Edito – Pourquoi le manga ?

Posté le 11 janvier 2014 par

Sans être une réussite (lire notre critique), la vision d’Old Boy par Spike Lee a le mérite de susciter des problématiques intéressantes sur la circulation des images entre l’Asie et Hollywood. Sauf que le sujet  est parfois traité avec quelques approximations dans la presse, et en particulier dans le dernier numéro d’Animeland.

Avec sa belle interview de Miyazaki en couverture et son focus sur la magnifique dernière œuvre de Shinkai Makoto, le dernier numéro d’Animeland (193, janvier/février 2014) se révèle être une lecture judicieuse en ce début d’année… jusqu’à son « reportage » Du Manga à Hollywood, à l’occasion de la sortie d’Old Boy. C’est moins le texte en lui-même qui pose problème, même si les prémisses de l’article sont très discutables dans la mesure où Spike Lee remake le film de Park Chan-wook et n’adapte pas le manga de Minegishi Nobuaki, ce qui rend déjà son argumentation déjà bien branlante, que l’encadré qui l’accompagne, intitilé « Pourquoi le Manga« .

Tentant de montrer que la vague d’adaptation américaine de mangas découle d’un intérêt des studios américains pour l’Asie datant des années 90, le court texte accumule imprécisions et affirmations erronées. Nous passerons sur la phrase « Dans les années 90, le manga se développe aux Etats-Unis avant d’exploser dans les années 2000, prenant la tête du box-office des albums BD, loin devant les comics de supers-héros (qui tentent à leur tour d’en reprendre les codes)« , qui pourait laisser à penser que les mangas se vendraient mieux que Batman, Spider-Man ou les X-Men aux USA… Une affirmation qu’il serait difficile d’étayer. Seul le circuit des comic-shop proposant des Graphic Novels ou Trade Paper Back (l’équivalent de nos albums BD) comptabilise la vente de Manga, qui touche principalement un public ciblé. Mais même dans cette optique, le marché est loin d’être dominé par les mangas et reste sous l’égide des leaders que sont Marvel et DC en terme de vente. Quant aux éditeurs indépendants qui éditent du manga sur ce circuit, leurs meilleures ventes restent américaines sur leur marché : c’est par exemple Image qui est actuellement en tête des ventes loin devant les mangas avec The Walking Dead.

Animeland

Il est étrange de lire de telles généralités et approximations dans le magazine de l’animation et du manga, mais les choses se corsent encore dans la partie proprement cinématographique : « En découvrant les films de Bruce Lee, Jackie Chan ou John Woo, les réalisateurs Nord-Américains en ont le souffle coupé. Jusque-là, leurs films d’action proposaient des séquences molles et sans génie (…) avec Matrix, un cap est franchi« . Là, la revue nous tombe des mains. Rien que du « mou » avant 1999 dans le cinéma américain d’action ? On rêve ! Sans remonter à Raoul Walsh, peut-être le plus grand filmeur de vitesse et de fureur (voir L’Enfer est à lui – 1949), il semblerait que quelques cinéastes américains on également su apporter leur petite pierre à l’édifice du cinéma d’action. Et certains ont même peut-être influencé quelques-uns des réalisateurs cités par l’article… Difficile d’imaginer les ralentis lyriques de John Woo sans ceux de Sam Peckinpah, par exemple. Et Matrix comme le premier et le seul film influencé par le cinéma asiatique ? L’histoire du cinéma américain abonde de citations et d’influences orientales, de Georges Lucas s’inspirant de la structure narrative de La Forteresse cachée pour celle de Star Wars (avant de produire Ran de Kurosawa, payant son tribu au réalisateur) à John Carpenter et son Jack Burton dans les griffes du mandarin, hommage à la folie du cinéma de Hong Kong signé en… 1986.

Jack Burton dans les griffes du mandarin

Sam PeckinpahGeorges Lucas et John Carpenter, réalisateurs qui proposaient des scènes d’action qu’il est difficile de considérer comme « molles et sans génie » sont trois exemples parmi mille du flux constant qui anime le cinéma mondial. Les cinéastes, asiatiques ou américains, se nourissent des images produites partout dans le monde et créent des liens constants entre les mondes. L’erreur de cet article est de cloisonner les cinémas en en caricaturant les échanges dans une démonstration tellement générale qu’elle n’a plus aucun sens, en cherchant à tout prix à favoriser un cinéma plutôt qu’un autre.

Même si East Asia est un site spécialisé dans le cinéma asiatique, il nous semble au contraire primordiale de ne pas oublier d’inscrire nos analyses dans des cadres plus larges : de la culture qui le produit, mais également du cinéma mondial, afin justement de pouvoir le décloisonner, en comprendre les enjeux. Avant d’être un site de cinéma asiatique, nous sommes un site de cinéma. C’est également le sens de notre volonté d’ouverture à des cinématographies autres qu’asiatiques : décloisonner le cinéma asiatique pour mieux le comprendre à travers les différents échanges qui le traversent. La semaine prochaine, nous nous rendrons d’ailleurs à un festival qui réalise cela depuis 15 ans maintenant, et dont la programmation, à la fois précise, curieuse et ouverte, est le parfait exemple de l’internationalité de ce language cinématographique : le Black Movie de Genêve. Et il nous tarde de rencontrer des cinématographies asiatiques, mais aussi portugaises (pays très largement représenté cette année) ou mexicaines, et de voir comment elles dialoguent entre elles dans le même cadre d’un festival.

black movie 2014

Toute la semaine, nous proposerons des textes autour de la programmation, avant de vous faire vivre le festival de l’intérieur grâce à notre couverture à partir de samedi prochain. Si d’ici-là, nous vous proposons de revenir avec Justin Kwedi sur le cinéma de Wong Kar-wai en Blu-ray, et sur deux films parmis les plus marquant de Kinotayo, le festival du cinéma japonais contemporain : Bozo et A Story of Yonosuke, dont nous avons rencontré les réalisateurs pour deux longues et passionantes interviews.

See you, Space Cowboys !

Victor lopez.

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