Carnet de Deauville, jour 2 : Death is my Profession, Seediq Bale, Saya Samourai

Posté le 8 mars 2012 par

Deuxième jour à Deauville et trois critiques dans la poche : l’excellent Death is my Profession, le très réussit Seediq Bale en format de poche et le décevant Saya Samourai, nouveau délire de Matsumoto.

Survivre dans la peur

Death is my profession de Amir Hossein Saghafi par Jérémy Coifman.

Voyage dans un Iran froid et sans pitié pour le premier film iranien en compétition : Death is my profession d’Amir Hossein Saghafi.

C’est une première œuvre difficile pour ce jeune réalisateur né en 1986. Une de ces fictions qui marquent par leur âpreté et qui bouleverse par leur force dramatique. On sort de la projection lessivé et ému, mais assez chanceux d’avoir pu assister à un tel spectacle.

Saghafi construit un film en plusieurs temps, aborde plusieurs genres, effleure les personnages et entrecroise leurs destins. Il commence par le drame : une bande d’amis coupent des fils électriques pour quelques billets. Tout se passe mal, et le film passe de la quiétude à l’hystérie en un battement de cils. Les « cuts » sont violents, les cris et les coups le sont encore plus, c’est le début d’un film viscéral.

Le background s’impose à nous au fur et à mesure : une zone sinistrée dans les montagnes iraniennes, tout le monde est au chômage ou presque. Les hommes sont donc contraints à risquer leur vie pour pouvoir subvenir aux besoins de leur famille. Les rues sont mornes, la nourriture rationnée, les enfants placés dans les orphelinats par désespoir (poignante storyline de la petite fille et de son père incapable d’élever convenablement son enfant). Tout est esquissé dans Death is my profession, mais pourtant si fort. On ne sait pas vraiment le passé de ces gens, on n’en a pas besoin pour ressentir une empathie immédiate. Tout passe dans le regard dans lesquels les personnages semblent portés toute la misère du monde (le regard bleu-vert de Pejman Bazeghi, impressionnant).

L’aspect social est le centre du film malgré tout. Saghafi fait état d’une situation désespérée pour ces gens, contraints de survivre. Il pourrait être aisément qualifié de survival social. La deuxième partie du long métrage met deux des personnages principaux en proie à la nature impitoyable. Les scènes sont impressionnantes d’âpreté rappelant par moment l’Essential Killing de Jerry Skolimowski. Une longue errance où la mort rôde. Il est intéressant  de constater que cela répond  parfaitement à The Sun-Beaten Path vu précédemment, cette fuite vers nulle part, cette nature toute puissante et impitoyable. Les deux films partagent évidemment un côté métaphorique et symbolique.

Dans Death is my profession, la rudesse du climat, la difficulté à avancer des personnages et leur condamnation évidente à mourir dans ces conditions atroces sont toujours mis en parallèle avec le destin des autres restés au village. Bien que le climat y soit plus clément, les conséquences sont les mêmes. Saghafi parvient sans pathos, sans excès, à toucher au plus profond de nos êtres. Un film d’une maturité étonnante pour un si jeune réalisateur. Le grain très présent, les mouvements amples de caméra, sans esbroufe, la photographie sublime, tout montre un cinéaste plus que prometteur, sachant s’entourer et faisant preuve de beaucoup de tact et de sensibilité.

Finalement, Death is my profession ne laisse aucune place au bonheur, ni à l’espoir. Les gens meurent, le travail se fait rare. Cette femme qui attend la libération de son fils, le dit bien, elle n’a que ses yeux malades à léguer à son fils. Le long métrage se termine donc comme il avait commencé, une boucle sans fin, où le peuple n’a pas fini de souffrir. Superbe premier film.

Verdict :

Apart Together

Jérémy Coifman.

Warriors of the Rainbow

Seediq Bale de Wei Te-Sheng par Yannik Vanesse.

