ETRANGE FESTIVAL 2020 – Tezuka’s Barbara de Tezuka Makoto

Posté le 9 septembre 2020 par

Tezuka’s Barbara est l’adaptation cinématographique du manga Barbara, un classique de Tezuka Osamu des années 1970. À noter que cette adaptation qui met en scène Nikaido Fumi et Inagaki Guro est l’œuvre de Tezuka Makoto, le propre fils du célèbre mangaka. Le film est à découvrir dans la catégorie Mondovision de l’Etrange Festival 2020.

« La mégalopole avale les humains par millions, les digère puis les rejette. À l’image de ces déjections : Barbara. » Voici comment débute l’histoire de Barbara, un manga (et donc, ici, un film) sur la création artistique. Mikura (Inagaki Goro) est un écrivain célèbre reconnu à la fois par ses pairs et le public. Sa vie et sa carrière basculent le jour où il rencontre Barbara (Nikaido Fumi) dans la gare de Shinjuku. Sous ses apparences de clocharde alcoolique en guenilles, se cache une femme splendide et lettrée qui devient la muse de l’écrivain. La mystérieuse Barbara va entraîner l’écrivain modèle dans son monde mystérieux et le pousser à abandonner sa littérature conventionnelle et bourgeoise (notamment dans une sympathique scène de lecture d’un manuscrit érotique). Elle sera également là pour sortir Mikura de scènes cocasses et de potentiels scandales quand ce dernier, pervers sexuel honteux, se compromet dans des actes d’agalmatophilie et de zoophilie. Cette idylle va-t-elle entraîner Mikura dans la déchéance et la folie ou vers les plus hauts sommets de la littérature ? Et qui est vraiment cette Barbara ?

Tâche ardue que d’adapter le manga Barbara, qui plus est dans les liens familiaux unissant l’auteur du manga Osamu et le réalisateur Makoto. Publié en 1973, Barbara est une variation des Contes d’Hoffman, l’opéra d’Offenbach, et Barbara, la femme, est une allégorie de l’art. Tezuka Makoto a extrait la moelle du manga en coupant un bon tiers afin de resserrer l’intrigue. Pour mieux comprendre les relations entre artiste et muse ? Si tel est le cas, c’est malheureusement partiellement raté.

Les relations entre Mikura et Barbara restent superficielles et l’aspect occulte et paranormal de la jeune femme est presque absent du film. Mikura reste le point d’attention principal du long métrage mais filmer un écrivain à l’œuvre (écrire sur du papier ou pianoter sur un ordinateur portable) ou se lamenter sur son manque d’inspiration (se soûler et errer dans les rues) n’est ni très visuel ni très original (même si Léos Carax réussit ce tour de force dans Pola X en filmant Guillaume Depardieu). Barbara manque d’un supplément d’âme, comme si Tezuka Makoto n’avait pas été très inspiré par l’actrice Nikaido Fumi.

Barbara était pourtant l’occasion de sublimer Nikaido Fumi, qu’on a déjà connue collégienne au grand cœur (Himizu de Sono Sion), nymphette (Au revoir l’été de Fukuda Koji) et femme fatale (Why Don’t you Play in Hell? de Sono Sion). On l’imaginait déjà comme Romy Schneider dans les scènes expérimentales sauvées de l’Enfer de Henri-Georges Clouzot. D’autant que le grand Christopher Doyle – sans qui les films de Wong Kar-wai ne seraient pas ce qu’ils sont – officie à la photographie de Barbara ! Nikaido Fumi en clair-obscur dans les volutes de tabac, Nikaido Fumi sous les néons du quartier de Shinjuku par une nuit humide… Cela restera du ressort du fantasme.

Le moment emblématique de cette déception est la scène de sexe entre l’écrivain et la muse. Elle reste convenue et assez gratuite. Une scène qui se retrouvera (si ce n’est pas déjà le cas) clipée sur Mr Skin et ravira les internautes ayant tapé la requête « Fumi Nikaido nude ». Même la photographie de Christopher Doyle ne parvient à créer un aura de mystère, d’occulte et de transcendance à cette danse des corps. Il faudrait un jour recenser les scènes d’union charnelle au cinéma pour constater qu’elles sont rarement originales et un élément narratif essentiel. Tezuka n’a pas réussi à créer une intensité comme dans les scènes de Lost Highway de David Lynch (pour le côté mystérieux et inquiétant) ou Lust, Caution d’Ang Lee (dans un tout autre registre plus brut et violent), ou une pirouette formelle comme dans My Own Private Idaho de Gus Van Sant (le sexe comme mise en scène gymnastique et photographique).

Attention : tout n’est pas à jeter dans Barbara ! Mais la déception vient en partie de l’attente exagérée, dès l’annonce du projet Barbara : manga passionnant sur la création artistique + Fumi Nikaido + Christopher Doyle. Pas assez de mystère ni de folie… un manque d’alchimie entre la muse et le créateur. La solution pour régler le problème ? Imaginer dans sa tête son propre film, les plans de caméra et les poses de Nikaido Fumi. Faire jouer l’orchestre. Mêler la pellicule aux décharges et signaux électriques de son cerveau. Dire le mot « action » dans un écho de cathédrale. Rêver plus grand.

Marc L’Helgoualc’h

Tezuka’s Barbara de Tezuka Makoto. Japon. 2019. Projeté dans le cadre de l’Etrange Festival 2020

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