VIDEO – In the Heat of the Sun de Jiang Wen

Posté le 16 août 2022 par

En ce mois d’août, Spectrum Films nous gratifie d’un double programme Jiang Wen en Blu-Ray. Intéressons-nous à l’un des deux films du coffret dédié à l’acteur-réalisateur de la Cinquième génération avec In the Heat of the Sun, véritable petit miracle du cinéma chinois continental, remonté en version longue et restauré par L’Immagine Rittrovata de Bologne en 2013, qui ne pouvait pas mieux tomber qu’en cet été.

Durant la Révolution culturelle, les étés sont particulièrement profitables aux adolescents de Pékin. Beaucoup d’adultes sont en effet absents de la ville pour soutenir Mao dans ses opérations militaires. Xiaojun, surnommé Monkey, appartient à une bande. Ensemble, ils font les 400 coups et cherchent à attirer l’attention des filles. Mais Xiaojun, qui a pour loisir la serrurerie, et qui pénètre dans les logements, ne va-t-il pas de lui-même faire une rencontre singulière en infiltrant l’appartement de Mi Lan ? Aînée de quelques années, employée dans une ferme, elle dégage un magnétisme et une passion qui éveillera son sens du romantisme…

En 1994, Jiang Wen est connu pour quelques apparitions marquantes au sein du cinéma chinois, notamment dans Le Sorgho rouge de Zhang Yimou en 1988, film dans lequel il donne la réplique à Gong Li. In the Heat of the Sun est alors son premier film en tant que réalisateur, qu’il scénarise également, sur la base du roman du même nom de Wang Shuo. Et avec ce film, Jiang Wen parvient à s’inscrire pleinement dans le courant de la Cinquième génération. On retrouve en effet dans In the Heat of the Sun cette couleur jaune-ocre qui inonde l’image tel un soleil aveuglant, et que l’on a particulièrement observé dans les travaux de Chen Kaige (Terre jaune, Le Roi des enfants) et Zhang Yimou (Qiu ju, Vivre !) se déroulant dans le désert et la paysannerie. Mais ici, les héros appartiennent à la classe moyenne de Pékin. La société maoïste des années 1970 est radiographiée et cartographiée par la lorgnette de la jeunesse, attirée par le danger et les plaisirs. Un commentaire politique est bien présent. Les sursauts de violence et l’érotisme ambiant ne brossent pas tout à fait la société chinoise dans le sens du poil. Pire, les rares interventions émanant de l’autorité étatique relègue les fonctionnaires au rang de garants de l’ordre agissant de manière erronée ou ridicule. Et que dire de réaliser le portrait de gangs de jeunes oisifs quelques années après le massacre de Tiananmen et les revendications étudiantes ? Malgré cela, l’aspect politique de l’œuvre est diffus, plongé dans de nombreux filtres, au service d’une esthétique extrêmement sophistiquée et poignante.

Si le commentaire social est si peu en relief, c’est d’une part en raison des contrôles du bureau de censure qui se révèlent toujours aussi contraignants, et d’autre part car ce ne semble pas être le but premier de Jiang Wen. In the Heat of the Sun est un hymne à la beauté de la jeunesse, aux premiers émois amoureux. Les personnages sont magnifiés par leur attitude, dès leur simple apparition à l’écran. Mi Lan, lors de son entrée, semble irréelle et onirique derrière ses lunettes de soleil rondes. Xiaoyun, lorsqu’il essaie de l’impressionner en grimpant sur une cheminée et tombant la tête la première dans la tour, se révèle attendrissant de par son espièglerie : la suie qui recouvre son visage évoque le maquillage d’un acteur d’opéra ; le noir à la place du blanc, comme pour agir en négatif de quelque chose, comme pour au fond, signifier que ces jeunes agissent à revers du cours des choses, et rappelant ainsi la fragilité de leur destin.

