East Asia a eu l’opportunité d’interviewer la légendaire Kara Hui, invitée au Festival Paris Cinéma. Débutant à la Shaw où elle tourne pour les plus grands noms de la compagnie (Chang Cheh, Li Han Hsiang, Lau Kar Leung…) elle devient par la suite une des reine de l’action urbaine, brillant dans quantité de « girls with guns ». On la retrouve à partir des années 2000 dans des films très divers où sa carrière prends une orientation plus dramatique. Cette grande dame du cinéma de Hong Kong revient pour nous sur ces différentes périodes de sa carrière. Interview de Anel Dragic, vidéo de Flavien Bellevue.
Comment avez-vous rencontré Lau Kar Leung ?
J’ai rencontré Lau Kar Leung sur le tournage de Dirty Ho. A l’époque, sur ce film là, je devais jouer un petit rôle de prostituée. Le rôle féminin devait être interprété par une autre actrice mais c’était trop dur pour elle physiquement. Au bout de quelques jours de tournage, elle a abandonné. Ils ont dû trouver une remplaçante en vitesse. Lau Kar Leung s’est souvenu que, parmi les filles qu’il avait vues, je pouvais faire l’affaire. C’est comme ça que je suis entrée dans le cinéma de Lau Kar Leung. À l’époque, je connaissais plutôt les arts martiaux du Nord. Lau Kar Leung était un maitre du sud. Il se servait par exemple beaucoup des pieds. Ce n’était pas la même façon de procéder. Quand il chorégraphiait une scène d’action, c’était l’école du Sud alors que le personnage et moi étions du Nord. Petit à petit, c’est comme ça que s’est établie notre relation.
En faisant des films d’arts martiaux, avez-vous suivi un entrainement, et était-ce difficile ?
Absolument pas. On apprenait tout sur le plateau. Je suis futée, je n’ai pas besoin d’entrainement (rires).
Lau Kar Leung savait-il comment serait sa chorégraphie en arrivant sur le plateau ou bien faisait-il en fonction des acteurs à sa disposition et des idées qui lui venaient ?
Quand on tournait à la Shaw Brothers on avait un scénario, tout était écrit à l’avance. Quand Lau Kar Leung arrivait sur le plateau, on savait ce que l’on allait faire. Sauf que lui arrivait avec ses propres idées et on ne savait jamais ce qu’il allait nous proposer. En gros, on savait ce que l’on allait faire, mais les détails c’était son affaire.
Pouvez-vous nous parler de votre collaboration avec Li Han Hsiang ?
Un jour, j’ai lu une annonce dans un journal. La Shaw Brothers cherchait des acteurs pour une adaptation du Rêve du pavillon rouge, par Li Han Hsiang (ndr: The Dream of the Red Chamber avec Brigitte Lin et Sylvia Chang). Je voulais absolument participer à ce film donc j’ai écrit à la Shaw Brothers. On ne m’a pas répondu. Quand je suis entré à la Shaw grâce à Chang Cheh, finalement on m’a pris pour jouer un petit rôle dans The Dream of the Red Chamber. Je me souviens que je suis même allée me plaindre auprès de Li Han Hsiang pour lui dire que l’annonce de casting pour recruter des gens, c’était du bidon. Ça avait dû le marquer car il s’est souvenu de moi. Il m’a ensuite proposé de jouer dans plusieurs de ses films. Il avait dit que j’étais une femme d’action. C’est quand même plus ou moins grâce à moi qu’il avait commencé à changer de registre. Tout le monde savait qu’il n’aimait pas tourner des films d’action. Il tournait des films historiques, mais vers la fin il a quand même écrit quelques rôles où je pouvais déployer mes talents d’artiste martiale. Li Han Hsiang sur le plateau, c’était un maître. Il m’apprenait à jouer, et c’était quelqu’un de très sévère. Quand quelque chose n’allait pas, on recommençait jusqu’à ce qu’on y arrive. C’était un professeur pour moi. En réalité, c’est sur ses plateaux que j’ai appris à jouer.
Comment c’était, un tournage avec Chang Cheh ?
Tout d’abord, Chang Cheh était un très grand lettré. C’était un très grand calligraphe, un très grand peintre. C’était quelqu’un de très cultivé. Sur le plateau, c’était quelqu’un de très zen. Il était à l’opposé de Li Han Hsiang. C’est quelqu’un qui était très calme. Je me souviens qu’un jour, il y avait un spot qui était tombé à côté de lui. Comme si de rien n’était, il a continué à tourner. Un autre jour, il se coince les doigts de la main dans une porte, personne n’avait vu l’accident, il n’avait pas crié. Quelqu’un a ouvert la porte, tout le monde a vu qu’il saignait. Voilà le style de personnage qu’il était. Quand on tournait avec lui, c’était très cool. Il était souvent assis sur son siège, parce qu’il était malade. Il avait des problèmes de dos, il ne pouvait pas trop se lever. Il avait également un problème de vue. C’est pour ça qu’il portait d’épaisses lunettes noires, parce qu’il craignait la lumière du soleil. Il n’était pas en bonne santé, il était souvent fatigué et il était très gentil avec ses comédiens, ses techniciens. Il nous laissait faire. Souvent, on le croyait endormi. Puisqu’il dormait, on ne faisait rien, on s’amusait. Et de temps en temps il se réveillait soudainement et il disait » Bon allez ! Arrêtez vos bêtises, je vous ai vu. Continuez à travailler ! « . C’est le souvenir que Chang Cheh m’a laissé, contrairement à Li Han Hsiang qui était quelqu’un de très sévère, qui engueulait tout le monde parce que c’était un perfectionniste. Chang Cheh était quelqu’un de très gentil quand je l’ai connu.
