Vidéo – Dans un recoin de ce monde de Katabuchi Sunao (Edition Hypercollector Steelbook)

Posté le 20 janvier 2018 par

En 2017, East Asia a eu la chance de découvrir l’excellent Dans un recoin de ce monde au festival d’Okinawa. Le film était déjà sorti au Japon et avait un beau succès populaire. Puis, le long-métrage de Katabuchi Sunao est passé par le Festival d’animation d’Annecy, en compétition officielle, où il a reçu la mention du Jury. De belles perspectives étaient donc attendues pour sa sortie en salles en septembre dernier. Et maintenant, on le retrouve chez nous, grâce à ESC Distribution ! Plusieurs éditions vidéo sont disponibles à la vente dont un exceptionnel coffret hypercollector avec le Steelbook Combo Blu-Ray + DVD, le CD de la bande originale, un livret de 48 pages, un dossier de presse de 20 pages, un poster et un cahier de dessins de Suzu. Et oui, rien que ça !

Il y a encore quelques mois, on se demandait qui pourrait prendre la suite de Ghibli. Nous ne doutions pas que le cinéma d’animation japonais regorgeait de pépites mais nous ne les avions pas encore toutes découvertes. Finalement, la pause initiée par le studio mythique japonais concernant la production de longs-métrages aura permis à d’autres cinéastes de se faire une place. Et c’est le cas de Katabuchi Sunao. Ayant d’abord fait ses armes à la télévision puis avec Takahato Isao sur le projet de long-métrage avorté Little Nemo de Kondo Yoshifumi. En 1989, il est assistant-réalisateur sur Kiki la petite sorcière de Miyazaki Hayao. Il tourne son premier long en 2001, Princesse Arete, puis Mai Mai Miracle en 2009, sorti en DVD en France en 2010. Adapté d’un roman, ce premier essai, intéressant même si un peu maladroit, suivait une fillette pleine d’imagination, vivant dans la campagne japonaise après la Seconde Guerre mondiale.

Huit ans plus tard, après une campagne de crowdfunding, il revient avec Dans un recoin de ce monde. Adapté du manga de Kuno Fumiyo, le film suit la jeune Urano Suzu, née en 1926. A 18 ans, en 1944, elle quitte son village proche d’Hiroshima pour se marier et vivre avec sa belle-famille à Kure, un port militaire. Sa créativité pour surmonter les privations la rend vite indispensable au foyer. Comme habitée d’une sagesse ancestrale, Suzu imprègne de poésie et de beauté les gestes simples du quotidien. Les difficultés de ravitaillement en temps de guerre, la perte de proches, et les frappes fréquentes de l’aviation américaine n’altèrent pas son amour de la vie. Mais, en 1945, les bombardements dévastateurs de la ville de Kure, puis la tragédie d’Hiroshima vont mettre à l’épreuve la persévérance et le courage de Suzu.

L’action du film se déroule sur une longue période, entre 1933 et l’automne 1945, soit quelques mois après le bombardement d’Hiroshima. Le spectateur suit le quotidien de Suzu, campagnarde parmi tant d’autres dans ce recoin du monde. Jeune fille étourdie, à l’instar de l’héroïne de Mai Mai Miracle, elle vit dans son monde, mêlant réalité, parfois dure car le pays est en guerre, et rêve, notamment par le biais du dessin, art dans lequel elle excelle. Dès sa plus tendre enfance, Suzu navigue entre ses tâches quotidiennes et le monde tel qu’elle l’imagine. Des scènes font inévitablement penser aux films de Miyazaki Hayao, par exemple celle où elle raconte à sa sœur l’aventure qu’elle a vécue en se faisant enlever par un géant et le stratagème mis en place pour endormir ce gentil monstre ; ou celle au cours de laquelle elle pense avoir rencontré un fantôme affamé chez ses grands-parents. Certaines de ces scènes ont une explication rationnelle (le fantôme est probablement une petite fille pauvre), d’autres non si ce n’est l’imagination débordante de la jeune fille. Le spectateur est donc plongé dans ce monde quasi-fantastique et ce, jusqu’à la fin. Toute scène de la vie quotidienne est prétexte à une réinterprétation artistique, même lorsque le ciel se remplit d’avions et de bombes. Suzu avoue elle-même lors d’une attaque aérienne : « si seulement j’avais un pinceau ». Rarement une scène de guerre n’aura été vue dans un film d’animation sous cet angle, les bombardements se transformant peu à peu en tâches de peinture multicolores. Toutefois, Katabuchi a le talent de mêler imagination et réalité puisque cette divine scène de peinture digne d’un tableau de Van Gogh se base sur le fait historique que les bombes lâchées sur les populations étaient habituellement de différentes couleurs.

