Le polar hongkongais se montre décidément en petite forme depuis quelques années. Retombé en désuétude après un nouveau souffle lancé par des films comme Infernal Affairs et la vague de films Milky Way (qui ont largement contribué à redonner un certain engouement pour ce type de production), le genre se montre relativement peu inspiré dernièrement et le nombre de films chute lui aussi. Il est loin le temps où chaque semaine apportait son lot de bloodsheds, où il ne se passait pas un jour sans qu’un petit Lam Wai ou un Dick Wei ne soit quelque part à l’affiche. Aujourd’hui, les polars sont des véhicules à (plutôt grosses) stars, avec des budgets confortables et chaque sortie est un petit évènement pour les amateurs, qui finit bien souvent sur une déception. Triple Tap (on va quand même pas dire Shooters !) fait hélas partie de cette tranche. Par Anel Dragic.
Yee-pi-ki-yay, motherfucker !
La carrière de Derek Yee a quelque chose de particulièrement intéressante. Toute proportion gardée, on pourrait presque parler d’une carrière à la Clint Eastwood. Démarrant à la Shaw Brothers, le demi-frère de David Chiang et Paul Chun Pui devient rapidement une des icônes du genre, notamment devant la caméra de Chu Yuan. Il se lance dans la réalisation en 1987, avec People’s Hero , très bon drame criminel. Ses tentatives suivantes ( C’est la vie mon chéri , Viva Erotica ) l’imposeront comme un réalisateur intéressant, sondant avec habileté les rapports humains. C’est cependant en 2004, avec One Nite in Mongkok que le réalisateur deviendra l’une des figures majeures du polar hongkongais en abordant le genre sous un angle plus dramatique. Un statut qui se confirmera avec Protégé, drame situé dans le milieu de la drogue, puis avec The Shinjuku Incident , offrant à Jackie Chan l’un de ses rôles les plus audacieux depuis Crime Story.
Triple Tap marque donc une nouvelle incursion du réalisateur dans l’univers du film policier. Produit par Henry Fong (à qui l’on doit déjà quelques productions de Derek Yee mais également quelques autres projets intéressants et personnels, je vous laisse checker sa filmo), la Film Unlimited (la boite de prod’ de Derek Yee) et quelques unes des boites les plus puissantes du moment (EMP, la Sil-Metropol), l’association d’un côté d’une partie plus artistique, et de l’autre des sultans du cinéma commercial hongkongais laissait douter de la teneur du projet. Il était déjà inquiétant de voir surgir de nulle part une suite au Double Tap , réalisé par Law Chi-Leung en 2000, polar déjà pas glorieux mettant en scène le regretté Leslie Cheung. Et en effet, si Triple Tap n’est que vaguement la suite du Double (on ne retrouve que le personnage incarné par Alex Fong dans un rôle minime), le film se montre moins personnel que ne pouvaient l’être les précédents projets de Yee, voire carrément opportuniste.
L’enfer des armes
Le film narre le face à face entre Louis Koo et Daniel Wu. Les deux personnages se rencontrent dans un tournoi de tir, durant lequel Louis parvient de manière virtuose à ravir le titre à Daniel Wu. Juste après la compétition, Louis rentre chez lui et tombe sur l’attaque d’un fourgon blindé. Bien décidé à jouer les héros, il dégaine et abat les ravisseurs. Daniel se met alors à enquêter sur son rival, qu’il estime n’avoir pas respecté la loi.
Le film démarre pourtant plutôt bien. Porté par un propos toujours intéressant (le port d’arme, la légitime défense), tout semble nous laisser croire que nous sommes face à un polar intelligent. Mais voilà, cela ne dure que bien peu de temps. Passé les quelques scènes posant les bases (la compétition, le braquage, le procès de Louis et les conflits internes à la police qui voient d’un mauvais œil que l’on attaque un citoyen qui a risqué sa vie pour protéger un de leurs coéquipier), le film se perd dans une enquête ultra-poussive et finalement trop convenue.
Une fois venu à bout des quarante premières minutes (sur 1h50), le film épouse la forme d’un téléfilm policier français : l’enquête piétine, le récit se perd dans des intrigues totalement dispensables (la romance de Louis Koo avec une infirmière et sa collègue… cruel dilemme!), et les facilités scénaristiques s’enchaînent. Les motivations des personnages tout d’abord, avec un Daniel Wu qui ne veut pas lâcher le steak parce qu’il est sûr que c’est Louis le coupable et que ça ne peut pas en être autrement alors qu’il n’a aucune preuve, mais également un Louis Koo qui passe son temps à boursicoter, le tout digne d’un mauvais Olivier Stone. Tout cela bercé par un rythme qui traîne en longueur jusqu’au dénouement. Heureusement, Derek Yee prouve qu’il n’est pas un manchot et emballe assez habilement ses séquences, remplies de belles images (c’est le minimum pour une production de ce calibre!). Reste cependant la fâcheuse impression de se retrouver face à un téléfilm de luxe, sans les pubs au milieu, cherchant à meubler au maximum pour atteindre péniblement une durée de presque deux heures (mais que fait le monteur ?).
Plutôt que d’un véritable polar hongkongais, on pourrait finalement parler de téléfilm policier. Mis à part un Louis Koo plutôt bon, le reste du casting se montre peu inspiré, et de la part de Derek Yee, le résultat est somme toute très décevant. Donc vous l’aurez compris, ce n’est pas avec ce film que le genre va revivre des heures glorieuses, ce qui ne nous empêchera tout de même pas d’attendre le prochain film du réalisateur : The Great Magician, avec un casting tout ce qu’il y a de plus alléchant.
Anel Dragic
Verdict:
Shooters de Derek Yee, disponible en DVD et Blu-Rau édité par Wild Side depuis le 29/03/2011.