On dit que le cinéma de Chang Cheh est très masculin. Qu’est-ce que ça faisait d’être une femme sur un plateau de Chang Cheh ?
En fait, ça ne marchait pas comme ça. J’étais une privilégiée parce que c’était lui qui m’avait fait entrer à la Shaw, avec la trilogie Brave Archer. J’étais devenu sa « fille adoptive ». Il avait plein de « fils adoptifs » mais j’étais sa seule « fille adoptive ». Quand il m’a connu, j’avais quinze ans, j’étais une ado. Pour lui, j’étais sa fille, il prenait soin de moi. Dans les films de Chang Cheh où j’ai joué, j’avais un vrai rôle. Je n’étais pas la potiche de service. Soit je ne jouais pas dans ses films, soit j’avais un vrai rôle, donc je ne me sentais pas délaissée par tout cela.
Après, vous avez trouvé un vrai rôle dramatique, qui vous a sorti du cinéma d’arts martiaux avec Family Light Affairs d’Alfred Cheung. Est-ce que ça a été un rôle important pour vous ?
En fait, j’ai voulu me servir de ce film pour changer de registre. On me cantonnait dans les rôles de combattante, j’avais une image de femme d’action. Je voulais vraiment me servir de ce film pour changer de direction dans ma carrière. J’ai tourné ce film avec Alfred Cheung, le résultat était très bon sur le plan artistique. Au niveau des entrées, ça a été un succès au box office. Malheureusement, les gens de la Shaw Brothers à l’époque n’ont pas voulu que je change de registre.
Au cours des années 80 à Hong Kong vient la mode girls with guns. Comment avez-vous vécu personnellement ce tournant ?
Quand j’étais à la Shaw Brothers, quand on tournait des films d’action, on avait du temps. On pouvait faire quatre plans par jour et mettre plusieurs jours pour tourner une scène. On était dans un environnement sécurisé. Quand je suis parti faire des girls with guns, comme c’était indépendant, les conditions de travail n’étaient plus les mêmes. Il n’y avait plus ce filet de sécurité. Les réalisateurs et producteurs étaient très exigeants sur les scènes d’action. C’étaient des scènes dangereuses mais je devais les exécuter toute seule, ce qui fait que pendant le tournage de ces films, j’ai engrangé un nombre incalculable de blessures. Souvent ma blessure n’était même pas guérie qu’on me demandait de retourner sur le plateau. On peut dire qu’à cette époque, j’ai vraiment gagné ma vie à la sueur de mon front. J’en ai gardé des séquelles physiquement, c’était une période très dure.
A la même époque, vous avez tourné des films avec la Sing Ga Ban, la stuntmen team de Jackie Chan. On peut voir sur certaines scènes que vous êtes doublée. Comment se passait les tournages ?
Je dois préciser que j’étais rarement doublée. J’étais contre l’idée d’être doublée. Je me souviens sur le tournage de ces films, il y avait une chute de quatre étages. Je l’ai faite toute seule. La chute a provoqué un accident, et j’ai eu un os brisé au niveau des pieds. Le décor devait être démonté le lendemain. J’ai été admise à l’hôpital, on m’a vaguement soignée et on m’a immédiatement ramenée sur le plateau. Malgré ma blessure, on a continué à tourner la scène d’action. Là, on a tourné des plans où je me battais avec mes mains. Je ne pouvais plus bouger le bas. Dans un autre film, je devais chuter de seize étages. On avait un câble. Le problème, comme c’était très dangereux, on n’avait pas de matelas. Un chorégraphe devait jouer un méchant et me donner un coup de pied et je devais passer par la fenêtre. Je me souviens de ce genre de chose. A l’époque c’était très dur mais j’étais rarement doublée.
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En 2001, vous avez fait Visible Secret d’Ann Hui qui redonne un élan dramatique à votre carrière. Que signifie ce projet pour vous, dans votre carrière ?
Effectivement, le film que j’ai tourné avec Ann Hui était le premier film de mon retour au cinéma. J’avais dû arrêter pendant cinq ans pour des problèmes de santé et Ann Hui était la première à m’avoir appelée. J’étais très surprise qu’elle m’ait proposé un rôle dramatique, mais elle m’avait dit à l’époque que c’est parce qu’elle m’avait vue dans certains films, comme des comédies, que j’avais un talent d’actrice, mis à part de celui d’artiste martiale. C’est grâce à ce film que les auteurs, les réalisateurs ont vu une autre Kara Hui. C’est comme ça que petit à petit, on m’a proposé des rôles dramatiques un peu plus conséquents, jusqu’à la consécration de At the End of Daybreak pour lequel j’ai reçu plein de prix.
Photos : Julien Thialon.