En salles – Face à la nuit de Ho Wi-ding : la vengeance d’un homme (en salles le 10/07/2019)

Posté le 9 juillet 2019 par

Troisième long-métrage du réalisateur malaisien Ho Wi-ding après Pinoy Sunday et Beautiful Accident, Face à la nuit sort sur les écrans français aujourd’hui. Récemment auréolé de sa victoire au Festival International du Film Policier de Beaune, le film est composé de trois segments prenant place à Taipei à des époques différentes et mettant en scène un homme durant trois nuits qui marqueront sa vie.

En 2049, Zhang Dong Ling est un homme détruit. Il refuse de divorcer de sa femme, à qui on prête des relations adultères et surtout, il veut se venger d’un homme qui lui a fait du tort. Devenu froid et sociopathe, il doit accomplir son funeste dessein. Quelle a donc été sa vie pour en arriver là ?

Présenté comme un polar, Face à la nuit débute par un segment de science-fiction d’anticipation. Malgré un budget qui ne permet pas une reconstitution hollywoodienne de la chose, les quelques éléments de dystopie sont crédibles et reflètent la froideur de l’âme du personnage campé par Jack Kao. La présence de tablettes futuristes, de drogues qui font office d’élixir de jeunesse ou encore le système de surveillance généralisée, sont au service du développement du personnage, dont le réalisateur va nous conter l’histoire tragique. Ici, il n’est pas question de nous délivrer un message sur les dangers politiques de notre ère. Comme bien des films d’auteurs chinois depuis Jia Zhang-ke, Ho Wi-ding convoque les avatars du film de genre pour donner une patine à ses images, qu’il renforce par l’utilisation du 35 mm et qu’il destine à montrer la noirceur qui dévore des personnages du quotidien tels que Zhang Dong Ling. Cette première partie s’essaie même à jouer avec la couleur pour créer une atmosphère qui reflète une esthétique de cinéma. Tantôt bleu-gris, tantôt jaune-rose près de certains lieux, cet effet rappelle des œuvres tels que le 2046 de Wong Kar-wai, où les passages dans le futur arboraient une colorimétrie particulière. Ce n’est donc pas forcément une technique nouvelle, ni radicale (les couleurs n’explosent pas à la figure), mais cela contribue à donner la sensation que le personnage se déplace dans une ville digne d’un roman de Philip K. Dick, entre ruelles sombres mal famées et lieux de plaisir inquiétants. La photographie est pleinement convaincante et rend honneur à la démarche du réalisateur dans cette reconstitution futuriste de Taipei, pour laquelle l’équipe est allée tourner en Corée du Sud. Le bruit de l’image, relative à l’utilisation du 35 mm, et l’éclairage très précis contribuent à la réussite du film sur cet aspect.

Le film se poursuit alors avec deux segments se déroulant dans le présent et le passé. L’objectif est de nous montrer comment Zhang Dong Ling en est venu à cette rancœur et comment il a perdu ses qualités humaines. Flic trompé devenu gardien blafard, haineux et assassin, Zhang Dong Ling provoque autant la pitié que le dégoût, car ce qu’il exécute dans certaines scènes est proprement ignoble. Les connexions entre tous ces segments s’effectuent à travers deux éléments : la présence de la nuit – qui donne son titre au film, et le rapport de Zhang Dong Ling aux femmes. Dans un cas comme dans l’autre, le film peine à se réaliser à ces niveaux. La faute à cette volonté de rester dans l’espace-temps de trois nuits, qui demeure trop ponctuel dans la vie du personnage pour complètement appréhender son caractère, sa personnalité et son histoire, d’autant plus qu’il est campé par trois acteurs et trois actings différents. Il en est de même pour les femmes qui ont marqué sa vie : l’espace-temps et les rôles sont trop disparates pour parvenir à rendre le film totalement cohérent – on peut penser à la dernière nuit du film, où le rôle de la femme en question est relié aux autres segments de manière tellement lointaine qu’on demeure circonspect sur ce qui a engendré Zhang Dong Ling tel qu’on le voit au début du film, même si on peut comprendre que ça l’ait traumatisé. Heureusement, bien que disparates, les rôles sont interprétés par des acteurs inspirés et permettent l’immersion dans la vie de ce personnage.

Pour autant, Face à la nuit fait partie de ce sillon de films chinois qui offre une proposition nouvelle. Entre récit social et écho aux films de genre, il y a de réelles idées dans ces œuvres. Face à la nuit peut se montrer maladroit dans ses connexions, il n’en demeure pas moins rempli d’idées, notamment graphiques, comme nous l’avons évoqué plus haut. Et malgré tout, les scènes fonctionnent sur le plan émotionnel, surtout le segment final, dont la conclusion est plutôt déchirante.

Maxime Bauer.

Face à la nuit de Ho Wu-ding. Taïwan-Chine-France. 2018. Sortie en salles le 10/07/2019.

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