Revue de presse du Soldat Dieu de Wakamatsu, qui loin de créer la polémique en France, reçoit un éloge unanime de la critique. Mais pourquoi tant d’amour ? Par Victor Lopez.
C’est la présentation du Soldat Dieu par Eric Neuhoff qui nous a mis la puce à l’oreille et a commencé à nous inquiéter : un film de Wakamatsu aimé de tous est-il un bon film de Wakamatsu ? Le journaliste du Figaro commence : “Je n’avais jamais vu de film de ce monsieur japonais” – jusque là, tout va bien : manque de curiosité qui va jusqu’à ne pas retenir le nom du cinéaste dont on parle – mais il continue en avouant avoir aimé le film, “très pur, très simple”… Alors là, on reste sans voix ! On repense à la carrière internationale de Wakamatsu, de la présentation du Secret derrière le mur, qui avait crée un scandale à Berlin en 1965 alors que son film de 2010 y a reçu un prix (celui, très mérité de l’Ours d’argent de la meilleure actrice pour l’extraordinaire Terajima Shinobu) à l’interdiction française aux moins de 18 ans de Quand l’embryon part braconner quarante ans après sa sortie au Japon, quand son dernier film, encore plus gênant dans ses scènes de sexe extrêmement dérangeantes, n’écope que d’une interdiction aux moins de 12 ans. Mais surtout, là même où United Red Army avait assez divisé la critique, Le Soldat Dieu met tout le monde d’accord, des intellos coincés de Télérama aux bœufs du Figaro.
Connaissant Wakamatsu, il n’est pas sûr qu’un tel éloge lui fasse plaisir. Dans l’excellent ouvrage que lui consacre les éditions IMHO (on en parle ici !), le cinéaste déclare lorsqu’on lui demande pourquoi il a arrêté de faire des Pinku Eiga après 1981 : “La raison est simple : le cinéma pink doit rester dans l’ombre. Ce genre de trucs se tourne et se regarde en cachette, voilà pourquoi je parle de guerilla. Pourtant des critiques sans cervelles ont chanté les louanges du Pinku Eiga et celui-ci a finit par acquérir une certaine respectabilité. Depuis, ça ne m’intéresse plus. Le pink doit rester dans l’ombre et c’est au milieu du mépris et des insultes que naissent les œuvres de qualités. C’est dans ces conditions que l’on peut tout oser et réaliser des films extravagants”. Oups…
Alors, quel est le problème avec Le Soldat Dieu ? Wakamatsu serait-il devenu un bon élève académique et consensuel ? Trois fois non, nous disent les critiques (et surtout le film, en passant…). On apprend par exemple dans Libé que » Le Soldat Dieu n’est pas le spectacle de Noël typique auquel se rendre en famille ». C’est le moins que l’on puisse dire ! Tout le monde s’accorde pour dire que le cinéaste de la révolte n’a rien perdu de sa rage et de son énergie à 74 ans passés. Peut-être abandonnerait-il ses thématiques de prédilections pour parler d’autres choses ? Encore raté ! Pour Le Monde, le film est un Empire des sens inversé, dans lequel “la mutilation n’est pas l’apothéose du désir mais sa condition même” (étrange lecture qui souligne surtout que le journal a un métro de retard, car si il y a encore un an, on présentait Wakamatsu comme le producteur d’ Oshima, il est aujourd’hui presque mieux distribué que lui en France…). Plus sérieux, Jean-Baptiste Thoret, à qui l’on doit le beau texte Physiologie de la révolte qui ouvre le livre aux éditions IMHO (on y reviens, promis…), explique dans Charlie Hebdo que » Catterpillar reprend et creuse la ligne de Quand l’embryon part braconner, même si Wakamatsu opte pour une mise en scène en apparence plus assagie ».
C’est donc sans doute ce style posé qui a séduit nombre de critiques. On tient notre réponse pour Télérama et le Figaro, à qui le discours anti-guerre a aussi plu. Cependant, les reproches adressés au film prennent leurs sources aussi ici. Car oui, on respire, des reproches sont adressés au film ! A Clap, on reste sceptique devant “la mise en scène pas très excitante, l’écriture même laisse parfois une impression de laisser-aller…” et surtout “la musique de fin, pourtant pleine de bonnes intentions, le poème, aussi sincère et « mignon » soit-il, passé à la moulinette pop par un Sakamoto Ryuichi qu’on a connu plus inspiré ( Furyo), laisse une désagréable impression de kitsch”. Sentiment partagé à Critikat, où Benoit Smith, agacé par la musique de fin, conclut : “Facétie ou concession à l’appel du public, voilà qui casse un peu le mythe du cinéaste gauchiste radical et sulfureux, pour laisser place à une démarche plus ambiguë – pas inintéressante, on l’a vu, mais à aborder avec circonspection”.
Si le choix de la musique s’explique par l’attachement personnel de Wakamatsu au poème d’ Hikmat qu’il met en relation avec une illustration de la bombe son comparse Adachi, ces réserves rassurent quand même un peu… Signalons enfin deux excellentes critiques du film, qui montrent aussi qu’il y a du bon à reconnaitre l’importance d’un cinéaste marginalisé jusqu’ici. Celle de Gildas Mathieux de Il était une fois le Cinéma, qui souligne très justement que Wakamatsu “est aujourd’hui aussi célébré que jadis ignoré” et rapproche le film (inspiré du roman La Chenille), de la veine animale d’ Imamura – Cochons et cuirassé, La Femme insecte… (ça change des feignants qui ressortent tous Johnny got his gun du dossier de presse…). On y trouve un ton assez juste pour parler de la violence du film avec des phrases comme : “Dès les premières minutes, Wakamatsu crucifie le spectateur en lui assenant des images puissantes”… Ainsi mis dans la position de l’héroïne de La Vierge violente, on peut alors aller jeter un œil sur le numéro de décembre de Positif, dans lequel un entretien avec Kôji éclaire le long papier de Vincent Thabourey.
Victor Lopez.