Critique de Romance Joe de Lee Kwang-kuk : Festival Asian Connection

Posté le 27 octobre 2012 par

La troisième édition du festival du cinéma asiatique en ligne, Asian connection, s’ouvrait avec la diffusion du film coréen Romance Joe de Lee Kwang-kuk. Le film a été sélectionné dans de nombreux festivals internationaux, y compris dans l’une des sections du 16ème Festival international du film de Busan où il a d’ailleurs gagné un prix. Le réalisateur nous offre ici un premier long métrage singulier de grande facture, emmenant son spectateur dans un labyrinthe scénaristique intemporel, entre fiction et réalité. Par Julien Thialon.

 

Lee Kwang-kuk commence sa carrière de cinéaste avec trois courts-métrages (I.D., Where Is Daddy et A Blind Alley) avant de se retrouver ensuite assistant sous la direction d’Hong Sang-soo, l’un des plus célèbres réalisateurs coréens en France avec Park Chan-wook, Kim Ki-duk et Im Sang-soo. Ils collaborent ensemble sur les films Conte de cinéma, Woman on the Beach, Les Femmes de mes amis et Ha Ha Ha. Après avoir fait ses premières armes, Lee Kwang-kuk repasse derrière la caméra pour réaliser son premier long métrage, Romance Joe, dans lequel on retrouve très rapidement la patte de l’auteur du tout récent In another country, matérialisée par de longs échanges tantôt comiques, tantôt émouvants, aux effluves éthyliques et culinaires autour d’une table.

Dans l’écriture du scénario, le réalisateur coréen témoigna qu’il a toujours eu en tête l’image d’une œuvre lithographique illusoire de Maurits Cornelis Escher : Drawing Hands. Et on en comprend aisément la symbolique au visionnage de son film. Ce dernier se traduit scénaristiquement par six histoires, se déroulant pour chacune d’entre elles à différentes époques, le réalisateur prenant un malin plaisir à embrouiller au maximum le spectateur dans ces scénarios, entremêlant passé, présent (s’il y en a un) et futur, sur lesquels il établit des interconnexions mais également de multiples incertitudes, poussant sans relâche le spectateur à poursuivre dans ce dédale intemporel cette vérité qui n’existe qu’en substance.

Trois niveaux de lecture dans Drawing Hands : la description iconique, le récit et le sens.

Car la réussite du film tient au fait que Lee Kwang-kuk nous laisse l’opportunité de décider jusque dans les derniers instants où se situent la réalité et la fiction. Serait-ce dès les premiers instants avec ce tableau de chevaux blancs, représentation mythologique universel de l’imaginaire ? Ou bien dans les incohérences progressives du récit dans lesquelles plus nous nous accrochons, plus nous perdons pied ? Ou bien encore avec ce dénouement irrationnel soudain, clin d’œil fort appuyé au cultissime Alice aux pays des merveilles de Lewis Carroll, où le réalisateur brise en quelques minutes par l’absurde exagéré, l’once d’un quelconque lien réaliste entre les trames qu’il avait tant essayé d’assembler, assumant volontairement l’idée que le cinéma est avant tout un outil de création.

Comme une impression de déjà-vu…

Un récit singulier en somme, non sans rappeler dans l’imbrication des scénarios la comédie romantique coréenne Art Museum by the zoo de Lee Jeong-Hyang et l’Inception de Christopher Nolan, lui-même s’inspirant des œuvres de Kon Satoshi qui proposait déjà à l’époque dans sa seule série animée Paranoia Agent, un épisode déjanté présentant les différentes tentatives joyeuses de suicide d’un groupe alors qu’ils étaient déjà morts depuis le début…

L’une des nombreuses interconnexions entre les scénarios laissées par Lee Kwang-kuk pour brouiller les pistes.

Le récit, complexe, se voit renforcer par une force d’interprétation de qualité. En effet, le réalisateur s’est très bien entouré pour son premier long métrage. Outre Kim Yeong-phil (Voice of a murderer, A dirty carnival, Radio Dayz), très convaincant en cinéaste dépressif aux tendances suicidaires, c’est bien Shin Dong-mi, actrice plus reconnue pour ses prestations dans des dramas (5th RepublicNew Heart, You are very good) que dans des longs métrages (A million et Don’t look back), qui tire son épingle du jeu avec son double rôle de call girl séduisante et compatissante, le tout ponctué d’un humour fin et léger agrémenté d’une musique discrète enfantine, jouant le pont entre chaque histoire. Même les rôles de la très jeune génération, dont Lee David (The Front Line, Poetry et que l’on retrouvera dans War of the Arrow au FFCP) et  Kim Sae-byeok (excellente dans Sunny), sont à la fois drôles, matures et touchants, prouvant que le réalisateur exerce un certain talent dans la direction qu’il tient avec ses acteurs de tout âge.

Julien Thialon.

Verdict :

Pour son premier long métrage, Lee Kwang-kuk propose avec ce film onirique contemporain un récit sur-mesure au spectateur qui, pour une fois, pourra construire sa propre histoire et s’interroger sur sa vision du cinéma.

Romance Joe sera également porté sur grand écran cette fois lors du FFCP avec deux projections, l’une le jeudi 1er novembre à 14h00 et l’autre le samedi 3 à 22h. Un rendez-vous à ne pas manquer !

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