C’est la dernière œuvre du chef de file du cinéma tibétain contemporain qui a ouvert le Festival Shadows : Old Dog, une œuvre libre et forte du grand Pema Tseden. Par Victor Lopez.
Vendredi 19 novembre, 20 heures, studio des Ursulines. C’est avec une belle curiosité que nous nous rendons à la soirée d’ouverture du Festival Shadows, qui présente tous les deux ans depuis 2006 un panorama du cinéma indépendant chinois. Mais cette année, même si, clin d’œil malicieux des programmateurs du Studio des Ursulines ou hasard musical, c’est le China Girl de David Bowie qui nous accueille lors de notre arrivée dans la salle, la première projection est entièrement sous le signe du Tibet. La présentation de Hugo Paradis passée, Shadows propose ainsi ce soir le premier court-métrage d’animation tibétain, The Hunter and the Skeleton, tentative intéressante quoique limitée de greffer des techniques d’animations numériques à une vieille légende locale et à la symbolique graphique appuyée de la culture tibétaine, suivit de la dernière œuvre de Pema Tseden, Old Dog. Le tout se terminant par un débat avec la tibétologue enthousiaste Françoise Robin (assistée par Flora Lichaa) et un petit cocktail, animé par la jeune et dynamique équipe du festival, parmi lesquels on peut citer et remercier l’avenant attaché de presse Hong Tao.
Tout cela pour rappeler que le Festival Shadows se tient au Studio des Ursulines jusqu’au 17 novembre, et que les découvertes cinématographiques dans une ambiance chaleureuse y sont nombreuses, à l’image de Old Dog.
Beat The Sun Beaten Path
Lenteur du rythme, longueur des plans, absence de dramatisation, minimalisme de la narration et économie de dialogues : le cinéma de Pema Tsenden semble avoir l’aridité des espaces désertiques du Tibet qu’il met en scène. Pourtant, dès ses premières images, quelque chose nous happe durablement et ne nous lâche pas. Et cela ne tient pas uniquement à la force brute des paysages que le film montre. Certes, un sentiment de dépaysement total nous étreint à la vision de la ville champignon, peuplée d’animaux et d’autochtones jouant au billard, dans laquelle se déroule Old Dog, et l’impression d’y être et d’y vivre le temps du film participe à la fascination qu’il exerce, mais cela n’est qu’un élément secondaire de sa réussite.
Pour preuve nous revient en mémoire la première œuvre de Sonthar Gyal, The Sun Beaten Path, vu à Deauville Asia 2012. La beauté des paysages et de la lumière ne suffisait pas à produire autre chose qu’une impression touristique, amplifiée par une dramatisation maladroite, dont la construction finissait de gâcher le potentiel du film. Or, Sonthar Gyal est aussi l’élève de Pema Tseden, et occupe le poste de chef opérateur sur Old Dog. Cadré par Tseden, les lumières de Gyal prennent une autre orientation et perdent leur verni touristique pour gagner une densité purement cinématographique grâce au sens de l’espace du cinéaste. Les cadrages sont ainsi d’une justesse et d’une audace saisissante, séparant souvent l’espace en deux, et développant les espaces même de la narration. Le minimalisme de cette dernière est ainsi un leurre, tant la mise en scène elle-même multiplie les enjeux et les histoires, et crée sa propre narration.
Une vie de chien
En suivant l’histoire d’un chien tibétain, vendu par le fils d’une famille paysanne pour le plaisir de quelques « chinois de la côte est », puis racheté par le doyen de la famille, Tseden livre surtout un portrait du Tibet d’aujourd’hui, alliant une observation du quotidien par touches impressionnistes à une portée symbolique par l’intelligence de sa mise en scène. En séparant souvent son cadrage en deux, jouant sur les effets de split-screen naturels ou en travaillant la profondeur de ses plans, lorsqu’il ne dédouble pas les angles dans le même cadre par des effets de reflets ou de miroirs de manière aussi simple que virtuose, Tseden multiplie la portée de son film.
Le film dépasse ainsi dans un premier temps par ces effets la chronique sociale et contemporaine pour digresser de manière souvent cocasse vers de micro-récits animaliers qui éclairent de manière doucement ironique le drame qui se joue sous nos yeux. Un plan voit ainsi en amorce deux personnages évoquer gravement quelque sujet central du film (le fait que le jeune couple de paysan n’ait pas encore d’enfant et la possibilité d’y remédier médicalement grâce aux progrès de la ville), alors que la ligne de fuite qui capte l’attention du spectateur présente au second plan, derrière une vitre, le chien du titre et un cheval, qui pendant toute la discussion, continuent à vivre leur vie. Cette attention portée aux micro-récits animaliers culminera dans un des derniers plans du film, s’attardant génialement sur le sort d’un mouton isolé, alors que le personnage central quitte le film pendant quelques minutes. Cela apporte une amplitude nouvelle au récit, ainsi qu’une impression de liberté et une touche de légèreté, d’autant que l’on a rarement vu un mouton aussi bien dirigé.
Mais ce sens de l’espace créant de nouvelles narrations en faisant vivre par exemple un hors-champ en le rendant ultravisible participe aussi à la portée plus métaphorique de l’histoire qui nous est contée. Cela est par exemple flagrant lorsque l’espace sonore est saturé par le son d’une publicité chinoise à la télévision vantant interminablement la qualité d’un collier en or. Sans être un film à thèse ou à message, Old Dog témoigne ainsi de la mainmise de l’impérialisme chinois sur le mode de vie des paysans tibétains, dépossédés de leur culture par une omniprésence fantomatique chinoise, comme le suggère l’agressivité de la bande-son télévisuelle ou l’arc narratif principal, voyant donc un vieux tibétain refusant de vendre son chien aux chinois.
Verdict :
Victor Lopez.
Old Dog est présenté au Festival Shadows à Paris, du 9-17 novembre 2012. Plus d’informations ici.
Sortie française : premier semestre 2013.