Interview passionnante avec Nicolas Jacquet, réalisateur de Peau de chien.
La 10ème édition anniversaire du festival Court Métrange a été l’occasion de voir Peau de chien de Nicolas Jacquet qui nous conte la transformation d’un chien en être humain avec en filigrane une photo d’une société réglementé où la crise fait rage. Rencontre avec le lauréat du prix Beaumarchais du festival.
Pouvez-vous vous présenter brièvement ainsi que votre parcours professionnel ?
Cela fait 20 ans que je fais du court-métrage. J’ai eu une production différente avec Peau de chien. D’habitude, je travaillais sur des petits pictogrammes, des films musicaux très courts de 2 minutes avec un conformisme au cinéma d’animation. Avec Peau de chien, j’ai travaillé à partir de photos découpés. Je me sers beaucoup de l’art dans l’écriture et la forme de mes films. Sur Peau de chien, je me suis servi de tous les artistes Dada et surréalistes des années 30 (surtout les artistes allemands) et des cinémas expressionnistes, pour me soutenir dans mon travail, avoir une base solide, asseoir mon scénario qui rentrait en cohérence sur des événements qui se sont passés dans les années 30 et s’articulaient sur la crise identitaire, du rejet de l’autre.
Pourquoi avoir pris un virage si prononcé avec Peau de chien dans votre carrière cinématographique ?
Quand je suis sorti des Gobelins, j’ai appris à être un technicien et capable d’affronter le monde professionnel. J’ai cherché à travailler en relation avec les studios. À l’époque, il n’y avait pas autant de studios. Très vite, j’ai continué avec le matériel de l’école. J’ai fabriqué dans l’urgence mes premiers films et cela s’est perpétué dans le temps sans vraiment que je sois très à l’aise ni pleinement satisfait de mes projets. J’ai décidé d’arrêter de travailler avec les studios, j’ai déménagé pour m’éloigner de ces possibilités. J’ai monté ma structure et à partir de ce moment-là, j’ai dû travailler sur mes idées propres pour alimenter ma société. C’était un peu intentionnel de se mettre un peu en danger. J’ai commencé à faire des recherches, Vol de poisson est né puis Peau de chien a finalisé cette rupture.
Quelles sont vos influences littéraires qui vous ont influencé pour Peau de chien ?
Il y a évidemment Nicolas Gogol (Le Nez, une référence direct à Peau de chien) et Mikhaïl Afanassievitch Boulgakov (Coeur de chien, Le maître et Marguerite). Ils sont bien intégrés dans mon travail. Les auteurs russes se détachent. Les premiers artistes qui te marque restent plus facilement. Cela a une empreinte plus durable.
Pourquoi avoir pris vos parties du corps sur Peau de chien ?
Je travaille seul. J’ai eu des budgets pour le film mais sans en avoir suffisamment pour employer d’autres personnes. C’est par simplicité et pas si éloigné que ça de part mon parcours où je ne pouvais pas tout partager avec tout le monde. C’est une anecdote, je cherchais plutôt une rencontre avec deux monstres et un rapport avec le dégoût. J’aime beaucoup travailler avec les matières corporelles et la photo me plaît beaucoup.
Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs la technique du photo découpage et votre organisation ?
Je suis très organisé. La première phase concerne la photographie des modèles. Ensuite, il y a du travail sous Photoshop pour organiser les éléments. Puis vient une mise en place sur les planches à imprimer. Je découpe les parties qui m’intéressent et les range dans des chemises. À l’animation, je prends chaque élément de photo découpée et je compose la marionnette. Puis, j’anime le tout directement derrière la caméra sans overlay. Au niveau de l’écriture, je respecte mon storyboard à la ligne. Dans l’animation par contre, c’est l’intention du plan qui prime. Il faut essayer d’introduire le plus possible quelque chose d’inquiet.
Pouvez-vous expliciter le choix de la période et les thématiques de Peau de chien ?
