Avec seulement cinq films au compteur, Allen Fong est l’une des figures les plus discrètes de la nouvelle vague Hongkongaise. Adepte d’une approche réaliste, le cinéma de Fong s’ancre dans un climat social laissant la part belle aux rapports humains. A l’occasion de Paris Cinéma, nous avons eu l’honneur de rencontrer ce réalisateur rare et précieux, dont la sensibilité a donné naissance à quelques chefs-d’œuvre du cinéma de Hong-Kong. Par Anel Dragic
Pouvez-vous nous résumer votre parcours avant que vous ne commenciez à faire des films ?
Vous voulez dire avant mes douze ans ? J’ai commencé à faire des films à l’âge de douze ans (rires). Avant cela, je ne sais pas, je n’étais pas conscient. Avant même mes 12 ans en fait, peut-être même vers mes 8 ou 10 ans. Dans Father and Son, il y a une scène d’incendie parce que l’enfant fait des expérimentations. Il tente de faire de l’animation maison. Cela vient de moi. Il y a également Charlie Chaplin, tous ses films que j’aime tant. J’ai commencé très tôt à faire les choses par moi-même. Et parallèlement j’allais à l’école, j’ai fini mes études de cinéma à l’université. J’étais assez confiant sur le fait que j’allais faire une carrière de cinéaste.
Comment êtes-vous entré dans le milieu de la télévision ?
J’ai étudié aux USA, je suis rentré à la maison et mon premier travail a été d’être assistant de l’assistant de l’assistant de la station de télévision (rires). Je faisais toutes sortes de choses. Les gens m’ont demandé pourquoi j’avais accepté ce poste, alors que ce n’était pas payé. On me disait « tu peux aller dans une banque, tu as un diplôme. Va dans une banque, tu auras un bon salaire ». A ce moment je leur ai répondu que c’était mon choix, ma décision, ma carrière. Donnez-moi n’importe quoi lié à l’industrie du film, je serai heureux. Graduellement, j’ai commencé à leur être de plus en plus utile.
Comment c’était de travailler pour la télévision, notamment Below the Lion Rock ? Aviez-vous beaucoup de libertés ?
La politique de la chaîne était de la propagande pour le gouvernement britannique. Ils disaient ce qu’ils voulaient, de manière subtile. Des fois, c’était aussi le cas contre le gouvernement. Par exemple, s’il y avait des problèmes de logement, les bons et mauvais côtés se rencontrent et forment une discussion. Eventuellement vous pouvez arriver à une conclusion qui mette en cause le gouvernement. Dans cette situation, il y a des limitations. En plus nous n’avions pas d’argent, pas de pouvoir. La chaine de télévision venait de commencer à exister et nous n’avions pas d’expérience. Telles étaient les limitations. Et nous avions la liberté. Si vous ne saviez rien, vous faisiez n’importe quoi. Vous ne saviez pas faire un film, contentez-vous d’expérimenter. Cela devient votre liberté.
Vous avez ensuite fait des films de cinéma. Comment avez vous percé dans cette industrie ?
En travaillant pour la télévision, j’ai gagné un prix. Il semblait que tous les trois mois, j’avais un prix. J’allais dans les festivals et les gens me donnaient une récompense. Les gens ont commencé à me reconnaître. A ce moment, les studios s’effondraient. Pas parce qu’ils n’avaient plus d’argent mais parce qu’ils perdaient leur public. Ils perdaient le contact avec la réalité. Ils avaient besoin des réalisateurs de la nouvelle vague. C’est à cette époque que la Sil Metropol m’a contacté pour faire des films dans mon style. Ils m’ont demandé de les rejoindre, m’ont dit que je serais très peu payé, que l’on travaillerait très dur sur le script afin qu’ils approuvent et que j’accepte. Ce processus a pris plus de deux ans. Pendant deux ans, j’ai travaillé sur le script, j’ai appris à connaitre l’équipe de production de la Sil Metropol afin de savoir ce qu’ils pouvaient faire. Il y a eu une longue attente, plusieurs fois le script n’a pas été approuvé. J’ai dû le réécrire encore et encore. Au début, je leur ai dit que je voulais faire un film sur mon père, ils m’ont traité de fou. Ce n’est pas le genre de projet qu’ils voulaient. Father and Son n’est pas commercial, ça ne fait pas d’audience. Ils m’ont donné plein de retours mais c’était toujours négatif. Progressivement, je les ai convaincus. Mais eux : « Ton père ? Qui est-il ? C’est un président ou quelqu’un d’important ? Pourquoi veux-tu faire un film sur lui ? ». Ils ne voyaient pas que les gens du commun ont aussi des relations.
Father and Son est en partie autobiographique. Pouvez-vous nous dire quelle part du film vient de votre vécu ?
