C’est à Vesoul, lors du FICA, que nous avons rencontré Teng Yung Shing, le très sympathique réalisateur de Return Ticket, en compétition officielle. L’occasion de lui demander des éclaircissements sur son film, ou de parler de HHH. Par Anel Dragic.
Comment êtes-vous entré dans le milieu du cinéma ?
J’ai commencé à la fac, au département des médias et télévision. J’ai d’abord commencé par faire de la publicité et enfin je suis passé à la réalisation de films. J’ai fait 27 ans de publicité et là c’est mon deuxième film.
Où avez-vous fait des publicités ?
À Taïwan, Hong Kong et en Chine.
Vos deux films s’intéressent à beaucoup de personnages. Qu’est-ce qui vous intéresse dans les films chorals ? Est-ce un style que vous cherchez à développer ?
Ce qui m’intéresse d’abord, ce sont les gens. Après, savoir si dans un film il y aura beaucoup ou peu de personnages, ce n’est pas le plus important. Les personnages, leur sujet, leur vie, leurs émotions, leur caractère, c’est plutôt ce qu’ils sont que je recherche.
Votre film, Return Ticket, se passe à Shanghaï (NDLR: Teng Yung Shing est taïwanais). Avez-vous cherché à capturer l’essence de cette ville ?
J’aime utiliser des éléments de ma propre vie pour créer des films. Ces dernières années, j’ai vécu à Shanghaï. J’ai utilisé les gens et ce qui se passe dans la vie autour de moi.
Il n’y a rien qui vous fascine dans la ville de Shanghaï ?
J’ai choisi Shanghaï tout d’abord parce que je travaille là-bas. Pour vivre ma vie, je préfèrerais Taipei à Shanghaï. Malgré tout, je travaille là-bas et la vie continue. Donc j’ai regardé les gens autour de moi, les relations, les gens se croisent et après j’ai eu l’idée d’en faire un film.
L’environnement est quand même très présent dans votre film. Quelles ont été vos indications à votre directeur photo, Hsia Shao Yu ?
Avant le tournage, Hsia Shao Yu et moi sommes allés sur tous les différents lieux de tournage. Notre relation est plutôt ouverte, c’est à dire qu’il a aussi le choix de donner son avis. On a discuté longtemps, chacun donnant son avis, avant de décider de la manière de tourner. Après avoir vu le résultat du film. après avoir vu les scènes, on a trouvé qu’on ne pouvait pas fabriquer la vie de ces gens-là, on l’a donc filmée comme ça.
Par exemple, cette sorte de non fabrication, de décision de ne pas recréer, c’est la décision qu’on a eu de ne pas rajouter de lumière puisque les gens qui habitent dans ce quartier n’allument pas la lumière pendant la journée et n’en allument qu’une toute petite le soir. On a vraiment utilisé cette façon de faire. On a gardé ce côté très très sombre.
Comment avez vous rencontré Hou Hsiao Hsien, qui est le producteur exécutif de Return Ticket ?
J’ai fait la connaissance de Hou Hsiao Hsien il y a vingt ans. Avant, j’avais une boîte de publicité et je connaissais un groupe de personnes idéalistes, romantiques, qui ne faisaient que des activités non lucratives : création de films et autres. Depuis les années 90, chaque mardi après-midi, ces gens-là de l’autre boîte venaient dans la mienne pour discuter. On parlait de films, d’histoires, d’idées de créations, mais on ne faisait que ça. À partir de là, d’autres personnes se sont jointes au groupe et Hou Hsiao Hsien en faisait partie. Il venait très souvent dans ma boîte pour discuter !
Quelle était l’implication de Hou Hsiao Hsien sur le film ?
Bien qu’on se connaisse depuis plusieurs années, on ne se voit plus très souvent. Hou Hsiao Hsien et beaucoup de Taïwanais ne savaient pas que j’étais en train de faire ce film. C’est après la fin du tournage, lors du montage, que j’ai montré le film à Hou Hsiao Hsien et que je lui ai demandé de m’aider. Il a enlevé certaines scènes et m’a expliqué pourquoi il avait fait ça. Sur le moment je n’ai pas compris ses raisons, mais après coup j’ai compris ses choix.
Il y a cinq scénaristes sur le film. Quelle est l’implication de chacun ? Est-ce que ça ou le rôle de Hou Hsiao Hsien a un rapport avec le fait que le film soit si elliptique ?
