Interview vidéo exclusive avec Sergi López

Posté le 20 juin 2011 par

Interview “sur-ré-a-li-ste” dans une cuisine parisienne avec Sergi López, qui arpente Tokyo dans le Carte des sons de Tokyo d’Isabel Coixet ! Par Olivier Smach et Victor Lopez.

Aussi sympathique et bout en train dans la vie qu’il est grave et mélancolique dans Cartes des sons de Tokyo, Sergi López nous a reçu dans la cuisine de son attachée de presse pour nous parler avec un enthousiasme débordant et communicatif de son expérience japonaise. Et une chose est sûr, c’est que le japon compte un fan de plus et un ambassadeur persuasif en la personne de Sergi López !

A voir : la vidéo exclusive de notre entretien !

Bonjour Sergi, je peux vous appeler Sergi ?

Si, si !

Je souhaiterais tout d’abord savoir comment est née votre collaboration avec Isabelle Coixet sur ce film.

Alors Isabel, déjà, elle a un nom de famille étrange. En Catalogne on l’appelle “Cochette”. Moi, je l’appelle “Couchette”(prononcé en Catalan), en France on l’appelle “Coichet”, “Coichette”… Enfin… Bref, Isabel !

Je ne la connaissais pas avant le film. Elle écrit régulièrement, tous les dimanches, dans un journal en Catalogne et j’avais lu ses textes. Je l’avais aussi vu à la télé et avais regardé quelques films. En fait, c’était assez simple : elle m’a appelé pour me dire qu’elle avait écrit un scénario en pensant à moi, ce qui est aussi une pression rajoutée. Mais elle est très intelligente, elle m’a dit : « je te passe le scénario, si tu n’aimes pas, ne t’inquiètes pas, je trouverai quelqu’un d’autre… ». Et il y avait plein de raisons pour le faire. Déjà, c’était à Tokyo, que je ne connaissais pas, et c’est un cadeau dans le métier que je fais de pouvoir découvrir des gens, des univers, des pays, des cultures, c’est super… Ensuite, le rôle était en anglais, ce qui m’intéresse beaucoup. Pas du tout pour faire une carrière, mais parce que ça fait partie de ma vie de travailler dans des langues qui ne sont pas les miennes : j’ai par exemple commencé en Français alors que je ne le parlais pas… Donc là, c’était à Tokyo, en Anglais, avec Kikuchi Rinko, une actrice vraiment très belle…

Mais tout cela, finalement, c’était des mauvaises raisons, je n’allais pas dire oui, juste parce que c’était à Tokyo ! J’ai donc lu le scénario et… c’était super ! Il y avait tout ce que j’aime dans un scénario. Il ne répondait pas à une idée formatée ou conventionnelle. C’est une histoire qui ne ressemble à rien : c’est un film noir, un thriller, mais c’est romantique, fantastique et réaliste à la fois…

carte_des_sons_de_tokyo

 

Et il y avait Tokyo, très présent dans le scénario. Avant le film, j’avais une idée très simpliste de la ville. Mais à travers le scénario, tu sens qu’ Isabel c’est une folle de Tokyo. D’ailleurs, elle n’est pas catalane, elle dit qu’elle est japonaise ! Et on sent cette fascination dans l’écriture et dans le film. Je l’ai donc appelé et je lui ai dit : « Écoutes, c’est un cadeau, c’est génial ! ».

Est-ce difficile pour une production espagnole d’installer un tournage au cœur de Tokyo ?

Je ne sais pas si c’est plus compliqué à Tokyo qu’ailleurs. Par contre, le producteur n’était pas fan de Tokyo. Quand il l’a su, il n’était pas du tout chaud. Mais bon, Coixet ne concevait pas l’idée de tourner ailleurs. Depuis le titre, le film était conçu, imaginé, visualisé là-bas. Et quand il était là-bas, le producteur a assez vite changé d’avis. Ça facilite beaucoup les choses d’être avec Coixet à Tokyo parce qu’on dirait qu’elle est japonaise.