Le premier film de la sélection Action Asia se révèle enfin. S’il est dommage que Warriors Of The Rainbow : Seediq Bale, de Wei Te-Sheng, ne se dévoile que dans sa version internationale, cela n’empêche pas forcément d’apprécier le film à sa juste valeur. Alors, que vaut donc ce métrage ?

Le début du film fait immédiatement penser à Pathfinder. En effet, après que nous soit présenté en pleine action Mouna, le héros, courageux, sans peur et hautain, nous voyons Taiwan donné au Japon, et ces derniers envahir le pays. La résistance s’engage immédiatement, bien sûr, les autochtones n’étant pas du genre à plier devant l’oppresseur, avec des croyances et des coutumes que n’auraient pas renié les Vikings. Sauf que la dites résistance ne dure pas tout le film et est rapidement écrasée. Le réalisateur nous fait rapidement faire un bond de vingt ans en avant, alors que les Indigènes vivent tels les Indiens d’Amérique. Méprisés, exploités, sous-payés et se saoulant, ils ne vivent plus mais survivent, s’accrochant désespérément à leurs croyances. Même les quelques Indigènes qui se sont adaptés à la culture japonaise sont tout autant méprisés.

Cette haine générale, cette rage, s’engouffre dans le film et étreint tous les personnages. Elle ne se limite pas aux problèmes taiwano-japonais, mais vont bien au-delà, puisque certains clans se vouent une haine irrépressible… Mouna, à présent chef vieillissant mais indomptable et indompté, ne supporte pas un jeune chef qu’il a failli tuer dans sa jeunesse. Le dit chef ressent la même chose, à tel point que ce désir de tuer Mouna le fera décider de se ranger du côté des Japonais au moment de la rébellion qui ne manquera pas d’éclater.

L’ombre de Robert Howard plane sur le film. En effet, Mouna est tel Conan. Sauvage dans toute sa pureté et sa sauvagerie, il s’oppose à la civilisation, faible, corrompue, haineuse. Mouna, lui, est droit, ne se renie jamais. S’il a toujours prévu d’agir, c’est finalement un coup du sort qui le force à se rebeller plus tôt que prévu. À ce moment, le métrage passe en mode guérilla, trois cents indigènes s’attaquant aux Japonais.

Quand Warriors Of The Rainbow se pose et calme l’action. Il dépeint une réalité déplaisante, un quotidien triste, morne et sans avenir, où le fait de se civiliser implique de perdre son identité. Quand il explose en violence, il ne lésine pas sur la sauvagerie. Oubliant tout manichéisme (les Indigènes, luttant pour faire un sacrifice de sang à leurs ancêtres, n’hésitent pas à s’attaquer à femmes et enfants), le métrage plonge dans la violence. Décapitations (les Seediq collectionnent les têtes en trophées), giclées de sang, explosions, barbarie, l’ennuie ne risque pas de s’inviter à la fête. Hélas, parmi ce bonheur cinéphilique, quelques scories gâchent l’ensemble. En effet, Wei Te-Sheng utilise des effets spéciaux digitaux. Dès les premières scènes, nous les découvrons et remarquons un souci. Car très rapidement, les Indigènes chassent des animaux synthétiques très mal animés. Cela ne serait pas grave s’il n’y avait que quelques bêtes, mais, dans la deuxième partie du film, des avions volent et lâchent des bombes, des ponts sont détruits, des explosions sont digitales et… le résultat est indigne d’un Megashark Versus Crocosorus. Les paysages et les avions sont flous, les explosions sont abominables, tendant à rendre certaines scènes un peu ridicules, et c’est vraiment dommage. L’autre souci est un certain manque de subtilité. Les personnages préfèrent se suicider que céder, et, outre un excès de morts héroïques, le but de ce genre de scène est de ramener les Indigènes au niveau du code du Bushido, de faire ressentir aux Japonais qu’ils ont des racines communes. Il aurait pu parvenir à ce résultat sans insister autant.

