Small Talk de Huang Hui-chen : le cinéma, ce geste

Posté le 27 avril 2021 par

Premier film de sa réalisatrice, qui a commencé à filmer sa famille en 1998, Small Talk nous emmène dans la complexité des relations entre les êtres. Sorti en 2016, ce documentaire de Huang Hui-chen a tourné en festivals, mais demeure non diffusé sous nos latitudes.

Small Talk est le résultat d’un besoin primaire de Huang Hui-chen, celui de comprendre le comportement détaché de sa mère, A-nu, vis-à-vis de sa famille. A-nu est lesbienne. Elle n’a jamais caché son orientation. Elle a cependant dû épousé un homme dans le cadre d’un mariage arrangé, un homme violent qui plus est. Elle a eu deux filles, puis est partie avec elles. Les deux filles ont grandi en aidant dans le travail de leur mère, celui d’une prêtresse taoïste. Maintenant, Hui-chen a presque 40 ans et a elle-même une petite fille. A-nu leur demande tous les jours ce que la famille veut à manger, et cela constitue à peu près les seuls échanges entre eux.

Dans un geste salvateur, Huang Hui-chen a donc commencé à filmer sa mère et son entourage presque vingt ans avant la sortie du documentaire, dans un but que l’on pourrait qualifier de thérapeutique. En visionnant Small Talk, on décèle toute la puissance que génère le cinéma, car minutieusement, le film libère les paroles des uns et des autres dans la famille ; ils se disent ce qu’il y a ce dire et la portée d’un tel exercice est au-delà de ce que Huang Hui-chen aurait pu imaginer de meilleur.

Small Talk est d’abord un focus sur Hui-chen, A-nu, et leur relation de mère et de fille. Les premières images du film consistent en Hui-chen qui filme A-nu et l’interroge sur ce qu’elle deviendrait si elle se mariait. S’en suit des scènes de la vie quotidienne dans lesquelles Huang Hui-chen fait état de l’absence de dialogue qui existe entre les membres du foyer. Cette froideur est-elle le symptôme d’une rancœur quelconque ? Huang Hui-chen interroge alors tout son entourage : sa sœur, ses nièces, ses oncles et tantes, sur un seul sujet : sa mère, son passé, son travail de prêtresse taoïste et son orientation sexuelle. Malgré les maux qui tiraillent les sentiments de Hui-chen et A-nu, la famille de la réalisatrice n’a rien d’une structure anormale, et le cinéma en a déja connu de telle. Nous sommes dans un documentaire, mais le cinéma a fait le portrait de nombreuses familles de ce type, déchirée par, in fine, la pression qu’exerce la société sur ces personnages. Le mariage non voulu et malheureux entre ses parents semble en effet l’une des causes de la situation actuelle. Cependant, l’ancrage dans le réel, ainsi que l’inspiration et la minutie de Huang Hui-chen dans le développement de son propos font de Small Talk un travail à part dans ce registre.

Le documentaire est également un témoin intéressant de la situation des homosexuels à Taïwan. La religion taoïste pour laquelle œuvre A-nu n’est pas opposée à une prêtresse gay. Hui-chen interviewe également plusieurs petites-amies de A-nu, qui parlent ouvertement du pouvoir de séduction de cette femme, quelles sont ses qualités et même de choses plus intimes. Ces entretiens offrent un contrepoint aux témoignages de la famille de Huang Hui-chen dans la mesure où ils montrent un autre visage d’A-nu, une facette agréable que Huang Hui-chen décrit d’abord comme différente de celle qu’elle offre à ses filles et sa petite-fille. L’articulation de ces deux sujets – la famille et la vie amoureuse de A-nu – contribuent à établir la complexité des protagonistes et les liens qui les unissent, à faire le portrait de ce qui les rapproche et les sépare.

La puissance de Small Talk réside dans la pureté de l’intention de Huang Hui-chen, et aussi, dans la pureté de la réponse des membres de sa famille. Minutieusement, la caméra fait sauter les verrous, le tout se cristallisant dans le « face-à-face » de la scène de discussion en dernière partie. Ce qu’il s’y dit est d’une grande dureté, mais ouvre des perspectives pour cette famille de réconciliation, tout comme pour la société taïwanaise d’ouvrir un débat sur le modèle familial en place. Il n’est pas seulement question de mariage gay, qui a été obtenu à Taïwan depuis la sortie du film, puisqu’A-nu n’est pas intéressée par cela, mais par la « liberté » comme elle le dit elle-même. La liberté lui a été refusée à son jeune âge, mais malgré tout, selon les propres dires de Huang Hui-chen, elle a fait grandir cette famille, avec maladresse dans la communication certes, mais sans les abandonner. C’est la conclusion de Small Talk : cela a permis autant de soigner cette famille, que de faire témoigner le monde de ce geste. En ce sens, Small Talk est un film précieux, car rarement un tel exercice ne se sera montré aussi bien exécuté.

En 2019, A Dog Barking at the Moon de Xiang Zi s’attachait à montrer la communication défaillante entre une fille et sa mère, sur fond de questions d’orientation sexuelle des anciens. L’analogie entre les deux œuvres est troublante, d’autant que chacune provient du vécu des réalisatrices. Il est ainsi toujours possible de faire dialoguer le cinéma.

Maxime Bauer.

Small Talk de Huang Hui-chen. Taïwan. 2016. Disponible en achat DVD international VOSTA sur le site officiel.

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