ETRANGE FESTIVAL 2022 – Frisson ? de Mike de Leon

Posté le 22 septembre 2022 par

Nous poursuivons l’exploration de la filmographie du réalisateur philippin Mike de Leon, mis en lumière dans cette édition 2022 de L’Etrange Festival, avec sa comédie d’espionnage Frisson ?, sortie initialement en 1980.

Frisson ? raconte l’histoire d’un yakuza malchanceux et pas très finaud qui tente, en vain, de transporter des marchandises illégales entre le Japon et les Philippines. Lassé de se faire épingler à la douane et de devoir se couper des doigts devant son supérieur en guise de punition, il choisit finalement de tenter une nouvelle approche. Il glisse son paquet dans la poche de la veste de son voisin de siège, pour que celui-ci passe la douane avec. La combine fonctionne mais comment récupérer cette marchandise ? Pendant ce temps, son voisin de siège, un jeune homme prénommé Johnny, tente de vivre une belle histoire d’amour avec Melanie, une hôtesse de l’air rencontrée durant le vol.

Frisson ? pourrait être découpé en deux parties. La première fonctionne comme les comédies parodiques d’espionnage, typiques de l’époque, qu’elles soient asiatiques ou même occidentales. On peut penser en particulier au Grand blond avec une chaussure noire, via cette histoire d’homme sélectionné par hasard dans un aéroport qui devient la cible de toutes les attentions, alors qu’il ne se doute de rien dans un premier temps. Le yakuza et son sidekick, un supposé garde du corps aussi talentueux que l’homme qu’il est censé protéger, forment également un duo comique assez représentatif de la période. S’il ne s’agit pas de la partie la plus originale du film, elle reste toutefois très plaisante. La comédie fonctionne bien, en particulier dans l’absurdité de certains dialogues. De Leon ponctue les discussions de petites saillies détonantes et très efficaces, qui ajoutent une personnalité au film. Tout ne fait pas forcément mouche, mais l’énergie pousse à se laisser porter par le film.

Lorsqu’il finit par opter pour un approfondissement de son histoire de trafic asiatique d’opium dans des cassettes audio, le film décolle véritablement et prend une toute nouvelle ampleur. De Leon se laisse aller à des expérimentations cinématographiques qui sont tout aussi intéressantes qu’elles sont bienvenues. Il donne notamment à Frisson ? une esthétique proche de la bande dessinée qui lui permet de jouer sur le texte présent à l’écran. Nous assistons, par exemple, à des sous-titres de dialogues de personnages sinophones ou japanophones qui se répandent dans le cadre ou bien qui se mélangent lors d’une scène de dispute entre une Chinoise et un Japonais, etc. Une séquence dans laquelle Johnny et ses amis prennent de l’opium est, elle, en revanche, une ode au cinéma expérimental. De Leon s’adapte au contenu de chaque scène pour trouver une façon de la mettre en valeur sur le plan esthétique, ce qui pourrait créer un effet décousu, mais qui s’imbrique parfaitement avec son scénario. Plus son récit prend une dimension exagérée avec des complots de toutes parts, plus la façon de raconter le récit évolue elle aussi. Nous finissons même avec un point d’orgue en comédie musicale, séquence d’anthologie qui porte ce joyeux chaos jusqu’au summum de l’absurde.

Ce n’est pas pour autant que le film n’est qu’une fantaisie décalée et étrange, et nous retrouvons une portée politique qui fait la force de la filmographie de de Leon. Le cinéaste montre les Philippines comme un lieu de tension entre une modernité grimpante et des instances réactionnaires, au point que l’un se fond dans l’autre, lors d’une scène très drôle et critique du rôle de l’Eglise. De même, on repère forcément des tensions géopolitiques, représentées par les personnages chinois et japonais, qui considèrent les Philippines comme un territoire d’exploitation et rien d’autre, ce qui crée un pont avec l’histoire de la colonisation japonaise de la région. Il est, à ce titre, très intéressant d’assister à un point de vue sur les tensions entre Chine et Japon, depuis un observateur extérieur qui pâtit directement de leur influence.

En prime de toutes ces qualités, le film est très plaisant visuellement. Le travail des couleurs et des lumières, sans oublier les costumes, est agréable et convient tout aussi bien au film que l’esthétique plus désaturée et réaliste convenait à Batch ’81 du même réalisateur. De Leon continue de prouver qu’il sait faire fonctionner un ensemble, tout en se montrant original et en jouant avec les attentes du spectateur. La rétrospective autour de sa filmographie constitue l’une des meilleures surprises de cet Etrange Festival 2022.

Elie Gardel.

Frisson ? de Mike de Leon. Philippines. 1980. Projeté à L’Etrange Festival 2022.

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