FESTIVAL ALLERS-RETOURS 2023 – Barbarian Invasion de Tan Chui Mui

Posté le 18 février 2023 par

Figure de la nouvelle vague malaisienne, Tan Chui Mui fait un retour remarqué devant et derrière la caméra. Son dernier film, Barbarian Invasion, présenté au Festival Allers-Retours est un long-métrage à la construction en poupées russes qui déroute autant qu’il intrigue.

Roger, un réalisateur travaillant sur son prochain film, invite sa collaboratrice de longue date, Moon, à une retraite d’écriture dans une ville en bord de mer. Actrice multi-récompensée, Moon n’a cependant pas joué depuis 10 ans. Son récent divorce la pousse à accepter l’offre de Roger, un rôle principal dans une version sud-est asiatique de La Mémoire dans la peau. Moon doit commencer à s’entraîner pour ce film où elle réalisera ses propres cascades.

« Chaque génération d’enfants est une invasion barbare ». On peut aisément concevoir que le début de la célèbre citation d’Hannah Arendt ait inspiré le titre du film de Tan Chui Mui qui s’ouvre sur cette comédienne fraîchement divorcée, complètement dépassée par son jeune fils à tendance hyperactive. La philosophe allemande n’est pas la seule référence de ce Barbarian Invasion qui convoque avec beaucoup d’aplomb, un peu d’irrévérence et une bonne dose de malice, les théories de Gilles Deleuze, les logorrhées alcoolisées de Hong Sang-soo, l’âge d’or du cinéma d’action hongkongais, Matrix et, bien sûr, Jason Bourne.

Réalisatrice, actrice, productrice et scénariste, Tan Chui Mui endosse toutes les casquettes dans cette œuvre hybride qu’on devine très personnelle. Pour l’occasion, elle s’entoure de plusieurs camarades bien connus de la scène malaisienne, le fidèle Pete Teo et le célèbre comédien Bront Palarae. Ils ne sont néanmoins que des satellites évoluant autour du personnage féminin, Moon, au centre de chaque plan et vers lequel gravite tout le récit. Comme un exutoire après sa longue absence, c’est elle-même que Tan Chui Mui met avant tout en scène. Aussi, elle dissimule à peine la gémellité des émotions et préoccupations (le manque de contrôle de son corps ou de son enfant, le vieillissement, la crainte d’être mise de côté et de ne plus s’appartenir) entre les siennes et celles de son personnage.

En partant de là, Barbarian Invasion pourrait laisser craindre un exercice de style vain et autocentré mais il en évite, étrangement, les pièges qui ne manquent pas de poindre à plusieurs moments du film. Si le personnage devient rapidement indissociable de son interprète, c’est pour mieux servir un récit plutôt ambitieux sur l’aliénation à travers la maternité, le jeu ou la perception des autres. Quelque soit la forme qu’il adopte ou l’univers dans lequel il choisit de nous emmener, Barbarian Invasion perd rarement de vue ce qu’il souhaite raconter : un chemin de croix vers la réappropriation du corps, et de l’esprit, que Moon/Tan Chui Mui incarne autant dans sa chair bien malmenée, que dans les symboles, disséminés ici et là dans le scénario.

Le film est à son meilleur dans la première partie qui voit l’héroine déboussolée retrouver une forme d’équilibre au cours de l’entrainement martial qu’elle entreprend pour les besoins du rôle devant la remettre en selle. Passant aisément de longues scènes dialoguées plus réflectives à des montages musclées plus physique, la cinéaste interroge la place de la femme dans la société ( en tant que mère, actrice, célibataire, vieillissante) non sans humour, et de manière assez percutante. Par ailleurs, elle investit pleinement une intrigue, qui demeure basique, avec des séquences de chorégraphies de kung-fu répétées jusqu’à l’épuisement, donnant au film, un air de Rocky au féminin hyper satisfaisant.

Alors que Barbarian Invasion trouve son rythme de croisière, le film démontre qu’il a plus d’un tour dans son sac. Il opère un audacieux changement de ton qui nous amène totalement sur le terrain de l’action, voire du pastiche. Cette seconde partie, entre réalité et fiction (ou pas) fonctionne à plein pendant un temps. En effet, il y a un côté jouissif à voir se jouer un remake un peu maladroit et très décomplexé de La Mémoire dans la peau (coding d’une extrême complexité et teinture de cheveux dans le lavabo à la clé). Il a néanmoins, le défaut de s’étirer un peu trop, une fois le twist ultime (plus attendu) révélé. Barbarian Invasion s’essouffle alors, et peine à conclure dans une dernière ligne droite qui se veut un hommage un peu confus sur l’artisanat du cinéma. A trop forcer la symbolique, le film se perd un peu dans tous ces messages et ne conserve pas la verve de ses débuts. Ceci atténue quelque peu notre enthousiasme mais ne gâche tout de même pas les meilleures idées du film dans ce qu’il a de plus enlevé et de plus émouvant.

Malgré ses défauts, Barbarian Invasion a l’audace et l’énergie de son auteure qui revendique, à double titre, sa place au monde et au cinéma. Avec une poigne en acier trempé, Tan Chui Mui met tout sur la table et remporte la partie.

Claire Lalaut

Barbarian Invasion de Tan Chui Mui. 2021. Chine – Malaisie. Projeté au Festival Allers-Retours 2023.

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