Michael Hui était de passage au dernier festival asiatique d’Udine au mois de mai dernier. Ces mots ont été recueillis lors d’une rencontre en public, animée par Roger Garcia (actuel directeur du Festival International de Hong Kong) et Tim Youngs (spécialiste du cinéma hongkongais). Il revient notamment sur ses tendances d’auteur schizophrène, sa passion de la cuisine (cinématographique), son amour pour le cinéma de Bud Spencer & Terence Hill et son invention du genre de la « kung fu comedy » malgré lui… Par Bastian Meiresonne.
Qu’est-ce qui fait rire les spectateurs d’aujourd’hui ?
La faiblesse des gens et de l’être humain.
J’aime beaucoup m’inspirer des personnes, qui m’entourent et surtout de leurs faiblesses et défauts. Une fois rassemblées, je fais la somme de toutes ces observations. Mes personnages sont donc tous construits en fonction de VOS propres défauts. C’est avec ça, que je fais rire les gens.
Charlie Chaplin a fait pareil. Rappelez-vous du tout premier gag de Chaplin : Charlot est en train de pêcher, mais au lieu de sortir un poisson de l’eau, il attrape une vieille godasse. Ça a fait rire la Terre entière. C’était son tout premier gag. Il a réussi à faire rire le public du monde entier avec son personnage, qui pêche une chaussure, au lieu d’un poisson… Il a donc réussi à se moquer de la faiblesse de son personnage, trop stupide pour attraper un poisson.
Comment vous en êtes venu justement à créer votre fameux personnage de « M. Boo » ?
Comme je l’ai déjà mentionné avant, j’ai créé mon personnage en m’inspirant de ce que j’ai pu observer chez les autres et notamment de mes congénères Hongkongais. J’ai vraiment repris tout ce qui pouvait me déranger chez les autres, « déranger » au point de m’en amuser. Je me suis donc accaparé de tous ces traits de caractère embêtants pour créer mon personnage universellement connu comme étant « M. Boo ». D’ailleurs « Boo » rappelle l’invective « Bouh !! » qu’on dit généralement, quand quelque chose nous déplaît.
Vous avez voulu témoigner de la société hongkongaise en créant votre personnage ?
Mon personnage est vraiment une synthèse de toutes les mentalités hongkongaises, que vous pourriez y rencontrer.
En fait, en revoyant certains de mes films ici à Udine, en Italie, j’ai été surpris, voire même « choqué » de constater à quel point un public européen, italien en l’occurrence, puisse partager le même humour que celui des Hongkongais en Chine. J’en conclus donc, que les défauts des humains sont plus ou moins le mêmes partout au monde. Tant qu’il restera des êtres humains sur cette terre, on aura toujours les mêmes types de défauts, comme la méchanceté, l’avarice, l’envie de causer du tort, etc.
L’humour a de tous temps su transcender les cultures et nations… Et cette nouvelle preuve d’un humour partagé me rend vraiment très heureux. Merci au festival de m’avoir invité et de m’avoir permis de me rendre compte de ça. J’ai compris, que l’humour ne connaît aucune frontière. Tant qu’il y a aura des hommes, il y aura de l’humour.
M. Hui, ce n’est pas difficile de séparer vos différentes fonctions en tant que scénariste, réalisateur et acteur sur le tournage de vos films ?
Ce ne l’était pas sur mes premiers projets en tout cas. En revanche, au fur et à mesure de ma carrière, ces différentes fonctions sont devenues un vrai problème pour moi. Le Michael Hui réalisateur était tout le temps en conflit avec le Michael Hui scénariste et acteur. En mon for intérieur, ces différents « aspects » de ma personne se sont livrés des vraies batailles – c’est d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles je n’ai plus réalisé de films depuis des longues années. En fait, le Michael Hui scénariste aimerait écrire des histories, que n’aurait pas envie d’interpréter le Michael Hui acteur, ni que ne voudrait réaliser le Michael Hui réalisateur. Je ne sais pas, si vous me comprenez, quand je parle comme ça… C’est très difficile à expliquer ! Par exemple, le Michael Hui réalisateur n’aimerait pouvoir réaliser que des films de science-fiction. J’ai dirigé The Last Message, un film, qui n’a pas très bien marché, d’ailleurs… Or le Michael Hui acteur n’aime pas du tout la science-fiction. Le Michael Hui acteur préfère jouer dans des histories contemporaines, ancrées dans la société telle que nous la connaissons pour pouvoir y placer ses pitreries ; alors que le Michael Hui scénariste aime s’imaginer des situations vraiment extraordinaires, totalement tirées par les cheveux. Ce qui nous donne donc un scénariste totalement loufoque, obligé de collaborer avec un acteur rationnel, les deux étant chaperonnés par un réalisateur fan de science-fiction… Je ne vous raconte même pas, quels combats intenses je livre au fond de moi-même.