 

Même l’histoire vient de la ville. Il y a un catalan qui vend du vin dans une boutique et qui rencontre une fille. Cette fille a une double vie : elle travaille dans un marché de poisson le jour, et la nuit, elle est embauchée pour tuer des gens. Ça, c’est parti d’une idée qu’ Isabel a eue à Tokyo. Elle était dans le marché de poisson à cinq heures du matin pour faire des photos. Tu sais, généralement, les japonais veulent toujours être pris en photos. Elle a voulu faire une photo d’une fille qu’elle trouvait très belle en train de découper un thon… Et quand elle a voulu la photographier, la fille lui a dit non ! Alors que c’est très rare pour les japonais de répondre si catégoriquement. Avant de dire non, ils disent que c’est compliqué… Ils prennent des détours… Mais là, c’était un non catégorique ! Et à partir de cette anecdote, elle s’est mise à imaginer pourquoi une fille refuserait d’être prise en photo…

Carte des sons de Tokyo

Dans quels quartiers de la ville le film a-t-il été tourné ?

Il y a un peu de tout… Il y avait Shimokitasawa, un quartier surréaliste ! Tolyo est un endroit où il y a beaucoup de monde, mais tu ne t’y sent jamais en danger, même merdu à cinq heures du matin.

Je ne tournais pas tousles jours, j’avais des jours libres au début. Je voulais dinc me baladais en prenant un taxis. on m’avait dit de faire attention parce que les taxis ne parlent pas anglais, et il faut une carte pour indiquer les directions. Tu l’a donne et ils comprennent (alors que toi tu comprends rien). Et je suis parti dans ce quartier super, plein de petites rues perdues au fin fond de la ville… Tu demandes aux gens et ils t’indiquent et t’accompagnent, même s’ils ne parlent pas anglais…

 

On a tourné un peu partout : à côté de la mer, du fleuve, dans tout Tokyo ! Dans un parc, dans le métro. Il y a les plans de voitures avec Tokyo la nuit… Tokyo est un spectacle visuel que l’on voit très bien dans le film.

Cartes des sons de Tokyo

Le film est un portrait très atmosphérique de la ville de Tokyo. Quelles ont été vos impressions de la ville et rejoignent-elle celles du film ?

Il y a beaucoup de films sur la ville, mais qui mettent souvent l’accent sur la différence entre nous et leur culture. Je crois que ce film, c’est plutôt l’inverse. Je joue un personnage qui, par son physique et son accent, n’est pas japonais, mais qui est en fait très intégré. Non seulement il connait bien Tokyo, mais il a une boutique là-bas, une ancienne copine japonaise, il parle un peu japonais… Bref, ce n’est pas quelqu’un qui est de passage pour faire du tourisme ! Et, comme Isabel, il a un côté très japonais. C’est quelque chose que je n’avais pas, vu que je ne connaissais pas Tokyo.

C’est la chose la plus fascinante comme acteur : de faire un truc vrai alors que c’est complétement faux. C’est l’essence du fait de jouer… On te dit tu vas t’appeler Antonio, que tu vas être boulanger. Tu sais que tu t’appelles pas Antonio mais tu le fais ! J’ai pris beaucoup de plaisir à faire semblant d’avoir une boutique là-bas, comme si je faisais ça tous les jours, d’être un peu japonais… La ville t’aide beaucoup, elle a une belle énergie.

Carte des sons de Tokyo

 

Le film insiste sur des scènes de vie qui semblent insolites aux occidentaux (l’homme arbre, la journée de la colère ou du baiser, etc.) Y a-t-il des choses ou des événements particulièrement insolites que vous avez vécus ou dont vous avez été témoin à Tokyo ?

Ce qui m’a frappé, c’est surtout le monde qu’il y a, comme à Shibuya… Il y a beaucoup, beaucoup, beaucoup de monde ! C’est tout le temps les Champs Elysées un jour de fête national, si tu vois le truc ! Et tu n’entends pas un brouhaha comme ici ou en Espagne ! Je n’ai jamais vu quelqu’un se fâcher, au cours des deux mois où on était là-bas.

Il y a un truc qui m’a marqué : j’ai vu une voiture qui a touché une autre à l’arrêt. Et le mec de derrière, qui a cogné est sorti de sa voiture presque par terre pour s’excuser. Et l’autre aussi ! Et tous les deux ont passé dix minutes à s’excuser (rires)… Il y a donc des choses comme ça. Il est par exemple aussi interdit de fumer dans les rues, et on trouve par terre, dans le goudron, des marques d’interdiction de fumer ! Mais je me suis dis qu’est-ce que ça fait par terre ? Mais personne, personne ne fume ! Sauf dans les espaces autorisés, et là, tout le monde fume (rires)! Ils sont très carrés, très bien éduqués. A cause de la densité, je pense qu’ils sont obligés d’agir dans un tel respect, sinon c’est la baston.

