Yakuza Eiga ultra-classique, Outrage annonce le grand retour de Kitano au genre qui a fait sa gloire. Dix ans ont cependant passé depuis Brother, et la donne a complètement changé. Par Victor Lopez.
Kitano return
“Ce crétin déclara qu’il ne ferait plus jamais de films de gangsters”. C’est ainsi que s’ouvrait l’hilarante bande-annonce du « divertissement énorme » de Kitano : Glory to the filmmaker. Et on pouvait le regretter tant la dernière incursion du cinéaste dans le genre, Brother en 2000, était aussi le dernier sommet de la filmographie jusqu’alors parfaite du réalisateur. Brillant cinéaste des années 90, Kitano semblait un peu essoufflé par tant de chefs-d’œuvres lorsqu’arrivent les années 2000. Il recycle dans Dolls une poésie soporifique, à la froide beauté très loin de l’humanité bouleversante d’un A scene at the sea, s’amuse dans Zatoîchi avec les codes du Chambara version kitcho-numérique pour un résultat bien en deçà de la plupart des films originaux, et… c’est ensuite la catastrophe !
Il signe coup sur coup trois films mettant en scène sa crise d’inspiration, et impose à ses rares spectateurs de pénibles délires surréalistes et symboliques, très rarement intéressants, toujours fatiguant et ennuyeux. Triste période que l’on peut qualifier de « blonde », en référence à la teinture très Yankee qu’aborde le cinéaste depuis Zatoîchi (et qu’il théorise dans Takeshis’ dans un harassant dédoublement schizophrénique…). Même Achile et la tortue, s’il annonçait un mieux, semblait courir après les formules passées sans jamais pouvoir les rattraper. Quand commence Outrage, le fan qui y croit encore retient son souffle, et commence à respirer au bout de quelques minutes. Beat Takeshi est de retour avec un Yakuza Eiga sec, nerveux, violent et jubilatoire !
Brun / Blond
Si le film annonce bien un retour aux sources pour le cinéaste (qui redevient, fort heureusement brun, et clôt ainsi sa « période blonde »), cela ne veut pas dire qu’il répète une énième fois les figures qui ont fait sa gloire passée. Bien au contraire, Outrage occupe une place tout à fait singulière dans sa filmographie, tant le réalisateur innove ici par rapport à ses films de yakuza habituels. Certes, on y retrouve le parcours suicidaire qui est le chemin que suivent les personnages de Kitano depuis Violent Cop, mais une froide lucidité interdisant toute incursion poétique a maintenant remplacé les rêveries mélancoliques que permettent les pauses dans le récit de ses précédents Yakuza Eiga.
Une sécheresse implacable domine un film dans lequel les personnages sont réduits à de misérables pions d’un échiquier sanglant, et dont le sacrifice vain est aussi inéluctable que leurs défaites à tous. Dans cette frontalité, Kitano n’a jamais été aussi proche du cinéma de Fukasaku et de la modernité chaotique de ses films de la Tôei des années 70. On y trouve cette même volonté de déglamoriser et de déshéroïser le genre en ne montrant que le squelette d’affrontements violents et de mises à morts sordides, au milieu de cris absurdes et dérisoires.
Combat sans code d’honneur
“C’est uniquement pour la forme”. Cette phrase revient sans cesse dans la bouche des personnages pour justifier un acte mesquin, que camoufle un hypocrite respect des traditions, pourtant à leurs yeux aussi dépassées que vaines. Si l’esthétique du film rappelle l’image des années 90, le code d’honneur que semblaient encore respecter quelques déjà anachroniques yakuzas des films de Kitano de l’époque n’a ici absolument plus court.
L’outrage du titre, point de départ de la diabolique mécanique du film, repose d’ailleurs sur une première duperie, tendant à utiliser un pacte de sang fait par deux membres de gangs opposés en prison, qui lie traditionnellement les deux êtres sur l’honneur en les faisant frères. Maintenant, ce genre de rituel ne sert que le profit personnel des plus puissants et est utilisé pour éliminer le plus sournoisement possible toute concurrence à leur ascension.
Conte d’une cruauté sadique sur les rouages du pouvoir extériorisant la violence cachée de la société japonaise à travers l’hypertrophie sanglante que permet la description du milieu des yakuza, Outrage est sans cesse percé d’explosions de violence, rendant le film à la fois jouissif (on se demande quelle mise à mort encore plus horrible va venir ensuite) et dérangeant. Le film fascine ainsi par cette perpétuelle oscillation entre farce dont le côté grotesque nous fait parfois rire et un réel désespoir qui finit par glacer le sang de son spectateur.
On sait que Kitano travaille déjà à une suite, qui relatera sans doute l’affrontement entre les quelques survivants du clan Sanno-kai de ce premier volet. On a hâte de voir ce que cela va donner, mais cette perspective nous réjouit au plus haut point, et pourrait, dans une certaine mesure, se rapprocher du diptyque Election de Johnnie To en version japonaise… On peut même espérer une version pour les années 2000 de la série des Combats sans code d’honneur de Fukasaku…
Reste donc une chose à souhaiter à ce nouveau Kitano, Kantoku : Banzaï !
En résumé : Dans la lignée de Fukasaku, Kitano signe son film le plus abouti depuis Brother en 2000. S’il n’atteint pas les sommets des années 90, Outrage annonce cependant le meilleur pour la suite, et le retour d’un grand cinéaste que l’on avait un peu perdu cette décennie.
Victor Lopez
Verdict :
En salle le 24/10/2010.