En réalisant votre premier long-métrage, Games Gambler’s Play, vous avez parfaitement saisi l’état d’esprit hongkongais de son époque, qui a pourtant également été compris par un public étranger. Avez-vous pris conscience à un moment de votre carrière, que vous pouviez faire rire le monde entier avec un humour, que vous appliquiez pourtant – à la base – à la seule société hongkongaise ?
J’ai toujours comparé le fait de réaliser des comédies à celui de faire de la cuisine. J’essaye de préparer des bons petits plats typiques de ma région… qui est Hong Kong à ceux que j’aime… Il en va ainsi de mes comédies. Alors, comme je vous le disais, j’ai été presque choqué de voir des Italiens rire à peu près aux mêmes moments que les Hongkongais lors de la projection de Chicken and duck talk. Lors du tournage, je n’aurais jamais cru, que les Italiens allaient aimer mon « plat », c’est-à-dire ce film. Je n’ai pas pensé un seul instant à eux en jouant dans ce film. Jamais, je n’ai tenté de viser un public international. Encore aujourd’hui, je dédie ma « tambouille » avant tout aux membres, même si cela me fait évidemment plaisir, que les Italiens puissent également prendre plaisir à goûter mon plat.
Récemment, on m’a posé la question, comment je pensais pouvoir « intégrer » le marché chinois avec mes films typiquement hongkongais, sachant qu’il y avait des problèmes de censure et une certaine différence culturelle. Effectivement, je constate que beaucoup de mes collègues réalisateurs sont prêts à faire beaucoup de sacrifices pour intégrer le marché chinois. Je ne pense pas, que c’est la bonne manière de faire. Mon prochain film sera toujours un bon petit plat hongkongais avant tout destiné à mes « invités de table hongkongais ». Et si ce film – ou d’autres plus anciens – peuvent plaire à un public italien, pourquoi pas à un public chinois ? Je ne vais donc pas procéder à un quelconque sacrifice pour m’adapter. Je ne pense pas que ce soit utile, aussi longtemps que les gags et l’humour visent finalement les défauts et faiblesses universels de l’être humain.
Vous vous êtes toujours montré très attaché aux « petits gens » de Hong Kong et à des métiers purement alimentaires. Quels aspects et métiers de l’actuelle société hongkongaise aimeriez-vous montrer, si vous aviez la possibilité de faire un nouveau film ?
C’est une question très intéressante.
Pour moi, Hong Kong a quand même beaucoup changé depuis 1997 et je ne montrerai certainement plus les mêmes choses que celles que j’ai pu décrire dans mes anciens longs-métrages.
Ce que j’ai remarqué ces dernières années, c’est que toute occasion est bonne pour les Hongkongais pour manifester et montrer leur mécontentement. Les gens beuglent devant des banques, des restaurants…partout ! J’essayerai donc certainement de « capter » l’expression de colère de tous ces gens dans un nouveau projet.
Et puis il y a beaucoup de violence de nos jours, qui n’existait pas encore du temps de Private Eyes ou Chicken & duck talk. De nos jours, les manifestants semblent toujours avoir besoin de jeter des choses… Des pavés, des chaussures ou même des bananes. Je soupçonne même nos politiciens de suivre des formations spéciales pour éviter le jet de ces choses à coups de poses de kung-fu gracieuses.
Le grand public ose beaucoup plus qu’avant exprimer son mécontentement par la voix ou des gestes… Hong Kong a beaucoup changé.
En même temps, les Hongkongais semblent également beaucoup plus profiter de la vie. Par le passé, les gens avaient cette habitude typiquement chinoise, qui consistait à épargner 80 dollars de 100 gagnés au total. Ils ne dépensaient que 20 dollars et économisaient le reste pour je-ne-sais-que-faire… jusqu’à devenir vieux et donner les économies en héritage à leurs fils et petits-fils. De nos jours, les Hongkongais auraient plutôt tendance à dépenser immédiatement la totalité des 100 dollars gagnés, comme s’il n’y avait pas de lendemain.
