Festival du film asiatique de Deauville 2013. Nous rencontrons pour la deuxième fois Sono Sion. Au réalisateur mutin et provocateur de la première entrevue, succède un homme plus enclin à parler de son présent, de son futur, de la politique actuelle du Japon. Visiblement détendu et content d’être là, il nous livrera même une histoire étonnante à la fin. Par Jérémy Coifman.
Après Himizu qui traite déjà de l’après Fukushima, qu’est ce qui vous a poussé aussi vite à aborder le sujet à nouveau avec The Land of Hope ?
Je n’étais pas tout à fait satisfait. Je ne voulais pas m’arrêter là après Himizu qui était une adaptation d’un manga avant tout. J’y ai introduit des éléments de notre présent. Mais je voulais faire un film qui était complètement dédié aux événements de Fukushima.
Vous traitez d’un nouveau désastre nucléaire pour le Japon, pourquoi ne pas vous être attaqué plus frontalement à la catastrophe du 11 mars ?
Initialement, je voulais faire un film sur la catastrophe de Fukushima en elle-même, mais finalement au bout d’un an, je me suis dit que ce serait une bonne idée d’inventer un nouvel accident, pour souligner le fait que le Japon est un pays qui refait toujours les même erreurs et qui oublie facilement ce qu’il peut se passer, ce qui est d’ailleurs complètement ridicule. Dans l’avenir, j’aimerais bien faire un vrai film sur la catastrophe du 11 mars, mais pour The Land of Hope, je pensais que ce serait vraiment la meilleure solution.
On a donc affaire plus à un film d’anticipation qu’à un film social pur et dur…
On peut quand même dire que c’est un film bien ancré dans la réalité de tout Japonais. J’ai fais des recherches pendant six mois, j’ai parcouru toutes les zones sinistrées et recueilli des témoignages de vraies victimes. Il y avait des gens dont le jardin était divisé en deux : l’une où les fleurs étaient en bonne santé et l’autre où tout était désolé.
Dans le film, toutes les catégories d’âges sont décrites et la question enfantine est au centre du long métrage, mais les deux seuls enfants présents sont une hallucination de deux des personnages, pourquoi avoir choisi ce point de vue ?
Dans le film, je décris plusieurs générations de personnages, parce que les gens selon leur âge ne réagissent pas de la même manière à certains évènements. Pour les radiations, c’est la même chose, les femmes enceintes sont plus sujettes à celles-ci tandis que les personnes âgées prennent moins de risque. C’est pour cela que la personne âgée du film ne veut déménager, car il sait que le risque encouru pour lui est réel, mais que vu son âge, cela serait moins grave. La génération d’enfant à toute sa vie devant elle, se marier, avoir des enfants, le futur est devant eux.
(Il réfléchit et coupe la traductrice) Pour moi le radioactif, c’est comme une maladie grave. On ne peut pas savoir comment on va réagir à celle-ci jusqu’à qu’on l’attrape. Je pense que pour les Français, l’accident de Fukushima est quelque chose qui s’est passé dans un pays lointain, mais que cette maladie est bien plus proche que ce que l’on croit.
Dans quelles conditions s’est déroulé le tournage ? Où avez-vous tourné les incroyables scènes de no man’s land ?
Les scènes de no man’s land ont été tournées dans les vraies zones sinistrées. On a demandé l’autorisation et on a tourné normalement. Mais il y avait des parties qui étaient très radioactives et je ne pouvais pas amener mon équipe là-bas. Pour mes recherches, je suis rentré moi-même dans la zone dangereuse, et j’ai pu ensuite trouver des paysages équivalent pour les scènes dans les zones inaccessibles.
Vous nous aviez dit dans une précédente interview que vous feriez des films plus sages quand le cinéma japonais sera plus énervé. Pensez-vous qu’il est en train de changer ?
(Il coupe encore et en anglais) No, No No ! Pour ce film-là, et avec ce sujet aussi sensible, je ne voulais pas provoquer et exciter les spectateurs. C’est pour cela que j’ai choisi ce ton plutôt calme. Mais le cinéma japonais n’a pas changé.
Vous n’avez donc pas la moindre intention de changer quoi que ce soit dans votre cinéma ?
Je n’ai aucune intention de changer mon cinéma, d’ailleurs je viens de terminer mon prochain film qui s’intitule Why don’t you play in Hell, C’est un film mélange de film d’action et de samurai à un rythme effréné. Ça n’a rien à voir avec The Land of Hope.
