VIDEO – Le Goût de la cerise d’Abbas Kiarostami : la vie, la mort et les autres

Posté le 8 octobre 2020 par

Il a permis à l’Iran d’obtenir sa Palme d’Or au Festival de Cannes 1997 : le film Le Goût de la cerise, chef-d’œuvre d’Abbas Kiarostami, est désormais disponible en vidéo, en version restaurée chez Potemkine Films.

Monsieur Badii sillonne l’arrière-pays de Téhéran en voiture. Il est à la recherche d’un homme capable de l’aider dans son dessein morbide : il souhaite en effet prendre une forte dose de somnifères et mourir dans un trou au bord de la route ; son acolyte n’aurait qu’à bien vérifier sa mort et à l’enterrer. Pour cela, il est prêt à payer une très grosse somme d’argent. Sur sa route, il va croiser trois personnes, un paysan kurde, un séminariste afghan et un taxidermiste azéri qui vont tous trois réagir différemment à sa demande.

Avec Le Goût de la cerise, Abbas Kiarostami compose une ode à la vie et à la diversité, qu’il adosse de manière habile à une pulsion de mort. Le film débute in medias res, avec un protagoniste principal en gros plan, dans sa voiture, cherchant quelque chose. Il questionne les ouvriers sur les chantiers qu’il rencontre çà et là. Les décors sont chaotiques et l’objectif de Monsieur Badii apparaît d’abord peu clair. Le Goût de la cerise démarre de manière abrupte, pour mieux se dévoiler dans son développement, au fur et à mesure des rencontres.

La force du récit réside dans les dialogues. Si Monsieur Badii reste très discret sur sa vie – on ne saura jamais d’où lui vient son désarroi – il parvient à faire parler ses interlocuteurs, et à travers eux, on décèle la complexité du monde et la profondeur de la philosophie des hommes. Avec seulement un cadre désertique, quelques bâtisses humaines et une voiture, Kiarostami nous emmène au plus profond de l’âme humaine. Pourquoi continuer à vivre, pourquoi la vie vaut-elle la peine d’être vécue ? A tout cela, le metteur en scène iranien y répond presque par l’absurde, puisqu’il rend bavards ses personnages mais pas Monsieur Badii, pourtant au centre du sujet. Ainsi, c’est le côté de la vie qui est mis en valeur et non celui de la mort. Dès lors, Le Goût de la cerise devient un film lumineux et s’apprécie pour ses vertus positives. En revanche, la détresse de Monsieur Badii est subtilement perceptible derrière son assurance de façade, et permet au film de créer un ressort dramatique touchant. Que dirions-nous, en effet, si un homme faisait le vœu de mourir et qu’il demandait à être aidé pour cela ? Cette détresse n’est toutefois pas le reflet d’un drame qu’il aurait forcément vécu. Monsieur Badii déclare qu’il ne veut pas être enterré au milieu d’inconnus (dans un cimetière), mais à l’écart, au bord d’une route. À cette annonce, on peut supposer que son suicide cache peut-être quelque chose de différent, d’une tristesse extrême. Ne cherche-t-il pas simplement à rester le plus seul possible ? Et alors, ces rencontres ne vont-il pas lui redonner le goût de vivre en société, de côtoyer les autres ? On pense au séminariste afghan, qui répond à Monsieur Badii que son ami a préparé à manger et qu’il l’invite à partager le repas, alors qu’ils ne se connaissaient pas il y a trente minutes. Tout cela n’est que suppositions mais permet au film de vivre longuement, dans nos esprits et dans les discussions de cinéma. La portée du Goût de la cerise est immense, et va bien au-delà du questionnement sur le rapport à la mort de l’homme.

À travers ces réflexions sur le sens de la vie (ce fameux goût de la cerise dont parle le taxidermiste azéri), que Kiarostami rend fortes par la mécanique narrative – plus Monsieur Badii progresse sur sa route, plus il rencontre des personnages qui savent profiter de la vie – le réalisateur livre un objet filmique complet et résolument humain, digne de Kurosawa Akira. En utilisant des acteurs non-professionnels et en puisant dans des rencontres réellement vécues, le réalisateur extirpe du réel son propos et le transcende, tel un cinéma réflexif, c’est-à-dire un cinéma qui se pense lui-même et étend la portée de son art, chose que Kiarostami a déjà expérimentée dans Close Up en 1990. Les routes désertiques iraniennes apparaissent comme un dédale pas si inamical que cela, ponctué de rencontres, de personnes qui poursuivent leur chemin et œuvrent à la collectivité. S’ils sont étrangers, ils ont par ailleurs un point de vue nouveau à nous apporter. Même les décors de machineries en chantier nous apparaissent alors somptueux. C’est cela que Le Goût de la cerise nous dit formidablement. Il s’agit d’un propos qui résonne toujours autant aujourd’hui, 23 années après sa sortie.

Les bonus du combo Blu-Ray/DVD

Le master en version restaurée rend honneur au film. Il est sans défaut, tant au niveau de l’image que du son, et donne la plus grande profondeur aux couleurs ocres du film.

Les bonus sont au nombre de 3 :

Le commentaire de Jean-Michel Frodon. Nous connaissons bien Jean-Michel Frodon pour ses interventions sur le cinéma chinois (il a écrit de nombreux ouvrages sur le sujet). Il est également un fin connaisseur du cinéma d’Abbas Kiarostami. En une vingtaine de minutes, Frodon décrit et décrypte toute la substance du film. Sa pédagogie permet d’ailleurs de le rendre parfaitement accessible aux spectateurs désarçonnés par une telle œuvre.

Le film Sohanak de Bahman Kiarostami. Le fils d’Abbas Kiarostami, âgé d’une vingtaine d’années à l’époque, filme son père lors des repérages en 1997. Ensemble, ils répètent les scènes déjà écrites et interrogent des passants, comme s’ils étaient Monsieur Badii. Leur réaction est proche de celle des personnages du Goût de la cerise, ce qui laisse à penser que Kiarostami s’est largement inspiré de ces rencontres lors de la suite de l’écriture.

Le film Projet de Bahman Kiarostami. Sorte de making-of du film, Projet montre le tournage de l’œuvre tout en reprenant quelques images de Sohanak. Ainsi, nous voyons comment travaille Abbas Kiarostami et comment il dirige ses acteurs. Ces deux documentaires sont complémentaires et s’avèrent loin d’être inutiles compte-tenu de la grande portée humaniste et cinématographique du Goût de la cerise.

Maxime Bauer.

Le Goût de la Cerise d’Abbas Kiarostami. Iran. 1997. Disponible en combo Blu-Ray/DVD chez MK2/Potemkine Films le 07/07/2020.

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