Man of Steel de Zach Snyder : Why so serious ? (Critique)

Posté le 29 juin 2013 par

East Asia quitte les contrées asiatiques le temps d’une analyse de ce qui peut fâcher dans le reboot de Superman par Zach Snyder. Une façon de vous annoncer que le site, de temps à autre, se permettra à la rentrée quelques échappées cinématographiques selon les envies de nos rédacteurs. Mais d’ici là, place à un retour sur une version bien rétrograde de l’Homme de Demain. Par Victor Lopez.

Man of steel

Attention : cet article contient de nombreux spoilers sur le déroulement et la conclusion de Man of Steel.

Il n’y a bien sûr pas qu’une façon de traiter Superman, et on trouve au fil des décennies autant de versions du mythe du dernier fils de Krypton que d’auteurs ayant travaillé dessus, voire de lecteurs et de spectateurs l’ayant à leur tour rêvé et imaginé. Mais sans militer pour une version immuable et dogmatique de Superman, on peut repérer deux angles majeurs dans la construction du héros, fixant aux yeux de tous un archétype universel autour duquel toutes les variations sont possibles.

C’est d’abord à sa création en 1938 la figure de l’immigré se battant dans son pays d’adoption contre les inégalités et défendant les plus démunis qui séduit le lectorat populaire dans cette vision du surhomme. Les ennemis du Superman d’origine sont surtout les délinquants en col blanc et les politiciens véreux (le plus charismatique et  incarnation évident des travers de la finance étant Lex Luthor, créé dès 1940 sous les traits d’un savant fou) et les ennemis de la démocratie et de la liberté (le Ku Klux Klan, notamment lors de la mythique émission de radio de 1940, qui a servi à démanteler un véritable réseau du KKK ; ou le nazisme pendant la Seconde Guerre mondiale). Superman est d’abord un héros proche du peuple, qu’il défend contre les puissants et les injustices, qu’elles soient raciales ou sociales, et dont on retrouve encore des traces dans les Action Comics des New 52 (2011) signés Grant Morrison.

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Superman : « Des salauds. Des salauds avec de l’argent. Et des salauds armés. Je suis votre pire cauchemar. »

Personal Jesus

Les années passant, Superman se fait plus puissant et ses ennemis suivent ce crescendo, créant toute une mythologie et un bestiaire de science-fiction autour du personnage. C’est là la seconde fondation du personnage : son caractère quasi-divin, sa filiation avec les demi-dieux du panthéon grec. Dans les comics, ces deux aspects coexistent via la double identité du personnage : à Clark Kent, journaliste continuant à défendre les idéaux sociaux de ses débuts via des articles souvent engagés, échoit l’aspect terrestre, à Kal-El, le sur-homme invincible sur les épaules duquel repose le salut de l’humanité, l’aura mythologique.

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Vous l’aurez compris, cette longue introduction sert à souligner l’absence d’un de ces éléments dans la nouvelle version cinématographique que nous livre Zach Znyder. En excluant Clark Kent de l’équation, en se focalisant sur le seul Man of Steel et sa mythologie, le film passe à côté d’un des aspects les plus engagés, et certainement parmi les plus intéressants et polémiques – ou disons un peu moins « lisse » – du personnage, soit sa vision politique. Rien d’étonnant finalement que Snyder ne prête pas attention  à cette facette de Superman, lui qui avait déjà vidé Zombie de Romero de sa verve contestataire en signant son très apolitique remake L’armée des morts.

En fait, cette impasse ne serait pas gênante si d’un côté, le traitement mythologique que livre Zach Snyder n’était pas aussi caricatural, et si de l’autre, l’apolitisme du film ne cachait pas un discours d’un manichéisme quasi-réactionnaire caché sous une pyrotechnie elle-même malheureusement peu inventive.

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Superman, étude christique dans l’eau

C’est ainsi avec un manque de subtilité effarant que la mythologie du personnage va se résumer à une lourde métaphore christique : on insiste bien sur l’âge ô combien symbolique du héros répété à deux reprises (33 ans, bien sûr), sur sa mission de guide spirituel de l’espèce humaine, qu’il peut sauver (conseil de prêtre dans une église inside), sur les postures de croix du personnage, ou sur la thématique du sacrifice qui irrigue le film, depuis la mort des parents de Kal-El jusqu’à celle de Jonathan Kent. C’est d’ailleurs là que se situe un des points de rupture du film : illustrant de manière exemplaire cette thématique, la mort du père adoptif, emporté par un ouragan afin de sauver… son chien (?) laisse pantois. Quelles valeurs peut-il sérieusement léguer à son fils, qu’il préfère abandonner pour secourir son toutou ?

