, j’essaie de trouver un public comme ça aussi et toucher le plus de gens possible.
Comment voyez-vous l’avenir de ce cinéma indépendant philippin ?
Il y a deux mouvements de cinéma indépendant aux Philippines actuellement. L’un à Manille et l’autre dans les campagnes. On essaie de se regrouper, tirer parti de notre langue et notre culture.
Revenons au film plus spécifiquement. On ressent peu à peu une sorte d’atmosphère de fin du monde, comme si l’espoir se réduisait de plus en plus.
Je voulais montrer que durant les guerres, peu importe le camp, on ne gagne pas grand-chose. Quand je montre le film au public, pourtant, j’ai envie de discuter d’un avenir plus radieux pour les Philippines. Si je pense que le public ne voit pas de l’espoir dans le film, j’essaie de dialoguer avec eux après coup pour leur montrer qu’il y en a pour le pays.
Il y a une belle histoire d’amour dans le film entre deux femmes. C’était l’aspect politique et religieux qui vous intéressait le plus ou bien la pure tragédie qui se noue ?
Les relations homosexuelles sont tabous aux Philippines, surtout pour les musulmans. C’est avant tout l’histoire de deux personnes qui aimeraient pouvoir vivre au grand jour leur amour et assumer leur sexualité. En fait, je m’inspire d’une histoire vraie. Les plus vieux, aux Philippines, ne veulent pas de cette homosexualité et font tout pour étouffer toutes histoires dans l’œuf.
Quelles ont été les réactions du public face à un sujet si tabou et plus généralement sur le film ?
Les jeunes ont plus de facilités à accepter l’homosexualité. Pour les plus vieux, c’est dur d’avoir un débat évidemment. Le public musulman a été divisé. Certains acceptent, mais la plupart sont contre ces relations et donc ont été plus fermés au film. Mais en fait dans la communauté gay musulmane, l’accueil a été très bon.
Vous pensez qu’en faisant des films comme vous le faites, les mentalités peuvent peu à peu changer ?
Les films n’aideront jamais à résoudre les problèmes que les Philippines connaissent actuellement, mais le cinéma doit inspirer.
Votre réalisation, avec plan fixe, qui laisse les personnages faire vivre l’image, fait beaucoup penser au cinéma de Lav Diaz, vous vous sentez proche de ce cinéma-là ?
Mes films font 2 heures, ceux de Lav Diaz 8 heures ! J’étais metteur en scène au théâtre, mes plans viennent de là. Mais c’est vrai qu’il y a une similitude avec les longs films de Lav Diaz. Sa façon de poser sa caméra, oui.
On demande à chaque artiste qu’on rencontre de nous parler d’une scène, d’un film qui l’a marqué ou inspiré. Quel serait votre moment de cinéma ?
Je suis un grand fan de Kurosawa et bien sûr de Truffaut et Bergman.
Un film en particulier ?
Non, tous les films de Kurosawa.
Tous les cinéastes indépendant Philippins que nous avons rencontré pratiquaient des activités extra cinématographiques, que ce soit à la télé ou au théâtre. Et vous ?
Je me concentre sur mon activité de réalisateur indépendant. Je perfectionne mon art. Mais sinon dans ma famille, on a une boulangerie et je passe parfois derrière le comptoir ou je livre le pain. Mais je ne veux plus travailler pour les entreprises. J’ai travaillé pendant 13 ans à St Miguel pour une entreprise et je pense avoir assez donné.
Un dernier mot pour les lecteurs et spectateurs du Black Movie ?
Black Movie est petit, mais très important dans le monde. Durant mon séjour, j’ai vu un public qui avait vraiment envie de voir des films. Ils avaient l’esprit critique. Ça m’inspire quand on donne un aspect critique des choses.
Vous avez-vu des films au Black Movie ?
Oui j’en ai vu quatre. Les choix des films sont vraiment radicaux et rebelles.
Merci Beaucoup Arnel Mardoquio.
Propos recueillis par Jérémy Coifman et Victor Lopez le 22 janvier 2014 lors du Black Movie Festival.
Retranscription : Jérémy Coifman
Traduction : Johann Paulo Camaddo
Un grand merci à Antoine Bal, à Maxime Morisod, ainsi qu’à toute l’équipe du Black Movie !