Wakamatsu est partout en ce moment, et surtout dans vos lecteurs DVD avec la sortie du troisième coffret pink édité par Blaq out. Focus sur les deux premiers titres de ce volume : La Vierge violente et Violence sans raison. Par Jérémy Coifman.
Le cinéaste Japonais Wakamatsu Koji reçoit en ce moment les honneurs de la France. Entre une rétrospective à la cinémathèque Française, la sortie de son dernier film Le Soldat Dieu, un livre retraçant son parcours, et la sortie d’un coffret regroupant quatre de ses films, le réalisateur iconoclaste de 74 ans, est bien sur le devant de la scène. Aujourd’hui, c’est ce coffret DVD édité chez Blaq Out qui retient notre intérêt. Au programme, quatre films qui ont pour thème la guerre des gangs. Quatre films réalisés entre 1969 et 1970, montrant bien que Wakamatsu Koji est un auteur très prolifique : La Vierge Violente, Violence Sans Raison, Naked Bullet et Shinjuku Mad. Des titres évocateurs, qui vont tenter de nous plonger dans l’univers violent et désespéré de Wakamatsu Koji.
La Vierge Violente
Considérée comme une des œuvres les plus cultes de Wakamatsu, La Vierge Violente part d’un postulat de base très classique en soi. Un groupe de marginaux, hommes et femmes à la solde des yakuzas, est chargé par le chef de supprimer une femme qui l’a éconduit, ainsi que l’homme qu’elle aime, lui aussi travaillant pour les yakuzas. Pour cela, ils sont entrainés dans un désert aride, où tout ne vas pas se dérouler comme prévu.
Wakamatsu, comme souvent, livre un film qui se déroule dans un lieu unique. Un appartement dans Quand l’embryon part braconner ou un toit dans Va, va, vierge pour la deuxième fois : ces prisons sont une habitude chez le réalisateur. La Vierge Violente ne déroge pas à la règle. Le film annonce la couleur d’emblée : il sera un huis-clos à ciel ouvert.
Les cinq premières minutes sont révélatrices d’une envie de Wakamatsu d’aller au-delà du scénario. Le film reste malgré tout de l’exploitation, et on prend conscience rapidement que le scénario n’est qu’un prétexte à toutes formes d’excès érotiques ou d’expérimentations formelles. La Vierge Violente est souvent comparé au cinéma de Jodorowsky (surtout Fando y Lis) pour son aspect expérimental et mystique et c’est exactement cette voie que le cinéaste emprunte.
On traverse le film comme un cauchemar, un trip expérimental composé de multiples plans fixes très picturaux, d’un aspect répétitif et cyclique infernal ou d’une alternance du noir et blanc et de la couleur (qui était également un ordre de la production qui voulait au moins une scène en couleur). Le spectateur est aussi perdu que les protagonistes. L’œuvre est marquée par les obsessions de son auteur. La relation bourreau-victime, la vengeance, l’aliénation. Comme toujours, tous les protagonistes sont les symboles d’une idée, d’une pensée. Ici, le personnage principal est l’objet de multiples tortures physiques ou morales. Mais, parvenant à s’échapper, et après une errance totalement hallucinée, il reviendra transformé. Le désert est ici le symbole d’un Japon complètement désincarné, composé de bouffons dociles (les bourreaux complètement idiots) et de dirigeants passifs et cruels (les yakuzas que le personnage rencontre pendant son errance et qui observe de loin la situation sans agir). C’est l’aspect aliénant et sans issue de la société que Wakamatsu nous délivre ici. Les personnages errent dans une prison sans barreaux. Cette société qui transforme les gens en démons, en bêtes féroces (toute l’imagerie du démon est très importante dans le film avec surtout la queue, véritable hantise des personnages). Les bourreaux d’hier sont les victimes de demain et les seuls gagnants sont les dirigeants qui ne s’impliquent pas, mais récoltent les lauriers.
Au-delà de cet aspect politique intéressant, et de ces multiples expérimentations passionnantes à observer, le film laisse le sentiment qu’il n’est avant tout qu’un long métrage d’exploitation assez opportuniste. Comme souvent chez Wakamatsu, la frontière entre brulot politique et film très racoleur est très mince. Dans La Vierge Violente (un titre qui n’a d’ailleurs aucun rapport avec ce qu’il s’y passe), tout est prétexte pour Wakamatsu Koji à montrer des corps dénudés, des ébats forcés ou des humiliations en tout genre. Pour attirer le chaland comme dirait certains. C’est l’aspect quelque peu dérangeant de ce film (et de presque toute la filmographie de Wakamatsu d’ailleurs). Sous couvert d’une idéologie d’extrême gauche, et donc d’un propos très engagé, le réalisateur ne cessera de jouer avec les pulsions des spectateurs. Le cinéma de Wakamatsu reste un cinéma d’exploitation, à l’érotisme racoleur. La Vierge Violente ne fait pas exception, mais reste une expérience à vivre. Sans aucun doute un des films les plus mystique du vieux maître.