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Superman, étude christique dans l’espace

La fin du film confirme ces craintes. Non seulement Superman tue son ennemi, ne voyant d’autres options que de suivre les règles édictées par celui-là même qu’il combat (« il n’y aura qu’un survivant« ), et démontrant le peu d’imagination que lui confère une si piètre éducation quant aux moyens de régler une situation, mais surtout laissant la désagréable impression que la violence extrême est justifiée dans certains cas. Ce que l’on veut bien envisager dans une fiction quand le personnage en question est Jack Bauer par exemple, est plus dérangeant quand on nous assène depuis deux heures que notre meurtrier à l’âme pure est l’incarnation moderne du Christ.

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Dans Star Trek, Into Darkness, en posant à l’équipage de l’USS Enterprise sur Khan une question similaire à celle que pose Snyder à Superman sur la mise à mort de Zod, J. J. Abrams apporte une réponse mesurée, subtile et éclairant de manière critique l’actualité récente des États-Unis, pouvant clamer que « Justice est faite » après la mise à mort d’un terroriste, alors que Snyder n’y apporte qu’une légitimation manichéenne. Mais si l’on ne se surprend pas à trouver un film de J. J. Abrams plus intelligent qu’une œuvre de Zach Snyder, il est plus étonnant de la trouver esthétiquement plus inventive. Outre des thématiques communes traitées de manière antagonistes, Into Darkness et Man of Steel partagent des similitudes stylistiques troublantes, comme la sur-utilisation du zoom dans les scènes d’action ou du flare (les reflets lumineux qui sont la marque de fabrique de J.J., et que l’on retrouve jusqu’à sur l’affiche de Man of Steel), marquant dans les deux cas la volonté d’un traitement réaliste accru, histoire certainement de donner un cachet plus respectable à ces vieilles franchises supposément kitsch. Mais là ou Star Trek arrive à inventer des scènes d’actions lumineuses et fourmillant d’idées, on attend celles-ci pendant 1h30 dans le film de Snyder, et elles ne se résument qu’à UNE idée. Tel un projectile détruisant tout sur son passage, le corps se fait acier (steel) et traverse la matière. C’est impressionnant pendant quelques minutes, mais, étiré sur le dernier tiers du film, cela devient lassant et d’un mortel ennui.

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Une affiche qui a du flare

On se demande vraiment où est passé le metteur en scène surprenant de 300 devant la pauvreté du procédé. On reconnaît certes par touches son amour des citations (les chorégraphies des combats empruntent ainsi beaucoup à Dragon Ball Z), mais  l’impression que sa maestria pop s’est laissé écraser devant l’ampleur du projet domine tout du long. Même Watchmen, pourtant autrement plus complexe en terme d’enjeux narratifs, tenait ses pastilles musicales qui sauvaient le film de la pure redondance appauvrie du comics (le très beau générique sur Dylan, la scène de sexe sur fond d’Hallelujah).

L’Amérique, tu l’aimes ou tu la quittes

La déception visuelle et thématique du film est finalement d’un seul tenant et a une même cause, une volonté explicative, couplé à la peur de toute déviation en dehors du programme fixé. Rien ne respire, rien ne vibre : tout le film est bandé vers sa résolution et le déroulement des origines de Superman. En témoignent par exemple les scènes de flashback sur l’éducation de Clark : pas une scène de la vie quotidienne, seulement des événements catastrophiques et signifiants, importants pour la caractérisation du personnage. Résultat, on le comprend, même trop bien, mais on ne s’attache jamais à lui, défaut nolanien qui plombait déjà les derniers Batman.

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L’éloge de la fière ruralité de Man of Steel : le Kansas, avec ses drapeaux américains qui font la taille de maisons et ses Seven Eleven, où l’on peut trouver ses produits dérivés Man of Steel à toute heure…

Thématiquement, cette impossibilité de multiplication, cette construction visant la seule efficacité sans temps mort et respiration, donc sans double fond (ce que Nolan arrivait pourtant à génialement concilier jusqu’au Prestige) culmine dans l’impossibilité du film de donner corps, et même d’envisager comme une option, le métissage de Superman. Censé être le best-of de Krypton et de la Terre, il est au final uniquement, et simplement le fils du Kansas, produit de l’Amérique profonde. Cette vision réductrice d’un mythe qui trouve son plus grand écho dans l’universalité de son discours sur l’immigration, incarne les limites de cette adaptation myope, sans éclat esthétique, et qui laisse un désagréable arrière fond idéologique.

Verdict :

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Victor Lopez.

Man of Steel de Zach Snyder, en salles depuis le 19/06/2013.