Interview de Kamila Andini, réalisatrice indonésienne de The Mirror Never Lies à l’occasion du FICA de Vesoul 2013

Posté le 8 avril 2013 par

Garin Nugroho est l’un des seuls réalisateurs indonésiens à être reconnu en Occident. Sa fille, Kamila Andini, commence à peine sa carrière cinématographique. Rencontre avec la réalisatrice indonésienne à l’occasion de la projection de son premier long métrage de fiction, The Mirror Never Lies, lors de la 19ème édition du Festival International des Cinémas d’Asie (FICA) à Vesoul. Propos recueillis par Julien Thialon.photo 3Pouvez-vous brièvement vous présenter ainsi que votre parcours professionnel ?

Je m’appelle Kamila Andini, j’ai 26 ans et je suis réalisatrice en Indonésie. J’ai réalisé mon premier film, The Mirror Never Lies, et je suis en phase d’écriture à Paris pour mon deuxième.

Aviez-vous l’impression d’être dans l’ombre de votre père réalisateur et d’avoir l’obligation de devenir à votre tour cinéaste ?

Dans le passé, je n’étais pas dans l’ombre de mon père mais je n’avais pas d’intérêt pour le cinéma. Peut-être que c’était trop pour moi. J’ai toujours pensé que je voulais faire autre chose que le cinéma, surtout que le cinéma indonésien est un milieu très difficile. J’aimais beaucoup le cinéma mais je pensais pas en faire mon métier. J’ai beaucoup étudié, appris les arts (peinture, danse, photographie). Il y a toujours une fin à toute chose que vous faites et ces arts étaient de plus en plus dur sans vraiment avoir de fin. Quand j’étais à l’université, c’était le début de l’expansion du cinéma indonésien et beaucoup de réalisateurs se sont mis à faire des petits films. Mais je n’étais toujours pas intéressée par le cinéma (rires). Mes amis à l’université qui voulaient réaliser des films ont commencé à me poser des questions sur la réalisation, ils pensaient que je connaissais les réponses car j’étais la fille de Garin Nugroho. Je ne savais rien sur la réalisation et j’avais honte de ne pas savoir alors que je vivais avec un père réalisateur. J’ai commencé à vouloir comprendre la réalisation puis à faire des documentaires et cela n’a pas fini jusqu’à maintenant. Ce n’est pas de plus en plus dur mais de plus en plus excitant. Une fois que j’avais essayé, je n’arrivais plus à m’arrêter (rires).

Quelles sont vos influences cinématographiques ?

C’est difficile de décrire les influences car toute ma vie a été influencée par le cinéma. C’est quelque chose d’inconscient qui m’est toujours venu, bien sûr car j’ai grandi avec mon père et ses films. C’est un peu comme quand vous respirez, vous n’en avez pas conscience, c’est quelque chose de naturel.

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Pouvez-vous nous expliquer la naissance du projet ?

Je n’avais jamais réalisé de courts-métrages de fiction avant The Mirror Never Lies. J’ai toujours fait des documentaires car j’adore voyager. J’ai effectué ce voyage à Baiju et j’étais fascinée par la manière dont ces personnages vivaient, j’avais toujours voulu vivre dans l’océan avec cette connexion entre l’être humain et la nature. J’ai mis 3 ans pour développer le projet, c’est un très grand travail collectif. J’ai parlé au gouverneur de la région du tournage, il m’a répondu qu’il pouvait peut-être m’aider financièrement mais ce n’était pas suffisant. Avant, j’avais beaucoup travaillé pour le WWF (fonds de protection pour la nature), je leur ai parlé de mon projet et un an après le développement du projet, ils ont finalement dit qu’ils voulaient coproduire mon film. J’ai rencontré également Sony Equipements avec laquelle j’avais fait de nombreux travaux photographiques et ils ont bien voulu sponsoriser le film.

Quelle était la part d’acteurs profesionnels et non-professionnels ? Comment les avez-vous recrutés ?

Il y avait uniquement deux acteurs professionnels, la mère et le scientifique. Les autres acteurs étaient des enfants vivant la région, j’étais déjà fascinée dans mes documentaires précédents par leur vie. Je voulais inclure mon histoire dans leur vie, c’est avec cette approche que j’ai fait mon film. On avait casté plusieurs enfants et on a dû reporter le tournage d’un an à cause de la météo. Deux semaines avant le tournage, on y retourne et les enfants avaient bien grandi en moins d’un an. J’ai dû trouver d’autres enfants. Une jeune fille était très intéressée par le film depuis le début. Elle était très timide et je ne l’avais pas prise à l’époque mais je l’appréciais vraiment. Je suis retournée la voir, puis suis devenue amie avec sa mère et l’ai convaincue de laisser jouer sa fille dans mon film. J’avais besoin de garçons également et je suis allée dans toutes les écoles de la région en cherchant des enfants qui chantaient. Plusieurs enfants ont retenu mon attention dont un qui voulait absolument jouer dans mon film. Je lui ai demandé de chanter et c’était vraiment horrible. Il a hérité du personnage qui ne chantait pas (rires).

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Le masque de la mère qui s’effrite pendant le tournage est-il un élément culturel ou fictionnel ?

