FCCF 2019 – Shadow de Zhang Yimou : Tao noir

Posté le 13 juin 2019 par

Le Festival du Cinéma Chinois en France (FCCF) nous a permis de découvrir sur grand écran Shadow de Zhang Yimou, que nous avions hâte de pouvoir visionner !

Zhang Yimou est un réalisateur qui a connu son heure de gloire artistique dans les années 1980 et 1990. Chef de file de la 5e génération du cinéma de la Chine continentale aux côtés de Chen Kaige, il est d’abord directeur de la photographie sur le film Terre jaune de ce dernier en 1984, une œuvre connue pour l’extraordinaire beauté de ses images. Il amorce sa carrière de réalisateur en 1988 avec Le Sorgho rouge qui révèle au monde entier son actrice fétiche et compagne d’alors : Gong Li. S’en suit une séries de films avec sa muse, tous plus magnifiques les uns que les autres : Ju Dou (1990), Épouses et concubines (1991), Qiu Ju, une femme chinoise (1992), Vivre ! (1994), Shanghai Triad (1995) ; une collaboration qui lui vaut de multiples honneurs dans les festivals internationaux. Avant Jia Zhang-ke, Zhang Yimou fait rayonner le cinéma chinois dans le monde à une époque où ce peuple génère encore beaucoup de craintes pour sa politique, et comme Jia Zhang-ke, le questionnement de la société chinoise qu’il montre dans son travail lui vaut une méfiance de la part des autorités de son pays, qu’il fait plier par la reconnaissance mondiale.

Mais comme son confrère Chen Kaige, Zhang Yimou semble avoir délaissé peu à peu ce qui faisait l’essence de son travail. Avec Hero (2002) et Le Secret des Poignards Volants (2004), il s’essaie au wu xia et si ces films se révèlent fort bien filmés, il faut constater qu’ils ne sont en rien comparables avec la puissance des intentions de ses débuts. Zhang semble avoir cédé aux sirènes d’un cinéma plus commercial, l’apothéose étant la douteuse coproduction américaine La Grand Muraille en 2017. Il a tout de même parfois retrouvé ses terrains de prédilection, comme le très beau Coming Home en 2014.

Ce désaveu artistique est peut-être la raison pour laquelle son dernier film, Shadow, sorti en Chine en 2018, n’est pas encore parvenu à être distribué chez nous. Pourtant, si Shadow est à certains égards dans le prolongement de ses wu xia commerciaux, ses qualités artistiques sont phénoménales, et marquent une rupture nette avec sa mauvaise série.

Jing Zhou a été recueilli dès son plus jeune âge pour sa ressemblance avec Ziyu, celui qui est devenu le gouverneur du royaume de Pei. Ce dernier étant incapable d’assurer ses fonction à cause de son état physique, Jing Zhou devient son « ombre » et se fait passer pour lui devant la cour. À l’encontre de la décision du seigneur de Pei, Ziyu charge Jing Zhou de reprendre la province de Jingzhou. Pour cela, il doit apprendre à contrer l’art martial du seigneur en place, et c’est Xiao Ai, l’épouse du gouverneur, qui va lui permettre d’adopter la technique suprême…

Shadow est la synthèse de plusieurs registres de la culture chinoise. D’un point de vue scénaristique, c’est tout d’abord l’adaptation d’un pan des Trois Royaumes, le classique de la littérature chinoise. Cela implique une importance accordée aux éléments narratifs relatifs à la stratégie guerrière. Plusieurs personnages font usage de stratagèmes sur le champ de bataille et de manipulations pour arriver à leurs fins. Mais le point le plus marquant, à n’en point douter, réside dans l’aspect graphique du film. Zhang Yimou a énormément travaillé sa colorimétrie pour que, sans être un film noir et blanc, ce soit le contraste des couleurs à dominantes blanches et noires qui apparaissent à l’écran. L’atmosphère du film en devient unique tant la technique est inédite. Adossé à cela, les décors de palais sont majestueux ; ceux d’extérieurs ressemblent à des estampes traditionnelles de toute beauté. La photographie suit naturellement : si Zhang Yimou a voulu séduire nos rétines, il n’aurait pas pu mieux y parvenir. Enfin, il reste des traces de l’influences du cinéma d’arts martiaux hongkongais, tel qu’on pouvait le voir dans Hero et Le Secret des poignards volants : la technique secrète dite du « parapluie de Pei », un parapluie fait de lames, n’a rien de réaliste. Cette graphie pourrait dénoter de la beauté feutrée générale si elle n’était aussi merveilleusement pensée. Le déploiement du parapluie de Pei a tout d’une danse hypnotique. Plus concrètement, la chorégraphie de la bataille qui le met en scène est parfaitement exécutée et s’insère naturellement dans le rythme du scénario.

Et le scénario justement, n’est pas la dernière roue du film. Il arbore des personnages épais, troubles, dont on saisit aisément les tourments et les désirs. La séquence finale propose même une série de retournements de situation qui, s’ils ne sont pas absolument renversant en matière d’originalité, ont le mérite de nous scotcher à nos sièges, pour peu qu’on se laisse porter par l’intrigue.

Shadow est une franche réussite, aussi bien plastique que scénaristique, et Zhang Yimou peut se réconcilier avec son public cinéphile.

Maxime Bauer.

Shadow de Zhang Yimou. Chine. 2018. Projeté lors de la 9ème édition du FCCF.

Imprimer


Laissez un commentaire


*