Violence sans raison
1969 est une année faste pour Wakamatsu Koji. Il réalisa 11 films. Violence sans raison est l’un de ceux-là. Réalisé en quelques jours seulement, avec un budget plus que limité, et un scénario minimaliste, le film est pourtant plus complexe et profond que son pitch peu inspiré peut laisser paraitre. Violence sans raison raconte l’errance de trois amis vivants dans un petit appartement de Tokyo. Frustrés, ils décident de laisser libre cours à leurs fantasmes en violant des femmes et brutalisant des hommes. On pourrait s’attendre à un déchainement de violence et d’érotisme très « Wakamatsuesque » et pourtant, ô surprise, c’est tout autre chose qui nous attend !
Violence sans raison, c’est d’abord une ambiance. Un sentiment d’enfermement, de castration, de prison. Le cadre de Wakamastu est acerbe, froid, étroit. Dès la première minute, on sent que quelque chose ne tourne pas rond, malgré la relative frivolité des dialogues et des situations. La musique est omniprésente, tour à tour angoissante (la chanson sur la prison d’Abashiri qui revient en fil rouge du début à la fin) ou plus légère avec des compositions très jazzy et psychédéliques. La réalisation de Wakamatsu est très inspirée malgré la promiscuité visible de l’entreprise. Elle sert à merveille le propos de ce film, et c’est là la plus grande qualité de Violence sans raison.
C’est un film amer, ironique, méchant et contestataire. Les trois personnages principaux sont des jeunes de 19 ans ne pensant qu’à une seule chose : les femmes. Ils veulent faire l’amour, tout le temps. C’est d’ailleurs leur sujet de conversation principal pendant tout le film. Toutes les scènes de dialogue entre les trois personnages sont exceptionnelles de méchanceté. Wakamatsu montre une jeunesse oisive, égoïste, sans aucune conscience politique. C’est une jeunesse qui se complait dans sa situation, ne faisant rien pour changer les choses. Leurs conversations sont dénuées d’intérêt. Tour à tour oisive ou révolutionnaire plus pour le romantisme de la chose que par conviction, la jeunesse japonaise en prend pour son grade. C’est le film de l’inaction, de l’errance. La jeunesse est perdue. On est frappé par la modernité du propos autant que par le cynisme de ce Violence sans raison, décidément très surprenant.
Le film est à notre plus grande surprise plus une chronique sociale qu’un Pinku Eïga dans la plus pure tradition. Les scènes érotiques se comptent sur les doigts d’une main et sont filmées avec une distance étonnante. Les seuls moments d’érotisme pur sont ces instants volés en couleurs. Les trois personnages regardant par un trou dans le mur les ébats de leur propriétaire. Faisant appel à notre pulsion scopique, Wakamatsu filme les corps par le trou de la lorgnette. Faisant du spectateur le voyeur, et nous renvoyant à nos pulsions, comme l’a fait Hitchcock ou De Palma.
Au-delà de la satire, Violence sans raison dresse un constat accablant sur la société japonaise. Ces jeunes ont beau être des feignants, ils n’en restent pas pour autant prisonniers. C’est le leitmotiv de Wakamatsu, c’est sa thèse première. Le Japon ne laisse pas de place pour ceux qui sortent du moule. Peu importe ce qu’ils font, où ils vont, ils ressentent ce mal être. Comme dans cette belle scène sur la plage au début du film où un des personnages déclare : « Je croyais qu’en sortant de Tokyo, de cette foule, j’allais me sentir mieux. Mais je ressens toujours ce même malaise. »
La présence de ce film dans la série « Guerre des gangs » est justifiée par la présence de yakuzas qui corrigeront les trois personnages après avoir fait l’amour avec une complice. Mais cette présence est déterminante pour les personnages. L’humiliation subite sera la goutte d’eau décidant de leur destin. Violence sans raison est une chronique tour à tour drôle (la scène de drague dans les rues de Tokyo), touchante, désespérée, et lucide. Le film montre encore une fois que Wakamatsu est plus qu’un réalisateur de Pinku Eïga.
Jeremy Coifman.
Coffret DVD Koji Wakamatsu / Volume 3, édité par Blaq out. Sortie du coffret DVD le 16 novembre 2010.
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