Là où In the Heat of the Sun se montre vraiment convaincant réside dans la mise en scène des émotions des protagonistes, et plus particulièrement de Xiaoyun. Que ce soit son rôle dans le gang ou sa romance avec Mi Lan, tout est vu de son regard (la scène avec la longue vue est là comme pour matérialiser ce fait). Évoluer dans un groupe d’amis et tomber fou amoureux sont au cœur des préoccupations de beaucoup d’adolescents. In the Heat of the Sun est une lettre qui leur est adressée, surtout aux plus romantiques d’entre eux. Ce sujet, multiplement varié dans tous les cinémas du monde, devient tout à fait singulier dans le cinéma chinois de la Cinquième génération, car la description des émotions à vif de Xiaoyun n’a rien d’un chemin tranquille. Mi Lan reste un amour difficilement accessible à Xiaoyun, de par les années qui les séparent et le manque de maturité tout à fait normal qui caractérise le garçon. Que Mi Lan lui échappe, Xiaoyun le craint mais vit avec, voire joue avec, puisqu’il n’hésite pas à intégrer la jeune femme dans sa bande de garçons, au risque de donner envie aux autres de la séduire. La scène dans le champ de la ferme, où l’on trouve un Xiaoyun endormi qui cauchemarde la mort de Mi Lan dans une reconstitution guerrière baroque, a quelque chose de clownesque mais si l’on y regarde bien, fait très mal au cœur, tant il témoigne de la peur qui habite Xiaoyun. Le rêve et les hallucinations font partie intégrante de l’œuvre, comme le suppose la narration de Xiaoyun, avouant à demi-mots que les images qui nous sont montrées sont peut-être réarrangées par son conteur.

In the Heat of the Sun fait partie des chefs-d’œuvre du cinéma de la Cinquième génération et du cinéma de la Chine continentale, où les contrariétés du quotidien se mêlent à des élans romantiques et des pointes de danger en provenance d’un environnement tentaculaire. La restauration du film rend honneur au travail plastique de Jiang Wen, et a permis de rallonger la durée du film à 2h20, là où Jiang Wen, à la base, imaginait un film de 4h où l’on aurait rencontré Xiaoyun dans sa trentaine. Puisque Jiang Wen devait l’interpréter, et qu’il ne se sentait pas inspiré pour le rôle, il a préféré renoncer à ces segments. Nous sommes donc en présence de la version la plus complète et adéquate.

Les bonus de Spectrum Films (Blu-ray 1 du coffret Jiang Wen)

Présentation du film par Arnaud Lanuque (11 min). Arnaud Lanuque opère une présentation historique succincte mais efficace de la Révolution culturelle et des bouleversements de l’Histoire de la Chine dans la seconde moitié du XXe siècle, permettant ainsi de resituer In the Heat of the Sun. Il insiste sur le rapport difficile à la mémoire comme sujet du film, la voix off du protagoniste se plaçant probablement en 1994 et commentant 1970, soit deux Chines totalement différentes, expliquant le sentiment nostalgique qui habite le métrage.

Présentation de Jiang Wen par Nathalie Bittinger (17 min). Nathalie Bittinger retrace la parcours d’acteur et de réalisateur de Jiang Wen, de ses débuts dans les années 1980 à ses réalisations d’aujourd’hui, en passant par l’interdiction de tournage de 7 ans que lui vaudra son deuxième film, Les Démons à ma porte, en 2000. Nathalie Bittinger analyse In the Heat of the Sun, en assistant sur son aspect mémoriel fragmentaire, et l’analogie que l’on peut lui opérer avec l’Histoire chinoise, ses discours officiel et sa réécriture.

Interview du producteur Manfred Wong (15 min). Producteur du film, ayant dirigé Jiang Wen dans une coproduction sino-hongkongaise, Manfred Wong témoigne de la sortie du film et surtout de ces associations entre productions hongkongaises et chinoises, très fréquentes passées les années 1980.

Maxime Bauer.

In the Heat of the Sun de Jiang Wen. 1994. Chine. Disponible dans le coffret Blu-Ray Jiang Wen paru chez Spectrum Films en août 2022.

Imprimer


Laissez un commentaire


*