Le masque est véritablement un symbole, il y a quelque chose de fictionnel. Effectivement dans cette communauté, il y a des personnages qui s’appliquent un masque sur le visage comme crème solaire. Cela m’a fascinée de voir cette application. J’ai décidé d’en faire une métaphore par rapport à mon personnage qui cache des sentiments en l’absence de son mari. J’ai détourné l’usage du masque en métaphore.

Et pour l’arbre de miroir ?

Les miroirs que la jeune fille accroche dans l’arbre sont ce qu’elle recherche. Elle pense qu’en accrochant des miroirs, elle peut élargir son champ de recherche. J’ai toujours été fascinée par les arbres en général, symbole de la vie.

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Le rapport du son à l’image est important, la narration est faite avec les sons des guitares et les chants des enfants. Y a-t-il un lien avec la nature ?

Difficile à expliquer, ce sont plutôt des impressions que j’ai voulu porter à l’écran. Lorsque je suis arrivée la première fois dans ce lieu, c’était très calme. Mais il y avait tout un tas de bruits d’ambiance, c’était quelque chose d’extrêmement vivant. J’entendais des chants, toujours un peu de musique. Cela reflétait très bien cette relation avec la nature de cette communauté. Je voulais accompagner le poème que j’avais écrit auparavant. Pour les chants des enfants, ce n’était pas prévu à la base. Lorsque j’ai casté les deux enfants acteurs, ils n’arrêtaient pas de chanter et c’était tellement beau que tout le village venait écouter. Je me suis dit qu’il fallait absolument que cela figure dans mon film, c’était quelque chose d’assez unique.

Que pensez-vous du cinéma indonésien actuel ?

Aujourd’hui, nous ne parlons plus d’existence du cinéma indonésien car désormais tout le monde connaît le cinema indonésien dans les festivals et autres évènements cinématographiques. Il y a du cinéma indonésien tous les jours en Indonésie. Il est difficile de trouver un public indonésien car on ne leur laisse pas le choix, nous avons un seul diffuseur de cinéma où est projeté du cinéma hollywoodien. Nous n’avons pas l’opportunité de montrer d’autres films avec d’autres perspectives. Le public ne connaît que les films commerciaux et les films de festival. En tant que réalisatrice, il est important de donner plus de diversité pour montrer différents visages du cinéma indonésien alors que la télévision n’en montre qu’un seul. C’est ce que nous, réalisateurs, devons faire, plus particulièrement les réalisateurs du cinéma indépendant, en apportant de la diversité.

La deuxième chose est la censure qui est plutôt indulgente désormais mais il existe un mouvement indépendant qui peut à lui seul faire aboutir à une censure d’un film juste en parlant alors qu’ils n’ont pas d’autorité. Les gens ont peur. Vous pouvez mettre des scènes de sexe dans vos films mais des personnes malveillantes vont venir au cinéma et faire peur aux spectateurs. C’est une étape difficile et périlleuse pour le cinéma indonésien. Il y a également le problème du financement où chaque producteur est livré à lui-même. Même pour mon père, c’est très difficile de financer ses films.

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Quelle solution préconisez-vous ?

En continuant à faire des films. Si vous arrêtez, il y en aura de moins en moins puis plus du tout. Il n’y a pas que les réalisateurs, il y a les critiques, les médias, le gouvernement et nous devrions travailler ensemble.

Pensez-vous qu’une diffusion en Indonésie est envisageable ?

Bien sûr, c’est une très bonne idée. Personne n’avait encore mis de mot (à travers un film) sur l’histoire et l’état du cinéma indonésien. Cet instantané est très important, il parle pour nous. À mon avis, le gouvernement ne devrait pas être abordé dans le film car je me moque de leur avis, nous survivons par nous-mêmes. Le documentaire conclut sur des propositions de solutions et je me moque de ce que le gouvernement en pense (rires).

Avez-vous des réalisateurs dont vous vous sentez proches ?

Mon mari est également réalisateur. Nous n’avons pas une grande industrie cinématographique, c’est plus comme une famille que je rencontre quotidiennement.

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Pouvez-vous nous parler plus en détail de votre second long métrage ?

J’ai toujours été intéressée par la connexion entre l’être humain et la nature. Mon second film se déroulera à Bali. Le fond est l’agriculture et c’est l’histoire de frères et sœurs qui essaient de se parler et de communiquer avec la nature. Je suis en train de rédiger le scénario et de trouver des partenaires financiers. C’est la première fois que je rédige un script dans un pays étranger, c’est un processus de créativité très intéressant et très différent. Les Francais me donnent un accès énorme au cinéma que je n’ai pas en Indonésie.

Nous demandons à chaque réalisateur que nous rencontrons de nous parler d’une scène d’un film qui les a particulièrement touchés, fascinés, marqués et de nous la décrire en nous expliquant pourquoi.

La fin des Temps modernes de Charlie Chaplin avec le dernier plan montrant une longue route.Modern-Times-Chaplin-charlie-chaplin-30690758-2000-1544

Un dernier mot pour nos lecteurs ?

Regardez plus de films indonésiens (rires). En connaissant les autres, on peut créer la paix. Apprenons à nous connaître de plus en plus.

Propos recueillis par Julien Thialon à Vesoul le 11/02 lors de la 19ème édition du Festival International des Cinémas d’Asie.