Le jeudi 17 mai se tenait à Paris dans les locaux de l’Institut d’Études Supérieures des Arts (IESA) un concours de nouveaux talents taïwanais à travers 10 courts-métrages dont le vainqueur s’est avéré être Reflection de Chuang Ching-Shen. Une opportunité pour East Asia de découvrir et partager avec vous ce cinéma si méconnu en France hormis TSAI Ming-Liang, ANG Lee, le défunt Edward YANG (auteur du chef-d’œuvre Yi Yi) et HOU Hsiao Hsien. Autant dire dès le début, que nous n’avons pas été déçus, loin de là ! Par Julien Thialon
Après une présentation en anglais et en français du concours devant une assistance majoritairement d’origine asiatique, on commence tout de suite par l’inoffensif mais plaisant Word Eater (語獸) de Ma Yu-Ting où une jeune fille parie sa voix pour garder son chat et il s’en suivra diverses péripéties comiques plus ou moins réussies dans un contexte très onirique. Le court ressemble à une comédie du cinéma coréen à qui il n’a rien à envier.
Puis vient Strangers in the city, de Chiou Zi-Ning, qui est un vrai délice auteuriste. L’histoire relate la vie d’Anna, jeune étudiante solitaire travaillant dans un bar. Aucun besoin d’un fil narratif ou de dialogues inutiles pour visualiser le quotidien déprimant d’Anna. Tout se passe dans le regard, son appartement est presque vide à l’exception d’un endroit où est regroupée sa documentation sur l’art et l’histoire. Son travail de barman est monotone et son retour chez elle se manifeste par ce bocal qui se remplit petit à petit des pourboires qu’elle obtient. Le réalisateur met en scène parfaitement cette sensation de vide, renforcée par une musique classique superbe dans sa tristesse. Puis vient l’enthousiaste Betty. Elle va viscéralement changer la vie d’Anna par sa créativité. Les deux actrices jouent magnifiquement bien, sans surjouer, et la mise en scène est simple mais ô combien efficace. Un vrai coup de cœur.
On passe d’un extrême à l’autre avec Family Reunion de Chen Li-Hua avec son animation complètement déjantée, amusante et atypique. En effet, on rit beaucoup devant un coquillage qui sert de téléphone ou bien des protagonistes qui passent à travers un lit. La morale n’en est pas moins intéressante et le court vaut vraiment le coup d’œil. On pourrait qualifier The Easter Wonderland de Mirror Shen comme un très court vu sa longueur (5min) mais riche en sensations et clins d’œil (Chérie j’ai rétréci les gosses, Cendrillon, Blanche-Neige). La musique est agréable avec ce garçon en quête d’aventure même si on regrette que ce soit si court.
On retourne par la suite du côté obscur avec Far From Home de Lu Nian-Hua où Li Chin et sa fille Lili cohabitent difficilement, Lili se faisant critiquer constamment par son père. Mais quand celui-ci décide de repartir dans sa ville natale en Chine, on perçoit la sensation de solitude qu’éprouvent les deux protagonistes comme dans ces plans flous, symbole d’abandon et d’avenir incertain. Les acteurs sont touchants, s’occupant l’un de l’autre mais n’osant jamais avouer franchement et sincèrement leur amour familial. Un bien beau court qui mérite amplement sa place dans la compétition.
Mother de Liu Chia-Hsin engendre dès ses premiers instants un réflexe immédiat : une impression de déjà vu du film de Kim Ki-duk, Souffle. Néanmoins, rapidement, le court bifurque vers un autre chemin, mais la comparaison est flatteuse et plus encore, le film apparaît maîtrisé de bout en bout et le spectateur n’a cette fois pas l’impression d’être l’objet du réalisateur. Sept ans après le meurtre d’une jeune fille, la mère de la victime et celle de l’assassin continuent leur chemin de croix, l’une soutenue dans la douleur par son mari compréhensif, et l’autre désespérément seule. Les protagonistes délivrent une éblouissante performance dans cette œuvre auteuriste au sujet rarement exploité.
Le vainqueur du concours, Reflection, de Chuang Ching-Shen, dépeint le quotidien de Lijun, une femme de 30 ans s’occupant de personnes handicapés. Son fiancé aimerait bien qu’elle arrête ce travail envahissant pour retourner à une vie normale sans imprévus. La première scène de la mariée sur la plage annonce d’emblée la couleur, sublimée par la mise en scène et le talent de l’actrice principale prise entre deux feux. Tout l’arsenal pour toucher le spectateur est mis en œuvre, de la scène choquante d’un handicapé tabassé par son propre frère à la scène hilarante de tirs de pépins de pastèques, il est bien difficile de rester insensible devant ce court même si une impression d’en faire trop apparaît.
Citizen Can de Lin Chun-Hua est incontestablement l’animation la plus singulière et la réussie de la sélection. Le réalisateur a vraiment fait preuve d’inventivité et immisce littéralement le spectateur dans son délire dénué de dialogues, accompagné d’une musique électro très accrocheur. L’animation pourrait très bien être portée sur grand écran, et même si dans sa deuxième partie, le court s’essouffle quelque peu et qu’on a du mal à voir où le réalisateur veut en venir, on apprécie grandement avec toujours au moins un sourire constant au coin des lèvres.
À peine remis de ces émotions, on enchaîne avec le plus court de ces courts, A life Time de Lucas Kao. Si court (2min30) qu’on passe tout de suite à Through the Night de Tsai Yann-Shan qui est quant à lui le court le plus long. Une escort girl débutante est dans une chambre d’hôtel avec son client ivre. Tous les deux vont échanger honnêtement sur ce qui les a poussés à être dans cette chambre . On a l’impression qu’il ne se passe pas grand-chose, le rythme est lent, les dialogues posés et les plans fixes nombreux. Et pourtant, on est subjugué comme ce superbe plan fixe métaphorique en haut d’un pont en pleine nuit avec une vue sur plusieurs autoroutes, chacune d’entre elles menant à une destination différente. Le dernier court est inédit à Paris. Intermezzo de Paula Tang consiste en un rassemblement familial entre frère et sœur autour de leur grand-père souffrant. Chacun ne pouvant supporter l’autre, c’est le non-dit qui domine cette œuvre émouvante.
Notre top 5 :
1- Strangers in the city
2- Mother
3- Through the night
4- Reflection
5- Far from home
La sélection proposée était d’un grand niveau, sans fausse note, une moitié teintée d’onirisme, la seconde beaucoup plus réaliste. On regrettera tout de même l’absence de courts historiques sans doute pour des raisons d’éventuelles censures. Un avenir on ne peut plus prometteur donc pour ces réalisateurs talentueux, en espérant que ceux-ci ne manquent pas de moyens financiers et de distribution dans les festivals.
Verdict :
Julien Thialon.