The DMZ (Bimujang Jidae) est un atypique film de guerre coréen des années 1960 réalisé par Park Sang-ho, cinéaste prolifique, qui s’attaque ici au genre du film historique. Loin de tomber dans l’apologétique guerrière et la supériorité de la Corée du Sud sur la Corée du Nord, Park Sang-ho traite la question de la séparation du pays d’un point de vue réaliste en mettant en scène deux orphelins à la recherche de leur mère. Par Marc L’Helgoualch.
Résumé : En 1953, quelques semaines après la signature d’un armistice entre la Corée du Nord et la Corée du Sud, deux enfants errent dans la zone démilitarisée (DMZ en anglais), une bande de terre de 4 km de large et 248 km de long qui sépare au 38ème parallèle les deux pays. Il est interdit à tout citoyen de s’aventurer dans cette zone mais les deux enfants, un garçon et une fille, ont réussi, on ne sait comment, à passer les barbelés. Tous les deux viennent du Nord et sont à la recherche de leur mère qui a vraisemblablement fui au Sud. Livrés à eux-mêmes et totalement coupés du reste du monde, ils déambulent au hasard, entre les mines et les chars d’assaut abandonnés, rencontrant parfois des cadavres et des animaux sauvages.
The DMZ est le premier film tourné dans la zone démilitarisée, douze ans après la fin de la guerre. Pour ce faire, avant le tournage, Park Sang-ho a dû prévenir l’armée américaine et la Commission d’armistice militaire du Commandement des Nations Unies des endroits dans lesquels il voulait filmer. Pas facile de choisir quand on ne connaît pas les lieux ! Comme l’explique Park Sang-ho trente ans plus tard, il lui était totalement impossible de tourner hors des endroits préalablement choisis. La raison principale n’est pas anodine : la zone démilitarisée est parsemée de mines et l’armée devait d’abord sécuriser le terrain. Le film montre tout de même de grands espaces fascinants et lugubres, comme dans certains films de Jean Epstein et Philippe Garrel. S’il n’a pas été un succès public, The DMZ a reçu le prix du meilleur film dans la catégorie « documentaire » lors du 13ème Festival du film asiatique. Il a même été projeté aux États-Unis, en Inde et à Hong-Kong.
Situons The DMZ dans le contexte historique et artistique de la Corée du Sud de l’époque. À la fin de la guerre de Corée, le conflit militaire armé fait place à un conflit idéologique entre le communisme et le capitalisme. Le cinéma est l’un des principaux vecteurs de cette propagande, notamment grâce aux films de guerre.
Les films de guerre entre le Nord et le Sud sont très codifiés : tout comme le cinéma nord-coréen, celui du Sud sert ouvertement de propagande politique. Il tente de persuader le spectateur de la supériorité du régime politique du Sud et interdit de faire l’apologie du communisme. Le film de guerre anticommuniste devient même un genre à part entière. Dans son essai « Le film historique » publié dans « Le cinéma coréen », Yi Hyon écrit : « la plupart [des films] visent à distraire par des scènes de combat et, en même temps, l’interprétation idéologique reste unilatérale et peut se résumer à : l’armée de la Corée du Nord est barbare, peureuse et cruelle, tandis que celle du Sud est justicière et humaniste ». Cette vision officielle simpliste ne plaît pas à tous les réalisateurs. En 1964, Lee Man-hee est poursuivi et arrêté pour violation des lois anticommunistes ; les copies de son film The Seven Female Prisoners sont confisquées.
Avec The DMZ, Park Sang-ho détourne les codes et impératifs de l’époque pour livrer une vision moins manichéenne et plus réaliste. C’est donc naturellement que le réalisateur fait de deux enfants – forcément innocents et apolitiques – les protagonistes de son film. Loin d’exalter les forces armées, Park Sang-ho montre les atrocités de la guerre dont sont victimes deux enfants, devenus orphelins, qui errent dans un décor détruit rempli de cadavres, de bâtiments délabrés et de champs de mines. La scène où le jeune garçon pisse sur la frontière artificielle entre les deux pays pour marquer son propre territoire est particulièrement poignante quand on pense aux millions de personnes mortes lors de la guerre, pour en arriver à cette situation. The DMZ est un film avant tout humaniste qui refuse de faire l’apologie de la guerre, comme il est de rigueur dans ce type de film. En dehors du cas coréen, on peut penser à des productions hollywoodiennes de propagande comme Guadalcanal de Lewis Seyler (1942) ou Air Force de Howard Hawks (1943).
Aujourd’hui, d’autres films traitent encore de la séparation du pays et de la zone démilitarisée, de façon fort originale, comme Joint Security Area de Park Chan-wook (2000) et Coast Guard de Kim Ki-duk (2002). Rappelons que le Nord et le Sud sont encore officiellement en guerre et que les deux gouvernements sont en pourparlers continuels mais délicats pour un rapprochement et – in fine – une réunification.
Le DVD
Longtemps considéré comme perdu, The DMZ a été restauré en 2005 par l’institut Korean Film Archive et publié en DVD en 2010. On y trouve le film sous-titré en anglais ainsi qu’un documentaire de 45 minutes sur l’œuvre complète de Park Sang-ho. Ce documentaire très intéressant donne la parole à Park Sang-ho lui-même, au célèbre réalisateur Shin Sang-ok, à l’actrice Yun Seok-hwa, et aux critiques Kim Jong-won et Cho Hee-moon. Park Sang-ho a réalisé 24 films entre 1956 et 1971, parmi lesquels Family Meeting (1962), A Happy Businesswoman (1963) et A Child Who Was Born in the Year of Liberation (1967). En 2000, Park Sang-ho a été récompensé d’un prix d’honneur pour l’ensemble de sa carrière, lors des Grand Bell Awards (l’équivalent coréen des César). En 2001, l’institut Korean Film Archive lui a consacré une rétrospective. Son œuvre est pour l’instant largement ignorée en dehors de la Corée.
Verdict :
The DMZ de Park Sang-ho est disponible en DVD, édité par Korean Film Archive.
Marc L’Helgoualc’h.