(Il s’emballe) Je vais tourner un autre film au mois de juillet, ce sera un film 600 millions de fois plus rapide que Mad Max, ça se passe dans la ville de Tokyo dans un futur lointain. Et ensuite j’enchainerai sur un Kaigu Eiga (film de monstres NDLR). Ce sera un monstre original, car depuis Godzilla, on n’a pas créé d’autres monstres. The Land of Hope était très lent, mais cela ne veut pas dire que j’ai changé quoi que ce soit dans mon cinéma, et je peux même dire qu’il sera encore plus rapide qu’avant !
Comment The Land of Hope a-t-il été accueilli au Japon ?
L’opinion est très partagée au Japon. Certains ont trouvé que c’était très embarrassant, d’autres ont félicité le fait que le sujet soit abordé de cette manière. En tout cas, c’est très partagé. C’est quelque chose que j’avais prévu. En tout cas, j’ai l’intention de faire d’autres films sur le même sujet, sans doute sous d’autres formes.
Donc l’opinion des Japonais face à la question du nucléaire a du mal à changer ?
Sur le plan politique, la droite est revenue au pouvoir et c’est un parti pro-nucléaire et ils continuent de vouloir ouvrir des centrales. C’est une situation ridicule. Le contexte est si ridicule que ça me motive d’autant plus à mener ce combat. C’est de toute façon prévisible quand les riches sont au pouvoir.
On sent cette lucidité, ce fatalisme dans le film, mais en même temps c’est plein d’espoir. Ne ressentez-vous pas une forme de lassitude, à force de mener des combats contre des moulins à vent ?
Lassitude, non. Je pense que ça vaut toujours le coup de continuer le combat et c’est quelque chose qu’on fait pas à pas. On le voit dans le film, les personnages font des pas, au fur et à mesure. Ça prend du temps. Je vais moi-même pas à pas et chez mes adversaires c’est pareil ! Toutes les personnes, de toutes les tendances doivent travailler pas à pas, donc moi aussi. Je ferai mes pas en essayant de toucher le plus de monde. Le lobbying, c’est aussi quelque chose de très important…
On demande à chaque artiste que l’on interview quel est son moment de cinéma. Si vous aviez un film à citer, quel serait-il ?
À l’âge de 17 ans, j’ai fait une fugue. J’habitais à la campagne et je suis arrivé à Tokyo comme ça, en fuguant. Je croyais qu’en arrivant à Tokyo, je pourrais facilement faire enfin l’amour pour la première fois avec une fille. Je tombe sur une fille avec qui je rentre dans une chambre d’hôtel, et en arrivant dans la chambre, la fille commence à sortir une paire de ciseaux de son sac et me propose de me suicider avec elle. Elle me disait qu’elle avait beaucoup de chance de m’avoir rencontré, que je serais une bonne personne avec qui se suicider. Ça m’a fait très peur !
Elle venait de quitter son mari et elle n’osait pas l’avouer à ses parents. C’est donc pour cela qu’elle voulait s’ôter la vie. Mais moi, je ne voulais surtout pas mourir ! Alors je lui ai demandé comment je pouvais empêcher ça. Elle m’a demandé de faire semblant d’être son mari et d’aller chez ses parents dans son village natal. J’ai vécu avec sa mère comme si de rien n’était. J’ai fait semblant d’être son mari. Au bout d’un moment, cette vie devenait insupportable pour moi, et j’ai donc dit à la fille que je voulais retourner à Tokyo. Elle a tout de suite compris. Elle m’a remercié et m’a donné de l’argent pour que je puisse retourner à Tokyo. Et je lui ai dit adieu (en anglais d’un air soulagé). C’est à ce moment-là que j’ai vu Orange Mécanique de Stanley Kubrick.
Quelle histoire !
Oui !
Un de nos accompagnants est un grand fan de vos films, il voudrait prendre une photo avec vous, ça ne vous dérange pas ? (Je lui pointe du doigt la personne)
Ça aurait été mieux si c’était les deux belles femmes de derrière, mais oui !
Propos recueillis par Jérémy Coifman le 09/03/2013 au Festival de Deauville 2013 par Jérémy Coifman. Merci à Sylvie Legrand et Pascal Launay, sans qui cet entretien n’aurait pu être possible.