Je suppose, que c’est la même chose en Italie ? Non ? (public acquiesce). Vous voyez, on en revient à mon historie de cuisine. Tant que je ferai de la bonne tambouille hongkongaise honnête, sans fioritures inutiles, les Italiens pourront comprendre mes plats. Tout le monde a déjà goûté à du porc, du bœuf et du poulet. En revanche, si jamais je me mettais à cuire des scorpions ou des serpents, le public ne pourra sans doute plus s’identifier à mes plats.
Avez-vous été inspiré par d’autres comiques ?
J’ai grandi avec les comédies cantonaises d’opéra chinois et des comiques chinois célèbres dans notre seul pays. J’ai bien évidemment été très inspiré par Charlie Chaplin et Harold Lloyd. Plus récemment, j’ai été épaté par le jeu incroyablement physique de Jim Carey ou par Mike Myers dans Austin Powers.
Côté réalisateurs, j’aime beaucoup les films de Woody Allen et de Billy Wilder.
Dans un registre plus classique et sérieux, je suis un grand fan des films de Kurosawa Akira. J’ai quasiment vu tous ses films et j’ai étudié un incroyable nombre de ses séquences plan par plan. J’adore toute sa technique, ses cadrages, les couleurs qu’il utilise…Même dans ses premiers films, comme Les 7 Samouraïs, il fait déjà preuve d’un dynamisme incroyable.
L’un des films, qui m’auront le plus marqué de toute ma carrière, c’est Certains l’aiment chaud de Billy Wilder. Ce long-métrage me hante jusque dans mes rêves ; il a certainement été le film, qui m’aura le plus influencé.
Avez-vous été inspiré par la comédie italienne ? et – seconde question – pensez-vous que Jackie Chan se soit inspiré de vos premiers films pour développer le fameux genre de « kung fu comedies »?
En fait, oui, j’adore les films de Bud Spencer et Terence Hill… Moins par leur contenu que dans le traitement de leurs scènes d’action. J’adorais les passages en accéléré et je me suis même inspiré de certains de leurs films dans mon propre Private Eyes, qui, lui, a dû inspirer des gens comme Jackie Chan pour leurs projets.
En fait, j’ai voulu les séquences d’action de Private Eyes comme une satire du genre… mais curieusement, ces séquences ont inspiré pas mal de monde, dont Jackie Chan.
Je n’aime pas le kung fu. Je trouve le kung fu à l’écran totalement ridicule. Il n’est pas possible d’aligner des gens avec quelques prises de kung fu. Le kung fu doit tout aux chorégraphies et au montage du film. J’ai toujours trouvé ridicule, que tant de gens puissent s’éprendre du genre et puissent croire, que les gens puissent vraiment être défaits et tués par du kung fu.
Avant la sortie de Private Eyes, le genre du kung fu était considéré comme extrêmement sérieux. Vous aviez des films comme Shaolin temple, par exemple. Après la sortie de mon film, pas mal de gens se sont rendus compte, qu’il y avait matière à faire rire avec le kung fu. Jackie Chan en a fait sa spécialité… En revanche, moi je n’avais absolument pas pensé en faire un « genre » en soi… C’était un pur hasard.
Comment voyez-vous les comédies hongkongaises actuelles ?
Les comédies hongkongaises, et le cinéma hongkongais en général, sont confrontés à un sacré dilemme, qui s’appelle « la Chine ». Il faut nous adapter à ce gigantesque marché juteux et faire beaucoup de compromis ; mais du coup, les films hongkongais perdent beaucoup de ce qui a fait leur particularité par le passé.
Encore une fois, je ne pense pas que ces compromis soient ni nécessaires, ni bénéfiques pour l’industrie. Il faut juste inventer la formule, qui fera qu’on pourra faire les films que nous voudrons tout en ayant la possibilité de les exploiter sur le marché chinois.
Bastian Meiresonne
Remerciements au festival d’Udine pour leur accueil, disponibilité et éternelle passion.
Michael Hui – God of cockery (Le roi de la tambouille magouille) Partie 1 : portrait de Mr. Boo