C’est universel. Cela arrive à tous les individus. C’est la seconde où tu réalises que ton père est vieux et que tu dois t’occuper de lui. Tu grandis. Comment en arrive-t-on à cette étape ? C’est comme cela que l’on devient mature, que l’on devient un homme. Father and Son est à propos de cette relation. Je suis arrivé à un point où je réalise que je peux faire des choses pour les autres, que je ne demande rien à mes parents. C’est le tournant de ma vie. C’est également ce que je veux exprimer dans ce film.
Vos films ont une approche presque documentaire. Qu’est-ce qui vous intéresse là dedans ?
Comme je viens de la télévision, j’ai un passé journalistique. J’ai consciemment et inconsciemment essayé de me battre contre le système hollywoodien. Je ne l’aime pas, je ne sais pas pourquoi. J’ai toujours pensé que plus on a de budget, moins on a de liberté. Je me suis demandé comment on pouvait faire un film qui soit sans budget et bon à la fois. A cette époque, j’aimais juste faire comme les documentaires, filmer la vie des gens. J’ai découvert que c’était possible de faire comme ça, et cela m’a été plus gratifiant. Progressivement, c’est devenu mon style. Au départ, je ne le savais pas. J’utilisais de vrais gens, de vraies histoires et je me suis senti plus à l’aise avec ça.
Comment s’est passé le tournage de Father and Son ? De combien de jours disposiez-vous pour tourner ?
En général, mes budgets sont très bas. Comme je ne disposais pas d’un budget hollywoodien, en contrepartie je leur ai demandé de me laisser du temps. Du temps à passer avec les artistes, que je devienne ami avec eux. En général, le temps de production est long, la durée de tournage est anormale. A Hong Kong, les durées de tournages allaient de 20 à 30 jours. En général je ne les dépassais pas. Par contre, il m’arrivait de tourner parfois quatre jours en un seul mois. Donc cela prend plus de temps. Et la pré-production était très longue. Father and Son a été réalisé après deux ans de négociations. A l’époque, pour moi deux ans c’était très long. Maintenant je considère que c’est court car je veux vivre longtemps (rires). C’est relatif.
La nouvelle vague a apporté avec elle un cinéma beaucoup plus urbain que les genres en costumes populaires dans les années 70. Pensez-vous qu’il y a eu un besoin de la part de la société hongkongaise de passer à autre chose ?
Bien sûr. Cela change tout le temps. Durant les dernières années du gouvernement britannique. Au cours des dix dernières années, le gouvernement britannique a voulu faire du bon boulot. Parce qu’ils partaient. Ils ne voulaient pas que l’Histoire en garde une mauvaise image. Durant les dix à vingt dernières années (ndlr : avant la rétrocession de 1997), ils ont tenté de construire une société meilleure. Je trouve cela dommage qu’ils n’aient pas essayé de le faire plus tôt, qu’il ait fallu attendre les dix dernières années.
Mais on a eu de la chance. On a travaillé très dur. Quand on a fait des films, à notre époque, on ne s’appelait pas la nouvelle vague. Ce n’est arrivé qu’après. On s’est dit qu’en France ils avaient une nouvelle vague, pourquoi on ne s’appellerait pas de la même manière ? Il n’y a pas de comparaison, chaque endroit est unique. Les jeunes sont toujours agressifs, veulent se prouver leur valeur, être important. C’est la beauté de la jeunesse.
Parlons un peu de Hong Kong. Qu’est-ce qui a réellement changé ces quinze dernières années à Hong Kong, dans le quotidien des gens, depuis la rétrocession ?
Je vis maintenant à Vancouver. J’ai quitté Hong Kong il y a à peu près sept ans, alors ce que je vois n’est probablement pas très précis. Ce n’est que mon ressenti personnel. La vie change à chaque minute, chaque seconde. Je ne peux parler que de mon point de vue. De ce que l’on peut voir dans mes films, à cette époque, Hong Kong se battait avec la pauvreté. Aujourd’hui, Hong Kong est plus riche. C’est différent de mon époque. Mes films ont trente ans maintenant. Cela fait une grande différence avec aujourd’hui. A mon époque, pour vous donner un exemple, les gens vivaient pauvrement. La majorité des résidents à Hong Kong, y compris leurs parents, étaient de Chine populaire. Quand ils ont déménagé de Chine, les réfugiés au début ne restaient pas à Hong Kong. Ils ne venaient pas avec l’idée de rester définitivement à Hong Kong. Ils pensaient que ça serait une transition, pour cinq ou six ans, puis qu’ils iraient en France ou aux Etats-Unis. Mais la plupart sont restés. Hong Kong est devenue leur patrie. Ils ont tout laissé en Chine, maison, famille, et ont commencé une nouvelle vie à Hong Kong dans un environnement très pauvre. Il y a eu beaucoup de changements entre ces jours là et aujourd’hui. Le monde change également. Mais il y a des choses qui ne changent pas.
