Quand le manga de Furuya Minoru, Himizu, est adapté au cinéma par Sono Sion, réalisateur aussi culte qu’engagé, on n’attend pas que le DVD/Blu-ray sorte en France (heureusement sinon on pourrait attendre encore longtemps), on choisit l’import, avec le joli Blu-ray édité chez Third Window Films. Par Jérémy Coifman.
Après la gigantesque claque que fut Guilty of Romance, où le cinéaste arrivait à canaliser toute sa fièvre et sa ferveur pour livrer une œuvre mature et maîtrisée, Himizu arrive littéralement comme un gros coup de poing. Le réalisateur ne nous prend pas en traître, il nous prévient d’emblée. Une vision de cauchemar, un long travelling, le requiem de Mozart, la déchéance, c’est beau et c’est laid, envoûtant et révoltant. Un adolescent est là, perdu au milieu des décombres, les mots résonnent, les frissons nous parcourent l’échine.
On connaît le penchant de Sono à malmener autant ses personnages que le spectateur. Le malaise s’installe, il nous prend à la gorge, pour ne nous lâcher que plus de deux heures plus tard. Himizu transpire la rage, la détresse. L’idée de transposer l’histoire du manga de Furuya dans le Japon post-Fukushima rend l’adaptation encore plus pertinente. Après la haine (et une trilogie magnifique) vient la rage, le désordre pour Sono Sion. Et de rage, il en est clairement question. Qu’elle soit contenue ou pas, elle transparaît partout. Les personnages hurlent leur dégoût, leur haine, leurs espoirs aussi. Himizu est violent, dans tous les sens du terme.
Sumida est un jeune homme à qui la vie n’a pas souri. Lui et son petit groupe de paumés tentent de survivre tant bien que mal après le tsunami. Dans leurs abris de fortune, ils ne perdent pas pour autant espoir. Ils boivent, rient, souffrent ensemble. L’adversité soude les gens, dira-t-on. Pourtant, Sumida est malheureux. Délaissé de toutes parts, haï et sans cesse battu par son père, il cristallise malgré tout les espoirs de toute la petite communauté. Parce qu’il est l’avenir, qu’il peut encore faire quelque chose de sa vie. C’est un héros. Lui ne comprend pas trop pourquoi.
Chazawa est une élève de la classe de Sumida. Obsédée par le jeune homme, elle le harcèle pour obtenir de l’affection. Elle vit dans un milieu aisé. Pourtant, c’est le même mal-être qui parcourt son existence. Comme Sumida, sa famille la rejette. Elle lui construit même une potence pour qu’elle puisse se suicider et enfin les laisser tranquille. La structure familiale est encore une fois mise à mal par le cinéaste.
Sono Sion joue clairement la carte du manga live pour pouvoir mieux parler du Japon actuel, dans le style punk qu’on lui connaît. Himizu n’est pas un film qui se laisse approcher facilement, il faut lui laisser le temps. Le réalisateur et les personnages nous crient littéralement à la figure, les scènes chocs se succèdent, l’angoisse est prégnante. Le manga live permet l’outrance, et en cela Himizu est clairement too-much dans tout ce qu’il entreprend. L’interprétation, la symbolique, les situations, tout est rendu possible et permet à Sono Sion de se lâcher totalement et de mettre tout le monde face à ses responsabilités.
Même si Himizu est d’une noirceur abyssale, qu’il assène pendant toute la durée du film un message d’une violence incroyable sur le conflit des générations et sur l’héritage que laisse cette société à ses enfants, Sono Sion ne se laisse pas aller à un pessimisme total. Sumida et Chazawa sont la voix du réalisateur. Sumida répète à envie qu’il veut être un adulte respectable, et Chazawa de lui crier de tenir bon. Parce que malgré tout, Sono Sion ne veut pas abandonner tout espoir.
Parfois maladroit et manquant souvent de subtilité dans le propos, Himizu n’en reste pas moins une œuvre forte et dérangeante, parsemée de séquences proprement hallucinantes. En outre, l’édition de Third Window Films propose un master vidéo des plus agréable et un son parfait. En bonus, un making-of de 70 minutes et une interview de Denden qu’on a toujours plaisir à retrouver.
Verdict :
Jérémy Coifman.
Himizu de Sono Sion est disponible en DVD/Blu-ray depuis le 06/08/2012 chez Third Window Films (sous-titres anglais).
Pour plus d’information et acheter le film, voir le site officiel de Third Window ici !