Fort heureusement, si ces défauts empêchent le film d’être un chef-d’oeuvre, ils n’empêchent pas de l’apprécier. Des personnages forts (l’acteur incarnant Mouna est charismatique en diable et ferait un Conan vieillissant magnifique), une histoire et des traditions passionnantes (sans doute encore plus développées dans la version intégrale) et des scènes d’action carrément dantesques happent le spectateur pour l’emmener dans un univers fait de bruit, de fureur et de spiritualité, pour un voyage passionnant.

Verdict :

Apart Together

Yannik Vanesse.


Hara qui rit

Saya Samourai de Matsumoto Hitoshi par Victor Lopez.

Après un Symbol qui allait assez loin dans le nonsensique métaphysique (ou la causalité spinoziste revu la lumière du chat-bite), Matsumoto revient avec  un projet plus humble. Dans ce film, ni Dieu, ni maître : on suit l’errance d’un samouraï sans lame, chaperonné par sa petite fille. Après une altercation cartoonesque avec quelques tueurs poseurs, notre anti-héros, déserteur, se retrouve condamné à mort par sepukku. Un sursis de 30 jours lui est cependant accordé : s’il arrive à arracher un sourire au fils du seigneur qui le retient captif, il sera gracié. Chaque jour, Nomi va alors devoir trouver un nouveau gag, dans l’espoir de dérider le noblion touché de mélancolie depuis le décès de sa mère.

On retrouve ici l’humour répétitif et absurde qui fait le charme du cinéma de Matsumoto. Le réalisateur, cette fois uniquement derrière la caméra, filme le mystérieux Takkaaki Nomi improviser un nouveau numéro chaque jour, et échouer de manière pathétique à chaque reprise. Le souci est que l’échec du personnage est aussi celui du réalisateur : rares sont les scènes réellement réussies, et encore plus celles qui nous arrachent un sourire. Médiocrement comique, le film essaie de se rattacher à la corde sentimentale, centrant pudiquement son intrigue sur la triste relation père-fille qui relie les personnages. Mais là aussi, les traits sont trop grossiers pour réellement émouvoir.

Si Saya Samourai est une comédie pas drôle et un drame peu touchant, il parvient à mettre de manière assez intriguante son propre système en abime. D’abord condamné à faire rire les puissants, notre samouraï fait clown finit par attirer la foule vers ses spectacles. De plus en plus nombreuse, celle-ci fait flancher par ses goûts populaires l’intransigeance des riches. De façon parallèle, l’acteur apparaît comme une marionnette sans âme et personnalité, d’abord à la merci de ses commanditaires, puis de ses geôliers et de sa fille, qui deviennent peu à peu ses producteurs, scénaristes et managers.

La fin, assez touchante, verra le protagoniste redevenir maître de ses actions et de son spectacle. Mais la manière d’y arriver peu cependant surprendre par un retour assez passéiste à l’honneur et aux traditions japonaises d’un film qui voudrait par ailleurs venir bousculer l’ordre établi. Étrange retour des choses qui laisse un goût amer de la déception en bouche à la sortie du film.

Verdict :

Victor Lopez.

À lire également :

Carnet de Deauville : jour 1, ouverture (The Sun-Beaten Path)

Carnet de Deauville, jour 2 : Death is my Profession, Seediq Bale, Saya Samourai

Carnet de Deauville, jour 3 : The Sorcerer and the White Snake, Mourning,The Sword Identity

Carnet de Deauville, jour 4 : The Raid, Headshot, I Carried you Home

Carnet de Deauville, jour 5 : Himizu, War Of The Arrows, Bilan

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Un commentaire pour “Carnet de Deauville, jour 2 : Death is my Profession, Seediq Bale, Saya Samourai”

  1. Juste une mini remarque pour « Seediq Bale », en fait, il s’agit de la tribu Seediq, « bale » veut dire simplement , homme ( en gros on devient un homme/ bale quand on a décapité une tête).
    Et autre chose appréciable dans le film, c’est que le réalisateur a pour une fois respecté les langues, les Seediq parlent leur langue et non le mandarin, comme dans les films qui ont traité de cet épisode auparavant.

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