J’aime bien que la réalité soit présente dans mes films. Prendre une photo comme témoignage. C’est vraiment ce qui habite ma vitalité. Cela fait longtemps depuis le socle de mon éducation que les événements des années 40 sont rattachés à moi. Christian Boltanski résonne bien. J’aime beaucoup son travail. Je voulais parler de cette époque. Quand je suis sorti de l’école, il y avait cette guerre ethnique en Yougoslavie, et cela m’avait marqué. Pour Peau de chien, je vis en France et je suis attentif à tout ce qui passe. Il y a la question de l’extrême droite qui se pose et je n’offre pas de réponse, je prends juste une photo. Le film a quatre ans de préparation et à l’époque, Sarkozy prônait une identité nationale. On est en train de se recroqueviller sur nous-mêmes comme de nombreux pays. Il y a peu de gens aussi cruels que le personnage du boucher et il y a tous les autres. Le thème du film, c’est qu’il y a un monstre caché dans la société qui se sert de ces règles et il y a un monstre plus lumineux (le chien) qui essaie d’accéder à l’humanité. Il devient un monstre physiquement mais il veut devenir humain. C’est l’espoir qui le rend l’humain. Le boucher, c’est tout le contraire. Il est totalement renfermé sur lui-même et ne pense qu’à sa survie. Je les ai inscrit dans un société très réglementé et je voulais un environnement très froid.
La scène de la perte du nez du chien constitue l’apogée de Peau de chien…
Souvent, on dit aux gens que dans la société il y a des règles. D’un autre côté, on demande d’ignorer ce qui constitue l’individu. On ne peut pas demander cela. C’est cynique, on ne donne pas aux personnes leur place. Par ailleurs, je suis très conscient qu’il y ait des des règles à respecter. Cette scène simplifie un peu tout. Le chien croit que l’argent était suffisant et il se prend des coups de poing, il perd tout. Il devient un monstre et il accepte le sens de sa survie en allant tout de même prendre les papiers. Il va jusqu’au bout. Cela apporte de la réflexion et j’aime aller au cinéma voir des films qui me construisent. C’est une forme de conditionnement où tu as un effet de perversion avec une identification à l’univers du film et j’essaie de jouer un peu avec.
Quelle a été la durée et le budget du projet ?
Le court métrage a coûté environ 80 000 EUR avec 12 mois d’animation, 3-4 mois de compositing et deux mois de postproduction sans compter tout le travail de préparation.
Quel est votre prochain projet ?
J’ai écrit un projet intitulé Sexe faible qui traite de la domination masculine en général dans les sociétés. À la base, c’est un fait divers qui a lieu en Autriche, Josef Fritzl qui a séquestrée sa fille pendant 24 ans et lui a fait 7 enfants. Je l’ai déplacé par rapport à mon histoire avec une documentation précise. J’aime bien partir sur une base existante comme le travail de Louise Bourgeois qui a beaucoup travaillé sur la féminité. Les fémen aussi m’intéressent beaucoup, le masculinisme, la législation au Quebec qui donne beaucoup de droit à la femme. Ensuite, j’alimente mon scénario, c’est un un peu diffus.
Nous demandons à chaque réalisateur que nous rencontrons de nous parler d’une scène d’un film qui les a particulièrement touchés, fascinés, marqués et de nous la décrire en nous expliquant pourquoi. Pouvez-vous nous parler de ce qui serait votre moment de cinéma ?
La Femme des sables du réalisateur japonais Hiroshi Teshigahara qui a eu le prix spécial du jury au festival de Cannes de 1964. Je l’ai vu quand j’étais jeune et j’adorais cette perception de l’épiderme. C’est toujours en relation avec le travail des corps qui m’intéresse. Quand l’homme et la femme sont dans le sable et ce dernier les confond. Le désir les as soudé et le sable les rend inséparables.
Merci à Nicolas Jacquet et à toute l’équipe de Court Métrange.
Julien Thialon
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