VIDEO – Vanishing Point de Jakrawal Nilthamrong : The Shadow out of Time

Posté le 4 mars 2022 par

Le deuxième long-métrage de Jakrawal Nilthamrong, Vanishing Point, disponible en DVD, est un objet cinématographique fascinant qui s’inscrit pleinement dans les préoccupations esthétiques et narratives du cinéma local. Entre les errances labyrinthiques de Pen-ek Ratanaruang, et les expérimentations plastiques d’Anocha Suwichakornpong, le cinéaste propose sa version singulière des méandres tragiques du folklore, de la société et des croyances thaïlandaises.

La mort d’une jeune fille durant un voyage scolaire va nous propulser rétroactivement dans la vie des personnages concernés par le drame. De près ou de loin, Vanishing Point va dresser un ensemble de situations, de rencontres qui vont rendre explicite ce réseau de corps qui communiquent directement ou indirectement. Car c’est bien là le projet du cinéaste, de donner une forme aux forces invisibles qui façonnent le réel, que ce soit le temps, l’espace ou l’esprit. Dès les premiers plans qui sont des photographies de moments clés, d’images marquantes d’accident et de cadavres qui évoquent la série de photographies d’Andy Wharol, The Death and Disaster Series, Nilthamrong nous fait ressentir que les images que nous voyons ne sont que les captations d’un ensemble bien plus complexe. Non pas dans la logique d’une exposition narrative (même si les photos fonctionnent également à ce niveau), mais dans l’exploration de notre rapport au réel. Le cinéaste va doucement glisser d’un régime d’images à l’autre, d’une qualité de captations à l’autre, d’un point de vue à l’autre dans la fluidité de longs plans qui nous laissent apprécier les espaces. Il va distiller des éléments de mise en scène pour nous faire sentir que ce que nous voyons n’est qu’une configuration subjective dans l’ensemble des expériences possibles à un moment donné. Par exemple, l’un des personnages erre dans un hôtel de prostitution, on passe soudain à une image vidéo d’un mariage qui est en réalité une vidéo de karaoké. Après une autre coupe, la caméra revient au couloir de l’hôtel où le personnage erre toujours, mais cette fois, les paroles du karaoké se superposent aux images de ce qu’on croyait être le réel. Le cinéaste nous plonge donc dans une pure subjectivité qui serait celle qui conditionnerait le parcours des personnages jusqu’à leur mort et qui, malgré son incarnation par les procédés esthétiques explicites du cinéaste, donne toujours la sensation d’être devant un mystère, voire une abstraction presque indicible.

C’est cette abstraction qui va nourrir le film presque de manière subliminale ou souterraine dans la récurrence de motifs, comme les arbres qui dressent des lignes au début du film répondant aux plans d’antennes de satellites ou de télévisions dans la ville qui structurent l’image de la même manière. Ou bien le passage devant un miroir d’un personnage au début qui suit un personnage, et le même passage devant un corps statique, cette fois. Vanishing Point tente de rendre palpables ces abstractions qui construisent notre expérience de la réalité, comme les lignes électriques et les antennes se croisant pour nous dévoiler l’espace/temps. Ce vertige est parfaitement orchestré et offre des séquences sidérantes, où justement, la caméra va déjouer les règles de « la réalité », et nous proposer des images comme des sensations qui oscillent entre des captations micro et macro. C’est par ce jeu d’échelles que le cinéaste met en scène son drame, comme celui d’une force invisible, fatalité tragique qui serait le mouvement du cosmos lui-même. Il tente de capter ce moment où tout s’évanouit pour que ces corps n’existent que dans leur plus évidente matérialité. Il tente de capturer dans les remous des désirs, de la frustration, des regrets et des rêves, une sorte d’existence nue. C’est l’étant que cherche Jakrawal Nilthamrong. Et ce n’est pas sans maladresse qu’il arrive parfois à le faire surgir. On peut penser à cette séquence de discussion avec le moine sur les rêves, où la caméra va s’arrêter sur un arbre avant de suivre la direction de ce qui semble être les racines (donc invisibles), puis dans le mouvement, de ressortir de cette image double pour cette fois suivre la fumée de l’encens, comme s’il passait d’un lien à l’autre, d’une couche de l’existence à l’autre dans la même image, le même mouvement. Et dans le même temps se joue cette parole onirique qui, elle-même, se déploie dans une logique de rhizome. C’est dans ce genre de séquences dont la fausse simplicité et l’étonnante fluidité semblent nous border que Vanishing Point touche parfois à une vision mélancolique du sublime. C’est ce que le cinéaste réussit le mieux : nous perdre dans l’étrange clarté des vagues du temps.

Kephren Montoute

Vanishing Point de Jakrawal Nilthamrong. Thaïlande. 2015. Disponible en DVD chez Damned le 01/03/2022

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