Il habite Paris, elle est à Tokyo. Ils sont réalisateurs, ils ont vécu ensemble. Pourquoi se sont-ils éloignés l’un de l’autre ? La question est posée par vidéo interposée.
Paris Tokyo Paysage, de Jinsei Tsuji : deux villes, deux âmes, une histoire en damier, belle comme un poème, tendre et drôle comme la vie. À ne pas manquer. Par Aiko.
Junya et Nanami sont tous deux réalisateurs. Ils ont vécu et travaillé ensemble pendant quinze ans, se sont séparés, mais continuent de s’écrire des lettres sous forme de vidéo, des lettres qui sont un journal intime filmé mais qui racontent surtout leur manque l’un de l’autre, même s’ils ne se l’avouent pas. Ils font des rencontres, chacun de leur côté. Junya l’androgyne rencontre Chantal, une artiste d’âge mûr qui lui propose de devenir son modèle, et sa fille Anna ; Nanami fait l’interview d’Otake, un danseur buto à la présence intense, qui a été le professeur de Junya. Mais, au travers de ces miroirs – de ces mirages, comme les nomme très justement Chantal – c’est leur amour l’un pour l’autre qui transparaît.
À propos du réalisateur : né à Tokyo en 1959, un seul nom ne saurait suffire à cet « artiste total » comme il se définit lui-même, connu au Japon comme poète, romancier, réalisateur, et chanteur de rock. Aussi est-il connu comme romancier sous le nom de Hitonari Tsuji, et sous celui de Jinsei Tsuji dans sa carrière de chanteur et réalisateur. Deux façons en fait de lire les caractères qui composent son prénom en japonais.
En tant que romancier, Hitonari Tsuji a écrit de nombreux romans qui ont remporté un grand succès, tant au Japon qu’à l’étranger. En France, il a reçu pour Le Bouddha blanc le prix Femina étranger en 1999. En tant que réalisateur, il a tourné notamment Hotoke (2001).
Sa première épouse était Kaho Minami, qui s’est depuis remariée avec l’acteur Ken Watanabe (Le Dernier Samouraï). Après son divorce, il s’est remarié avec l’actrice et chanteuse Miho Nakayama et vit depuis 2003 avec elle à Paris.
Cet artiste prolifique n’hésite pas à balayer large, et dans Paris Tokyo Paysage on sent bien une part autobiographique – Nanami / Minami aurait du mal à n’être qu’une simple coïncidence – mais aussi une grande liberté. Il n’hésite pas à faire intervenir des acteurs amateurs comme Chantal – qui est vraiment artiste et s’appelle vraiment Chantal – dans son propre rôle, il confie le rôle d’un journaliste à Dominique Bouchet, chef de renommée internationale, ancien chef du Crillon et propriétaire des restaurants Wa-Bi, présents à Paris et à Tokyo.
Il y a beaucoup d’humour et de tendresse dans ce film, à commencer par le postier parisien fan du Japon, qui tient la jambe à Junya chaque fois qu’il lui apporte une lettre.
Et pourtant Paris Tokyo Paysage est un exercice de funambule d’une précision extrême, dont les véritables protagonistes sont les deux villes. Deux équipes de tournage en simultané à Paris et Tokyo pendant un an, filmant le passage des saisons et la vie de la ville. Ce mélange de rigueur et de liberté dans l’improvisation et le montage donne au film une tonalité étrange et onirique. La photographie est somptueuse, le jardin d’enfant – image récurrente filmée de façon quasi obsessionnelle au printemps, en été, en automne, en hiver – acquiert une netteté quasi poétique ; comme pour un tableau impressionniste, on recule d’un pas et on est alors frappé de la force d’évocation de ce qui est dépeint, là où l’instant d’avant l’on ne voyait que des taches de couleur.
La caméra bascule sans prévenir d’une scène à l’autre, d’une façon qui peut paraître décousue ; Junya et Nanami se disent leurs espoirs, leurs interrogations, leurs doutes, d’un bout à l’autre du monde, tandis qu’autour d’eux la ville respire au rythme des saisons. Les taches de couleur se posent une à une, apparemment au hasard, la caméra abolit les distances, et par son accélération même le temps. C’est l’amour qui les lie, c’est la vie elle-même.
Aiko
Verdict : un joli film très sympathique, avec beaucoup de tendresse et d’humour, servi par une image magnifique et une grande liberté d’expression, qui nous laisse le sourire aux lèvres et l’optimisme dans le cœur.
Débat avec le réalisateur (1er décembre, Maison de la Culture du Japon)
Q: vous habitez Paris, est-ce la raison pour laquelle ce film s’y passe en partie ?
JT : Les personnages principaux de ce film sont Paris et Tokyo. Et c’est aussi important de montrer le temps qui passe et les saisons.
Q : Le film est très bien, magnifique. Je m’intéresse surtout à la bande son, comment l’avez vous conçue ?
JT : Avec deux équipes en simultané, le son existe en parallèle de l’intrigue. Le scénario existait avant le tournage, mais il a changé au cours du tournage. J’ai tenté de créer cette atmosphère pour que le spectateur se sente un peu perdu.
Q : C’est une idée très originale, très touchante, d’où en vient l’inspiration ?
JT : Je n’aime pas tout prévoir à l’avance… Ce film est à moitié un documentaire. J’ai commencé par filmer les saisons. Pour la danse buto, il y a eu un tournage pendant 5h avec plusieurs caméramen. L’intrigue était définie avant, mais elle a beaucoup évolué pendant le tournage, c’est pour cela que cela semble à un documentaire.
Q : Le tournage était simultané à Paris et Tokyo ?
JT : une équipe filmait les 4 saisons à Paris, une autre à Tokyo pendant un an, pendant la même période. Les scènes ont d’abord été tournées à Tokyo pendant un mois, puis l’équipe japonaise est venue à Paris pour les scènes concernant les personnages principaux. Peut-être vous souvenez-vous de la séquence des panneaux avec Nanami, elle a été tournée après, je m’étais coupé les cheveux, j’ai mis une écharpe pour le cacher. Un film c’est vivant, ça change tout le temps.
Q : Bravo pour ce très beau film. Je m’intéresse à votre direction d’acteurs. D’abord, ce n’est pas facile de jouer soi même. Et pour la direction des actrices françaises, vous avez un regard très analytique, très lent.
JT : D’abord, sauf Maki, ce sont des acteurs amateur. Cela faisait du sens dans ce film. Je regrette d’avoir joué moi-même dans ce film. J’ai beaucoup appris sur le jeu d’acteur par contre, cela va servir pour mon nouveau projet. Dans le film précédent, j’ai utilisé un célèbre catcheur japonais. Pas non plus un professionnel. Mme Chantal Perrin, je l’ai rencontrée à Tokyo et j’ai été impressionné par son charisme. Pareil pour Dominique Bouchet, je suis allé manger dans son restaurant, et j’ai vraiment été frappé par sa personnalité.