Je ne peux pas vivre sans toi de Leon Dai (Cinéma)

Posté le 27 octobre 2010 par

En partant d’un fait divers relatant les difficultés d’un père pour inscrire sa fille à l’école, l’acteur Leon Dai signe un film émouvant et touchant sur l’amour paternel, tout en dressant un magnifique portrait de Taïwan. Par Victor Lopez.

L’Histoire : Taiwan, aujourd’hui. Un homme se tient accroché à un pont, menaçant de se jeter dans le vide. Dans ses bras, une fillette. Entouré de badauds, de policier et de journalistes, il hurle sa colère au monde ahuri autour de lui: « Quelle société injuste ! ». Deux semaines plus tôt, on retrouve Wu-Hsiung, vivant modestement avec sa fille sur les docks du port de Kaohsiung. Presque clochard, l’homme survit en faisant des petits boulots au noir, mais s’occupe avec soin de sa gamine. La visite de policiers lui demandant de l’inscrire à l’école va provoquer un engrenage administratif dont les rouages vont étouffer le pauvre homme.

Taipei sur le système

Ne vous fiez pas à l’affiche : l’abondance de couleurs enfantines, le calme et la sérénité qui semblent émaner de la relation entre les deux personnages, comme l’impression de bonheur qui s’en dégage est mise à mal dès les premières minutes de Je ne peux pas vivre sans toi. Dans un noir et banc frappant d’actualité, on découvre un homme accroché à un pont et hurlant son désespoir au monde qui l’entoure, tout en menaçant de se jeter dans le vide avec une fillette dans ses bras. La situation est captée avec une caméra alerte et heurtée, presque documentaire dans sa manière de saisir le réel. On ne sait encore rien de l’histoire de cet homme et de cette fille, mais la force de l’image frappe par son immédiateté et déchire déjà le spectateur, qui se demande comment on en est arrivé là.

Dai qui rie, Dai qui pleure

Le film revient alors deux semaines en arrière et adopte une narration linéaire pour nous conter le drame de Wu-Hsiung, dont le seul tort est d’avoir voulu inscrire sa fille de sept ans à l’école. Inspiré d’un fait divers sur un homme dépossédé de la garde de ses enfants, Je ne peux pas vivre sans toi arrive à la fois à capter l’amour sincère de cet homme pour sa fille et son désespoir et incompréhension face aux épreuves, tout en critiquant la lourdeur administrative de l’île de Formose. On ne dévoilera pas ici la nature du problème, mais celui-ci semble à la fois complètement anachronique, absurde et insignifiant par rapport aux conséquences qu’il entraine.

Leon Dai évite les deux écueils que l’on pouvait craindre d’une œuvre s’emparant d’un tel sujet. Jamais démonstratif, le film charge violemment la politique sociale de Taïwan en se contentant de décrire avec humanité le parcours de son personnage. Mais surtout, loin du mélo sirupeux annoncé par le titre, le cinéaste signe une chronique sociale au réalisme lucide, souvent dur et triste malgré son humanité et son optimisme.

On peut certes reprocher au film une construction narrative un peu trop évidente et prévisible et une musique (légère et joyeuse pendant les moments d’espoir, dramatique avec renfort de piano et de violons quand ça va mal) appuyant lourdement sur les émotions, que la force du sujet rendent un peu inutile. D’autant plus que ces éléments contrastent avec l’originalité et l’audace du magnifique traitement visuel de Dai. La photo en noir et blanc, d’une grande beauté, sensibilité et immédiateté, arrive aussi bien à capter la brutalité du réel, que des scènes plus poétiques, comme en témoignent les beaux plans sous-marins. Ceux-ci, montrant la fillette observant son père du bateau du point du vu du plongeur, insistent encore sur la puissance du lien entre le père et sa fille, et émeuvent par leur évidente simplicité.

Car la sensibilité du metteur en scène touche le plus souvent grâce à une très belle sobriété. On se souviendra par exemple longtemps du regard que lance Wu-Hsiung à sa fille dans les premières minutes du film. Épuisé par la danse qu’il vient d’effectuer pour la mise à flot d’un bateau, il contemple sa gamine avec un indiscernable mélange de satisfaction éreintée, de lassitude heureuse, de tristesse, mais aussi de joie et d’espoir. Toute la difficulté et le bonheur de sa situation et de ses liens paternels passent en un plan sur Chen Wen-Pin, d’une impressionnante justesse dans son interprétation de Wu-Hsiung.

La Citée des douleurs

La caméra de Dai touche ainsi surtout par l’évidence, la simplicité et la limpidité de son regard. Souvent proche du documentaire, Je ne peux pas vivre sans toi relate la vie des gens les plus démunis de Taïwan, en se focalisant sur la ville ouvrière et portuaire de Koahsiung (deuxième métropole de l’île). De la cérémonie du début à la présentation des conditions de travail inhumaines (on voit notre protagoniste plonger pendant des heures avec un matériel défectueux, manquant de mourir à chaque instant sous le regard inquiet de sa fille), le spectateur est happé par le quotidien des classes les plus modestes de la ville. Le voyage à Taipei arrive à la fois à être ironiquement touristique (le personnage, bringuebalé par une administration désireuse de se défaire de cet énergumène, lui présente les principaux bâtiments de la ville, dont le palais présidentiel), critique (l’administration kafkaïenne en prend pour son grade) et belle (on découvre la ville telle qu’elle est).

On est alors comblé par ce cinéma, qui réussit à nous introduire un univers et une géographie avec autant de sensibilité, nous donnant à la fois l’impression de voyager à Taïwan, et dans l’intime de la situation que traverse son protagoniste.

En résumé : Porté par la sensibilité du regard de Leon Dai sur son pays et la justesse du jeu de Chen Wen-Pin , Je ne peux pas vivre sans toi est une chronique sociale d’une grande force émotionnelle, doublée d’un beau portrait de Taïwan et de ses habitants.

Victor Lopez.

Verdict :

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