Black Movie 2021 – The Island Within de Ru Hasanov

Posté le 28 janvier 2021 par

Cette année, le Black Movie, qui se déroule habituellement à Genève, prendra place dans votre salon. Dans la catégorie Liberté, j’écris ton nom, le festival vous propose de saisir l’occasion de visionner un film azerbaïdjanais avec The Island Within. Deuxième long-métrage d’un monteur devenu réalisateur, Ru Hasanov, cette balade sauvage, de la bureaucratie nationale aux territoires ruraux, déploie les particularités de ce pays du Caucase et navigue, dans son style, en terrain connu.

L’une des principales vertus des événements comme le Black Movie, c’est de porter nos regards vers des horizons peu explorés. The Island Within suit Seymour Tahirbekhov, champion d’échecs et gloire nationale. Géré par son père, autoritaire et dominateur, Seymour va finir par suivre les conseils de son grand-père : fuir et s’isoler dans un petit village perdu au fond de l’Azerbaïdjan pour se retrouver lui-même. Le cloisonnement des premières séquences laisse alors place aux grands espaces, jusqu’à une scène finale, formidable, orchestrée en symphonie naturaliste pour figurer la renaissance du personnage. Si le film construit une émotion, une morale, c’est celle-ci : l’intelligence de joueur d’échecs de Seymour est un fardeau ; son don lui offre une reconnaissance nationale mais le condamne à n’être qu’un fils soumis. Et tous ses choix, au fil du récit, vont l’amener à abandonner le spectacle de son intelligence pour renouer avec l’intimité de sa nature animale. Aux cohortes de bureaucrates, photographes ou partenaires de jeu qui l’isolent, il va choisir la solitude pour s’affranchir.

En nous plongeant dans l’Azerbaïdjan du XXIème siècle, avec cette œuvre entre politique urbaine et recueillement naturaliste, Ru Hasanov promet de déployer une cartographie méconnue. C’est pourtant, paradoxalement, dans un territoire balisé que la mise en scène trouve sa forme. En dehors de quelques instants extraordinaires, que Hasanov réussit grâce à son passé de monteur, l’esthétique de la réalisation empreinte à tout un pan ultra-connu du cinéma d’auteur international : plans longs, cadres ciselés, photographies en clair-obscur, violence sporadique et brute, dialogues parcimonieux. À l’évocation de ce cahier des charges, les cinéphiles verront pour le mieux le cinéma de Tsai Ming-liang, d’Adilkhan Yerzanov ou de Lav Diaz, et au pire, une foule d’autres films. Mais en l’occurrence, au-delà de cet attirail parfaitement maîtrisé, on a du mal à ressentir la personnalité de l’auteur, notamment parce que, contrairement à ses modèles (on pense aussi beaucoup à Nuri Bilge Ceylan), il manque l’empreinte d’un scénario qui chargerait les événements d’une tension claire.

Cependant, pour déceler une pointe de singularité, il faut s’arrêter sur une figure de style récurrente du montage. Apparaissent, au début et au tiers charnière du récit, des plans qui ont l’apparence d’archives : célébration de la circoncision d’un jeune garçon filmé au camescope (et daté, à l’écran, de 96), séquences en noir et blanc de la domestication d’un veau, d’un concert de percussions… Autant de moments qui enrayent la linéarité du récit et symbolisent les basculements du personnage principal, faisant dialoguer, par à-coups, l’aliénation d’une fiction qu’on nous impose et la délivrance du réel documentaire.

Au final, indépendamment des figures de style qui résonnent comme autant de tics de mise en scène empruntés à la doxa des auteurs internationaux (notamment, lors d’une séquence, ce poncif du rêve avec musique minimaliste électro et femme dénudée), la qualité de Hasanov et de son acteur principal Orkhan Ata tient à leur profonde délicatesse, dans le propos et dans le jeu. Pointant du doigt, en creux, une société de la surveillance et du contrôle étatiques, et appelant à s’en dégager. Une vision, d’Azerbaïdjan, qui parlera en 2021 au monde entier.

Flavien Poncet

The Island Within de Ru Hasanov. Azerbaïdjan. 2020. Programmé au Black Movie 2021

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