L’imagination débordante de l’héroïne et sa mise en scène artistique font de Dans un coin de ce monde un film très différent de ce qu’on aurait pu attendre. Quand on parle de la Seconde Guerre mondiale en animation, on pense évidemment à Takahata Isao et son sublime Le Tombeau des lucioles. Ici, point de pathos (même si Takahata, lui, a très bien réussi ce défi). Katabuchi se contente de raconter une histoire, celle d’une jeune fille, entourée par sa famille puis par sa belle-famille, en plein milieu d’une guerre qui la dépasse et dont elle ne prend conscience que tardivement par le biais des raids aériens qui impactent sa vie quotidienne. Peu à peu, l’ambiance du film se veut moins optimiste : la vie devient plus difficile, des proches meurent, d’autres sont blessés ou mobilisés par la guerre. Pourtant, à quelques exceptions près, la mise en scène demeure colorée comme pour montrer que la vie continue, malgré tout. Le film est amoral voire optimiste par moment, certes, mais demeure ancré dans la réalité. Suzu, point focal du film, subit quelques crises d’abattement. Mais l’amour pour sa famille et son mari ainsi que l’entraide que chacun essaye d’incarner permettent à notre héroïne de se relever à chaque fois plus forte. Katabuchi, par ce procédé, n’essaye pas pour autant de faire preuve d’un patriotisme quelque peu mal placé qu’on aurait pu facilement lui reprocher. Il ne se prononce pas et laisse ses personnages évoluer au gré des saisons. Il pointe par-là une certaine réalité : le quotidien des Japonais ébahis devant tant de navires militaires dans la baie d’Hiroshima, les enfants courant après les sauveurs américains mais surtout, une vie faite de petits moments, et non pas de questionnements sur la guerre. Le cinéaste utilise d’ailleurs de nombreuses ellipses pour mettre en exergue ces instants de vie, qui sont parfois apposés côte à côte à des années d’écart sans forcément de liens logiques. Même la catastrophe nucléaire d’Hiroshima est vécue à distance, les habitants se demandant ce que sont ces lumières étranges dans le ciel ainsi que ce nuage qui reste en place. Sans savoir que ce nuage finira par les tuer…

Dans un recoin de ce monde est un film poétique, mettant en scène le destin de quelques vies et non pas celui d’un pays. Un parti pris audacieux qu’on aurait tort de bouder.

Et quoi de mieux pour que de présenter une belle oeuvre dans un joli écrin ? C’est le pari que s’est lancé ESC Distribution en éditant ce bijou en plusieurs formats dont un coffret hypercollector contenant de nombreux bonus. Les spectateurs aimant le papier et le concret trouveront leur bonheur avec, tout d’abord, un très beau poster (à faire dédicacer dès que Katabuchi Sunao sera de retour chez nous !), un dossier de presse contenant le synopsis, une fresque historique bien utile, les notes de productions et présentant les principaux protagonistes de la création du film – le réalisateur, la mangaka et les producteurs. Une analyse du film est également inclue dans un livret de 48 pages écrit par Alexandre Leloup de CinéJeunes. Ce dernier commente les images du film à l’aide de bulles, comme dans un manga – un choix intéressant qui rend le livret très ludique. L’animé est analysé par le biais de plusieurs thèmes : Suzu la rêveuse, Suzu la narratrice, Le temps de Suzu, Suzu la dessinatrice, Suzu la maladroite optimiste, La guerre jusque dans les moindres recoins, De la redondance par la chronique, Rimes visuelles, L’amour, La main et Autres symboles. Un livret très didactique qui permet de balayer toutes les grandes thématiques du film tout en insistant sur certains points souvent méconnus du spectateur (la légende de Okuninushi par exemple).

Concernant les bonus vidéo, la bonne surprise est également au rendez-vous. Les bonus peuvent être divisés en deux catégories : les bonus internationaux et les bonus français, exclusifs. Les bonus internationaux, tournés au Japon et réalisés par la société britannique Animatsu, se concentrent sur une interview de Katabuchi Sunao d’une durée de 40min ainsi qu’un entretien avec le producteur Maruyama Masao. Enfin figure un bonus comparant les lieux évoqués dans le film et leur aspect réel aujourd’hui, c’est-à-dire les villes d’Hiroshima et de Kure. Si les contenus des deux premiers bonus sont passionnants, la qualité technique laisse parfois à désirer – l’entretien avec Katabuchi souffre par exemple d’une désynchronisation de plusieurs minutes. Quant au 3e bonus, il est difficile à juger puisqu’il reprend des images du film accompagné d’un texte explicatif visant à les comparer avec des prises de vue réelles, ce qui n’est foncièrement pas inintéressant, au contraire. Cependant, la vidéo manque de voix off ou de véritables explications qui permettraient au spectateur de comprendre l’objectif réel de ce bonus.

Du côté des bonus français, réalisés par ESC, rien à redire. On découvre ainsi la conférence de presse de Katabuchi Sunao au Festival d’animation d’Annecy en 2017 ainsi qu’un entretien en tête à tête. Leur qualité technique est parfaite et leur contenu très instructif. En outre, un point important est à noter : inclure deux interviews du réalisateur représente un risque, notamment celui de la répétition, qui pourrait lasser le spectateur. Ici, malgré plus de 55 minutes d’entretien (sur deux bonus), il n’y a aucune redite. Le montage est fait de telle façon que les deux interviews se complètent à merveille. Katabuchi, passionnant quand il parle d’histoire du Japon, aborde sa carrière, explique son rapport au manga, et surtout, nous parle de cette adaptation qui lui aura demandé un travail de titan.

Enfin, le coffret comprend la bande originale du film interprétée par la chanteuse Kotringo. Que dire si ce n’est qu’on s’évade dans le monde de Suzu en l’écoutant. Ses rêveries deviennent les nôtres. Tant et si bien qu’on pourrait avoir envie de crayonner le cahier de dessin de Suzu offert dans le coffret !

Elvire Rémand

Dans un recoin de ce monde de Katabuchi Sunaosorti en Combo Blu-ray + DVD + CD BO + livret + dossier de presse + poster + cahier de dessin – Édition boîtier SteelBook Hypercollector chez ESC Distribution, Exclusivité Fnac.

 

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