Le cinéaste kazakh Adilkhan Yerzhanov s’est fait remarquer en 2018 avec la sortie dans nos salles de La Tendre indifférence du monde. Fraîchement paru en DVD début 2020, l’éditeur Arizona Distribution nous gratifie en bonus de l’un de ses précédents films : The Owners, présenté à Cannes en 2014.
La mère d’une petite fratrie, composée d’un jeune adulte, un mineur et une préadolescente, décède. Elle leur lègue son seul bien, une maison en pleine campagne kazakhe. Débarqués en pleine nuit, le policier de la bourgade les questionne sévèrement sur leur présence. Ils ne tarderont pas à comprendre que le frère de ce policier et sa famille vivent dans cet habitat depuis des années et que, ni eux, ni l’administration de la zone, ne sont près à leur en laisser la jouissance, eux qui sont des étrangers pour les habitants du village.
The Owners fait, grossièrement dit, se confronter de jeunes gens des villes face à des campagnards acariâtres. La fratrie est propriétaire des lieux, sur le papier, mais elle est étrangère à la région, alors que les paysans qui se sont appropriés les lieux sont d’irréductibles casaniers, exerçant une influence même sur l’administration. L’intrigue va et vient de péripéties en péripéties, d’échanges de coups en mises en cellule, de dépôts de plainte en palabres au poste de police. La mise en scène est grise, pâle, et les intérieurs sont neutres, laissant apparaître de grands murs unicolores pour le poste de police, qui pourrait être un intérieur d’une toute autre fonction. Derrière cette drôle d’histoire et cette mise en scène terne se cache une idée, celle que le Kazakhstan est un pays vaste, calme mais néanmoins pauvre à certains endroits, ce qui pourrait expliquer les actions des protagonistes, aussi bien la volonté des héros d’accéder au seul héritage de leur mère, qu’à ces gens de la campagne, poussés à la combine par la conjoncture.
Le Kazakhstan est le 9ème pays le plus vaste du monde en superficie mais le 62ème plus peuplé seulement. Cette étendue, cette distance entre les êtres, se ressent dans The Owners, aussi bien entre ces personnages qui ne se comprennent pas et ne se comprendront jamais, comme dans la plastique du film, où tous les éléments de décors semblent aériens, comme réduits à leur plus simple fonction et qui, malgré le drame, font montre d’un silence ambiant implacable. Ce principe s’incarne parfaitement dans la scène d’arrivée d’une ambulance, où le personnage malade n’a plus qu’à mourir car le premier hôpital est techniquement trop loin pour arriver avant que la crise n’achève son œuvre.
Ce qui s’y passe est proprement dramatique, l’intrigue évoquant aussi bien le deuil, la pauvreté, la maladie, la corruption, mais dans une atmosphère d’un zen olympien. Les scènes de violence ne sont absolument pas dynamiques, à dessein. Adilkhan Yerzhanov propose plus surprenant encore, en y regardant de plus près. Il y a ça et là des scènes d’espace mental, où l’un des protagonistes imagine les personnages danser d’une manière ridicule, comme pour le narguer. Cette touche burlesque peut être perçue comme accentuant le drame, soulignant l’animosité perçue par ce personnage qui vit une situation épouvantable. Mais elle peut aussi être interprétée par le spectateur comme un sentiment de farce générale, comme si les données sociales auxquelles il assiste étaient aussi tristes que risibles.
Dans tous les sens, finalement, Yerzhanov dresse un portrait acide du genre humain, en s’appuyant sur les caractéristiques des décors de son pays. The Owners est un film étonnant, d’une mise en scène intelligente de par ses choix de corrélation, l’intention et l’aspect graphique.
Maxime Bauer.
The Owners d’Adilkhan Yerzhanov. Kazakhstan. 2014. Disponibleen bonus DVD de La Tendre indifférence du monde chez Arizona Distributions le 15/09/2019 .