Comme quoi ?
Comme un père et son fils (en anglais « Father and Son« , titre de son premier film), l’amour, le romantisme… L’être humain ne change pas, seulement son environnement. Ils pensent encore que ce qui est en dehors de leur pays est meilleur. Ils veulent aller en Amérique, sur la Lune… L’impulsion des êtres humains les pousse toujours à vouloir mieux. Et le jour où ils arrivent sur la lune, ils se rendent compte que c’est pareil, que l’on a toujours besoin de dormir, de manger, et ils se mettent en recherche d’un autre endroit. Je pense que cela ne change pas.
C’est ce qui vous a poussé à partir au Canada ? Pourquoi ne pas être resté à Hong Kong ?
Pour plusieurs raisons. Je suis aussi un être humain, je veux voir le monde. Mais également à cause de ma santé. Ce corps n’est pas parfait. J’ai commencé à être malade alors je me suis dit qu’il fallait ralentir. Ma femme est canadienne, donc elle a commencé à s’occuper de moi.
Voudriez-vous faire à nouveau des films ?
S’il y a une chance, bien sûr. Mais c’est difficile. Même si j’étais resté à Hong Kong, cela devient plus compétitif. Hong Kong est un endroit plus commercial, encore plus qu’ici en France. Le critère c’est l’argent. Votre valeur dépend de combien vous pouvez rapporter. Si vous êtes riche, vous avez un statut. Vous êtes honoré parce que vous êtes riche. Tout est évalué selon l’argent. Le milieu du cinéma ne diffère pas. Si vous avez du succès, c’est parce que vos films en ont. Vous avez de l’audience, du profit, sinon c’est très difficile pour vous de monter un projet. Pour moi ? Une fois tous les dix ans peut-être.
Que pensez-vous du cinéma de Hong Kong aujourd’hui ?
C’est un cinéma très énergique.
Encore aujourd’hui ?
Je pense que oui. C’est un mode différent. Le cinéma est un reflet de la vie, de la réalité. Les films réalisés reflètent la situation d’un endroit, consciemment ou inconsciemment. Hong Kong a été une ville très active. Dans les films de Hong Kong, on peut voir ça. Il y a de l’action, des drames, des kung fu…, une grande variété de films. Mais une majorité des films suit Hollywood. Aujourd’hui je pense que les films de Hong Kong ont plus de succès qu’Hollywood parce que le marché s’est ouvert sur la Chine continentale et Taïwan. Je suis très optimiste pour l’avenir du cinéma de Hong Kong.
Ne pensez-vous pas que la censure est un frein à la créativité ?
Aujourd’hui, ou dans le futur, il est toujours difficile de faire des films. De mon temps, c’était encore pire. On avait un système de studio digne d’Hollywood. On n’avait pas de chance de travailler dans le cinéma si l’on n’en faisait pas l’apprentissage. On commençait à 15 ans et on grimpait les échelons et, si vous aviez de la chance, vous pouviez peut-être devenir assistant-réalisateur. A l’époque, on a pris ça comme un challenge. On était jeune, on n’avait pas d’opportunité, pas d’argent et soudainement il y a eu quelque chose qui s’appelait la télévision. Les gens ont commencé à se dire « Si je ne peux travailler pour les studios, si c’est le futur de l’industrie du film, alors je vais aller à la télévision ». C’était un choix difficile. Alors je suis parti à la télévision. On prenait une caméra, on sortait, on nous donnait 200 dollars et on faisait nos propre trucs. Aujourd’hui, la situation des jeunes réalisateurs est meilleure. On a les DVD, on a Final Cut Pro. On peut faire des films si facilement. La seule limite est dans votre esprit. Ils ne peuvent pas dire qu’ils n’ont pas leur chance. Il y a les caméras numériques, Apple… La limitation n’est pas importante, le challenge est important. La vie, c’est comment venir à bout d’un challenge. On est allé à la télé, on a fait nos propres trucs. Il y avait un gros pouvoir des studios, ce qui n’est plus le cas maintenant. C’était le challenge.
Pensez-vous qu’il y ait une chance qu’apparaissent une nouvelle « nouvelle vague » à Hong Kong ? D’où pourrait-elle venir ?
Elle viendrait de la jeunesse. De YouTube, Internet, n’importe où. Il faut commencer par faire des choses par soi-même. Il ne faut pas vouloir commencer au sommet de l’échelle. Eventuellement, ils y arriveront. Pour commencer, faites quelque chose par vous-mêmes, écrivez. C’est ça la nouvelle vague. « Ecrivez un script par semaine », voilà la nouvelle vague.
Propos recueillis par Anel Dragic le 04/08/2012 dans le cadre de Paris Cinéma.
Photo : Julien Thialon.