Et puis il y a la bouffe ! Il y a les sushis, le tempura, le sashimi, mais aussi le poisson ! Et la viande, il y a énormément de viandes ! Pour manger, c’est vraiment un paradis…

Carte des sons de Tokyo

David dit aimer la culture japonaise, les cartoons, la gastronomie, et les films. Partagez-vous cet attrait ?

Non, non… Je ne m’y intéressais pas du tout… Mon frère par contre était très branché BD et a suivi le début du manga en Espagne. Mais je me sentais très ignorant. J’arrivais avec quelques clichés : le samouraï, le sumo, les sushis… Mais c’est vraiment une chance de faire le métier que je fais, et de pouvoir découvrir des endroits que tu ne connais pas. On te parle de l’Afrique, mais le fait d’y être, de sentir la poussière, c’est un autre truc, ce n’est pas pareil. On a le corps plein de mémoire, et là, j’ai une certaine mémoire de Tokyo, que je n’avais pas avant.

Y a-t-il une différence dans la manière de tourner des scènes de sexe avec une réalisatrice ?

 

Si… en général tous, les réalisateurs sont très différents, comme les êtres humains. Mais il y a une façon d’aborder le tournage plus féminin… Enfin, il y a des nuances, car Isabel peut être très féminine, très masculine, faire attention aux détails et adorer le chaos, bordélique et perfectionniste… Elle peut être contradictoire et c’est ça qui est bien !

Pour les scènes de sexe, on était trois : Isabel, Rinko et moi (avec le chef opérateur et l’ingénieur du son). Ce sont des scènes d’amour très fortes et j’en suis fan ! Je suis fan parce que souvent, au cinéma, les scènes sont très conventionnelles, mais elles ne sont pas écrites. Tu lis le scénario : « Ils font l’amour comme ils ne l’ont jamais fait ». Qu’est-ce que ça veut dire ? Tu vois l’actrice et qui ne l’as jamais fait ? Et souvent, ils s’embrassent et tu as ensuite un fondu… Alors que là, il y a une vraie écriture ! Que je trouve très féminine, car il y a beaucoup de sexe oral. C’est très explicite, mais il n’y a pas cet aspect de possession masculine, il y a un jeu…

Et surtout cet espace qui est le leur : dans cet hôtel sur-ré-a-li-ste ! Il y a des chambres incroyables : une en fourrure, en marbre, en bleu, en décor préhistorique ou Star Wars… Pour le film, Isabel a inventé sa chambre, inspirée d’un métro parisien… Il y a donc cet espace commun, où ils partagent cette passion amoureuse. Et je suis particulièrement fier des scènes d’amour. Elles sont très explicites, très osées, mais aussi à la fois fortes, tendres et très féminines…

Carte des sons de Tokyo

Pour conclure, savez-vous comment le film a été reçu au Japon ?

Conclure ? On parle de sexe et tu me dis qu’on va devoir conclure ! (rires).

Je ne me rends pas trop compte. Je ne sais pas trop ce que représente sur le marché, un film européen qui parle d’eux là-bas. Il est sorti en septembre 2010 mais je n’ai pas pu y aller…

Avez-vous un dernier mot à dire pour nos lecteurs d’East Asia ?

je ne sais pas… Japonisez-vous ! Japonisons-nous !

C’est surtout un film sur des personnages seuls, qui crient au ciel, qui demandent d’avoir quelqu’un à côté. Et en fait, je crois que cela nous rejoint tous. C’est parce que nous avons tous besoin de partager quelque chose avec quelqu’un que nous sommes là ! Donc partageons !

 

Entretien réalisé à Paris le 19/01/2011 par Olivier Smach et Victor Lopez.

Un grand merci à Vanessa Jerrom et Claire Vorger pour leur gentillesse et disponibilité !

Cartes des sons de Tokyo, disponible en DVD, édité par Bodega depuis le 15/06/2011.