Premier coup de cœur du festival Kinotayo 2012, Death of a Japanese Salesman est un voyage dont personne ne peut ressortir indemne. Par Jérémy Coifman.
Quand Sunada Tomoaki prend sa retraite après 40 ans de dur labeur, rien ne semble le préparer à ce qui lui tombe sur la tête. Cancer de l’estomac, stade 4, inopérable. À 67 ans, Tomoaki sait qu’il est condamné.
Il décide de prendre les devants, organiser sa fin de vie, en homme méticuleux et prévenant qu’il a toujours été. C’est sa fille, Sunada Mami, qui le suivra, caméra au poing de l’annonce de sa maladie à son lit de mort. Elle est aussi sa voix. On entend ce qui aurait pu être les pensées de Tomoaki par la voix de sa fille. En plus d’insuffler une poésie certaine, c’est surtout un moyen de distanciation parfait et une vraie idée de cinéma.
Par bribes, on apprend à connaître Tomoaki. Sa vie au travail, ses nombreux sacrifices, sa vie de couple tumultueuse. On assiste à la transformation de cet homme passé de salaryman dévoué et « Workaholic » à un grand-père qui n’a qu’un souhait : passer le jour de l’an pour pouvoir voir ses petits-enfants une dernière fois.
On pouvait s’attendre à quelque chose de tire-larme et racoleur à la vue du sujet, mais dès les premiers instants, toutes nos craintes sont balayées. C’est de la mélancolie et de la poésie qui se dégagent de ce documentaire. C’est toute une vie qui défile sous nos yeux. Ce sont les regrets, les non-dits, les bons moments aussi. On discute autour d’une table, on joue, on profite de la vie, la maladie toujours au centre de tout, déclencheur d’une violente prise de conscience de Tomoaki. Toute sa vie passée à travailler comme un forcené pour rien ou presque. Comme il le dira vers la fin, il n’a pas beaucoup de chose à léguer à sa femme hormis leurs enfants qui s’occuperont d’elle quand il ne le pourra plus. Ses enfants, ses petits-enfants, ses amis, sont sa seule richesse. Le message est aussi simple que touchant. Il se dégage du film quelque chose de profondément bouleversant. Death of a Japanese Salesman est un film qui marque, durablement. Il vous hante encore après plusieurs heures, plusieurs jours. Parce que Tomoaki et sa famille sont terriblement attachants, mais aussi parce que le documentaire nous renvoie à notre propre expérience, à nos peurs, nos espoirs.
On retrouve dans Death of a Japanese Salesman un peu de l’inéluctabilité et la mélancolie latente de Without Memory, documentaire de Kore-eda Hirokazu, traitant d’un homme voué à tout oublier de sa vie. Rien d’étonnant donc d’apprendre que Sunada Mami a été assistante réalisateur de Kore-eda et que c’est le cinéaste lui-même qui produit le documentaire. Quelques séquences rappellent même son univers (notamment tout ce qui concerne les petits-enfants de Tomoaki). Sunada balade sa caméra, sans broncher ou presque, rendant un magnifique hommage à son père, un homme simple et drôle.
On finit le film terriblement ému, apaisé aussi, conscient d’avoir assisté à quelque chose de très fort émotionnellement et de précieux. Bien que la mort soit de tous les plans, c’est bien à une célébration de la vie que nous convie Sunada Mami et son défunt père. Les lumières se rallument, on sort de la salle, la vie reprend son cours. Pourtant, on a comme l’impression que rien ne sera plus comme avant.
Jérémy Coifman.
Verdict :
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