Tous les éléments de l’histoire se passent en Chine. Le premier scénariste est Yang Nan Chian qui est taïwanais. Il voit d’abord une image, les gens de Anhui. Il commence par cette image et il commence à chercher une histoire. Il a écrit deux versions. Le contexte c’est qu’en Chine on écrit un même mot, un même caractère mais la façon de parler, l’expression ou même la valeur peuvent être très différentes. J’ai pensé qu’il fallait diviser cette version du scénario en plusieurs parties. J’ai voulu faire participer des chinois pour mettre en perspective. J’ai choisi mes deux assistants-réalisateurs et moi-même pour écrire d’autres parties. On était donc quatre. On a complété une histoire ensemble puis finalement on a choisi l’actrice principale, Qin Hailu, à qui on a fait lire toutes les scènes. Elle est chinoise. Elle a donné quelques idées pour changer quelques petites choses ou scènes. Elle a permis d’avoir une certaine cohérence pour le contexte chinois. Les chinois n’ont donc pas eu l’impression qu’il s’agissait d’un film taïwanais.
Et pour revenir sur l’ellipse ?
C’est Hou Hsiao Hsien qui m’a copié (rires). Faire du cinéma c’est comme écrire un texte, c’est une écriture : chacun a sa façon. Pour moi, le caractère le plus important c’est une sorte de prose. Parfois, les phrases n’ont pas de continuité. Il y a une structure mais dans le chinois classique, il y a une économie de caractère. On ne met pas tous les caractères, il faut deviner avec quelques-uns seulement ce que la phrase veut dire. Je pense que ça vient de cette façon d’écrire.
Il y a une difficulté pour le spectateur. Il faut quand même comprendre un peu le contexte de la société pour mieux comprendre le film. Je trouve qu’au niveau narratif, il y a quand même une continuité mais on ne peut pas la percevoir sans comprendre le contexte, d’où viennent les gens, pourquoi ils sont là. Pour moi il n’y a pas d’ellipse parce que si l’on sait la valeur de leur vie, tout est collé ensemble.
Votre premier film (Love at 7-11) s’intéresse aux gens seuls, Return Ticket traite aussi de gens isolés. Qu’est-ce qui vous intéresse dans ce thème ?
De la naissance à la mort, la solitude est quelque chose que l’on doit affronter. C’est pour cela que je m’intéresse à savoir comment faire face à cette épreuve de la vie.
À la fin du film, l’héroïne ne retourne pas sur la tombe de son père. Pourquoi décide-t-elle de ne pas rentrer chez elle ?
Ce film est tout un rapport à la famille et à la maison. C’est le même caractère en chinois. Le film décrit comment les gens ressentent le rapport à la famille et à la maison. Pour elle, c’est quelque chose de très douloureux. Certaines personnes réagissent de différentes manières. Pour elle, c’est aussi la douleur et la blessure qu’elle a eues autrefois. C’est pourquoi elle ne veut pas faire face et rouvrir cette blessure. Ensuite, on voit qu’elle rentre chez elle, quand elle décide de ne pas rentrer. Elle ouvre la fenêtre, elle a besoin d’air frais, c’est comme si elle rentrait à la maison. C’est quelque chose de très intérieur et psychologique, c’est une manière pour elle d’être rentrée à la maison et d’apaiser la douleur.
Quels sont les réalisateurs que vous admirez ou qui vous inspirent ?
Beaucoup ! Wim Wenders, Godard, Edward Yang. J’aime aussi Ozu et Kurosawa.
Quel est votre moment de cinéma ?
J’aime beaucoup L’empire des sens d’Oshima. En particulier la scène où la femme est en train de laver par terre et qu’il filme ses fesses. Il y a quelque chose de très direct et courageux dans la manière de filmer. Pour le côté plus sérieux, il y a aussi un film qui m’a beaucoup marqué. Je n’avais pas envie de regarder d’autres films pendant cinq ans. C’est Paris Texas de Wim Wenders. À l’époque, je faisais beaucoup de pubs pour des voitures. À chaque fois que je cherchais la scène dans la rue, cela me faisait penser à ce film.
Un dernier mot pour les lecteurs d’East Asia ?
Return Ticket peut être résumé en une phrase : pour rentrer à la maison, il faut d’abord la quitter. Si on monte dans le bus pour rentrer, c’est parce que toutes les difficultés que l’on a rencontrées dans la vie nous y ont poussé. À ce moment là, on rentre chez soi.
Propos recueillis le dimanche 19 février à Vesoul par Anel Dragic.
Photos : Julien Thialon.
Merci à Wafa Ghermani et à Kuo Li-Chen pour leur traduction et leur disponibilité et au FICA de Vesoul.