FESTIVAL ALLERS RETOURS 2023 – Four Journeys de Louis Hothothot

Posté le 13 février 2023 par

Cette année encore, le Festival Allers Retours propose une sélection faite des fantaisies créatives et des regards intimes d’un cinéma d’auteur chinois décidément passionnant. Le plus intime de ces regards est probablement celui de Louis Hothothot et son Four Journeys, documentaire en forme de thérapie familiale entre deux continents.

Louis est le deuxième enfant de ses parents, à une époque où la politique de l’enfant unique est de rigueur en Chine. Se sentant effacé de sa propre histoire, il décide d’allumer sa caméra et de filmer ses proches pour renouer le dialogue. Retrouver la tombe de son premier frère devient son objectif, afin de libérer sa famille du poids qui l’habite.

Quelques minutes après que Four Journeys ait commencé, nous assistons à une scène de retrouvailles un peu particulière. Le fils, fraîchement de retour, filme ses parents et sa sœur assis sur le lit dans un échange embarrassé, ponctué de silences et de banalités. Soudain, la sœur s’anime et exhorte les parents à parler au fils prodigue qui, derrière la caméra, semble participer à la discussion (est-ce une discussion ou une dispute ?) sans pleinement s’y intégrer. La gêne est palpable, les rancœurs et les non-dits évidents. Pourtant, la séquence est également drôle et étonnamment frontale dans la manière d’aborder le malaise ambiant et ses causes. Tout est là, dans cette scène. Si elle ne pourrait résumer Four Journeys à elle-seule, le film est bien davantage, elle en révèle en tout cas les meilleures qualités.

Eminemment personnel, le film tire le douloureux constat du poids de l’histoire contemporaine de la Chine sur les rapports familiaux et la construction d’une identité propre au sein de cette société. Pour autant, si Four Journeys draine une grande souffrance, il n’est en aucune manière un règlement de comptes. A vrai dire, il est tout le contraire, le film se transformant peu à peu en une déclaration d’amour, trop longtemps négligée, du réalisateur à ses proches.

Sur une forme de documentaire-vérité, caméra au poing et entretiens en plans fixes, Louis Hothothot installe une réelle dramaturgie qui permet à son récit de gagner en ampleur et en émotion. En effet, il y a beaucoup de cinéma dans Four Journeys, à commencer par ses « personnages » que le regard,  tantôt distant, tantôt impertinent puis finalement infiniment tendre, du cinéaste rend aussi mémorables que n’importe quel héros de fiction. Nous avons la sœur aînée, peau de vache et blessée, le père fier et désabusé, la mère indiscrète et anxieuse de mettre à l’aise, le fils prodigue à la colère sourde et même un fantôme qui balade son ombre durant tout le film. Ce premier enfant, le fils perdu, celui qu’on a voulu remplacer, celui qu’on n’a pu remplacer, celui dont on ne peut pas parler de peur de raviver trop de blessures et pourtant, la clé de réconciliation dans une vie entière de petites incompréhensions et de gros malentendus.

Grâce à un découpage particulièrement bien équilibré, Four Journeys parvient à fendre des couches de vulnérabilité sans jamais perdre son piquant ou glisser vers le voyeurisme. Soucieux de ne pas empeser son récit, le cinéaste manie les ellipses et les hors-cadres avec assurance, utilise le commentaire avec malice et, surtout, tient les quelques fils rouges de sa narration (la photographie de Tienanmen, la montre du père, la tombe du frère) sans s’éparpiller inutilement. Cette économie dans l’écriture permet alors au film de se déployer pleinement dans sa partie chinoise, néerlandaise ou française et d’aller au bout des questionnements entrepris.

Si la caméra lui permet de tenir une certaine distance, Louis Hothothot ne se préserve pas pour autant. Sa démarche de cinéma est avant tout personnelle et il expose même beaucoup de lui, de ses propres craintes, attentes et frustrations, notamment dans la seconde partie du film. Au fur et à mesure que les choses se disent, il se met davantage en scène, comme un membre à part entière de cette famille en morceaux (au sens littéral) qui retrouve, ou plutôt découvre une forme d’unité.

Dans ces moments-ci, le film va alors plus loin que ses enjeux et devient une réflexion bien plus universelle, et profondément émouvante, sur la place qu’on occupe au sein de la famille, des attentes qu’on forme, celles qu’on impose et celles qu’on imagine. Avec une générosité assez bouleversante, Four Journeys témoigne des blessures intimes et durables qu’inflige une politique insensée mais aussi, et surtout, de la possibilité de les dépasser.

Comme After the Rain de Fan Jian, autre film de la sélection sur des enfants « remplaçants » face au regard de leurs parents et de la société, Four Journeys trouve son inspiration dans les plus cruelles des circonstances et en tire un magnifique portrait de famille. Avec son film, Louis Hothothot semble commencer à trouver sa place dans la sienne. Un bel acte de revanche pour un des « enfants noirs » de Chine.

Claire Lalaut

Four Jouneys de Louis Hothothot. 2021. Pays-Bas-Chine. Projeté au Festival Allers Retours 2023.

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