FFCP 2021 – A Distant Place de Park Kun-young

Posté le 6 novembre 2021 par

La section Paysage a encore permis de faire de belles découvertes lors de cette 16 édition du Festival du Film Coréen à Paris (FFCP).  Ambitieux mélodrame au sein d’une nature faussement paisible, A Distant Place interroge les normes et les conventions sociales avec pudeur et délicatesse.

Ce qui frappe d’emblée est l’immensité du paysage à perte de vue, dans lequel une petite fille s’ébroue joyeusement. La caméra de Park Kun-young pose ainsi le cadre avant de se rapprocher de l’enfant et observer l’événement qui se joue sous ses yeux. Le film ne cessera d’alterner ainsi les perspectives et de déconstruire les préconceptions, laissant infuser une sensibilité à fleur de peau qui s’infiltre dans tous les aspects de ce drame de l’intime avant d’en révéler toute sa puissance dans le dernier acte.

Jin‑woo élève des moutons dans un ranch à Hwacheon et éduque seul la jeune Seol avec l’aide de Joong-man, le propriétaire du ranch et sa fille Moon-kyeong. Ensemble, ils forment une famille discrète et appréciée. Cette paisible existence est bouleversée par l’installation de Hyun-min, l’amant secret de Jin-woo, dans la maison, puis par l’arrivée inattendue de la sœur du fermier qui demande à récupérer sa fille.

Pour son deuxième long-métrage, Park Kun-young ne choisit pas la facilité, se démarquant d’un jeune cinéma indépendant plutôt urbain tout en déployant un récit dense et potentiellement miné (celui-ci abordant l’homosexualité, la conception de la famille et le poids de la société sur l’individu). Le résultat montre que son talent est visiblement à la mesure de son ambition, le film faisant preuve d’une grande maîtrise dans sa narration comme dans sa mise en scène. Park Kun-young investit tous les aspects de son film, ne laissant rien ni personne de côté, tout en entretenant une économie de scènes et de dialogues qui semble témoigner d’une confiance bienvenue du cinéaste autant dans ses personnages que dans les spectateurs, libres d’interpréter ce qu’ils voient sans besoin de surligner ou surexpliquer.

Aussi, A Distant Place se construit essentiellement sur les silences entre les mots et sur quelques motifs (le mouton, la voiture, le bain) qui viennent délicatement émailler le récit et informer de l’évolution des désirs et des sentiments. Le film est soutenu par une magnifique photographie qui intègre complètement la nature environnante à l’histoire, ainsi que par une réalisation intelligente qui suggère plutôt que de souligner, permettant aux moments d’intimité ou de tension de se créer de manière organique. Si cet équilibre est plus précaire sur les rapports entre Jin-woo et sa soeur, le traitement de l’homosexualité et de son couple avec Hyung-min est la meilleure illustration de la capacité de Park Kun-young, aidé par l’alchimie confortable de ses deux interprètes, à faire exister une relation en quelques scènes faisant comprendre toute la force du lien qui les unit et toute une histoire dont on ne connaît que des bribes mais que l’on ressent aisément en un simple geste ou en un regard.

Partant d’un postulat au fort potentiel mélodramatique, A Distant Place aurait pu facilement être plombé et crouler sous le poids des thèmes abordés. Si une forme de violence sourde s’immisce dans le film au fur et à mesure qu’il avance, celle-ci est rattrapée par la douceur qui s’en dégage. En effet, en apportant un soin tout particulier aux relations entre ses personnages, le film ménage des respirations bienvenues. Il fait également le choix de multiplier les points de vue, notamment celui de la petite Seol, pas en âge de totalement saisir les problèmes des adultes ou mêmes les concepts tels que la mort, la sexualité ou la convention (une des très jolies idées du film est d’ailleurs de la faire appeler Jin-woo « maman », subtile subversion à la représentation nucléaire de la famille mais moyen sans autre implication pour la petite-fille de désigner la personne la plus importante de son monde). C’est d’ailleurs à hauteur d’enfant que l’on entre dans l’univers d’A Distant Place avant d’en découvrir toutes les autres facettes pour mieux élargir ce petit monde, autant un cocon refuge qu’une cachette pour ne pas affronter la réalité du « dehors », et accepter de le quitter malgré les choix déchirants que cela implique. Park Kun-young laisse exister chacun de ses personnages, dans toute leur humanité et leur complexité, les intégrant pleinement à la dramaturgie tant par le scénario que par l’image. Ainsi, Hyung-min, sans doute le plus pragmatique de tous, semble toujours un peu en décalage avec la dynamique générale du ranch tandis que Joong-man et sa fille, présences bienveillantes indispensables, semblent se fondre totalement dans les lieux.

A Distant Place trouve néanmoins son ancrage dans la bouleversante figure de Jin-woo, auquel le formidable Kang Gil-woo prête une solide présence et un océan de profondeur. Tout en nuances et en souffrance réprimée, il est l’âme agitée du film, incarnant à lui seul la réflexion sur la transmission et le rapport à un monde qui vous renvoie sans cesse à vos craintes les plus profondes. Ses luttes internes peuplent le film et achèvent d’être exprimées dans la sublime lecture d’un poème à mi-parcours, liant l’instinct de tous les personnages de fuir vers le lieu le plus lointain et imaginer une vie meilleure afin de ne pas sombrer dans la résignation ou le désespoir. En amenant son personnage principal vers un compromis sans pour autant le laisser baisser son échelle de valeur quant à ce qu’il doit accepter de la société, Park Kun-young tape plus fort que bien des drames sociaux récents et le fait, sans en amenuiser la portée, avec une certaine mélancolie tragique mais également l’espoir que tout ne sera pas totalement perdu.

Claire Lalaut

A Distant Place de Park Kun-young. 2020. Corée. Projeté au FFCP 2021.

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