BLACK MOVIE 2018 – Avant que nous disparaissions de Kurosawa Kiyoshi : Entretien, critique et Podcast

Posté le 17 janvier 2018 par

Sublime événement au Black Movie 2018 que l’avant-première du Kurosawa Kiyoshi, quelques mois avant sa sortie en salles en France le 14 mars prochain. L’occasion de présenter ce film passionnant et de nous entretenir avec son réalisateur. Critique de Nicolas Lemerle. Entretien de Victor Lopez.

CRITIQUE : Dernier contact

Par Nicolas Lemerle.

Kurosawa Kiyoshi est un cinéaste prolifique qui a su explorer beaucoup de genres différents durant sa longue carrière. Son nouveau film ne déroge pas à la règle, puisqu’il s’aventure sur le terrain de la science-fiction, même si, comme souvent, il est inutile d’enfermer l’œuvre du réalisateur dans une case prédéfinie tant sa manière d’aborder le(s) genre(s) diffère de l’idée préconçue que l’on peut se faire au premier abord. Avant que nous disparaissions commence d’ailleurs comme un pur film d’horreur, avec une séquence d’introduction montrant une famille mystérieusement assassinée et versant aisément dans le grand-guignolesque. La seule rescapée du massacre, la jeune Akira, semble complètement déphasée par rapport à ce qu’il vient de se passer, mais on comprend très vite qu’elle n’est plus elle-même. Le journaliste Sakurai décide de mener l’enquête et se lance rapidement sur les traces d’Akira, qu’il retrouve aux côtés d’Asano, un jeune homme qui semble aussi avoir perdu toute humanité. Dans le même temps, Shinji n’est plus la même personne aux yeux de sa femme, la pauvre Narumi. Il lui explique alors qu’il est un extraterrestre venu envahir la planète, mais qu’il doit d’abord en apprendre plus sur les concepts de la vie humaine.

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Ces envahisseurs qui ont pris possession du corps de femmes et d’hommes préexistants rappellent furieusement ceux de L’Invasion des profanateurs de sépultures, mais Kurosawa prend très vite une direction plus philosophique. Là où le film de Don Siegel devenait de plus en plus terrifiant, le réalisateur japonais joue sur ses ruptures de ton habituelles pour apporter une réflexion sur l’essence même de l’humanité. Les extraterrestres volent les « concepts » d’un simple touché, et les victimes se trouvent vidées de toute substance, comme si la simple perte d’une notion fondamentale déréglait complètement la « machine humaine ». Cela entraîne des situations forcément diverses, qui donnent au film sa nature protéiforme, passant tout aussi bien de la comédie au pur mélodrame, de la romance poétique à des scènes d’action franchement spectaculaires. Ces ruptures de ton permettent d’apprécier la maestria avec laquelle Kurosawa raconte les parcours foncièrement différents de ses personnages : un mouvement permanent du côté d’Akira et Asano, prêts à tout pour aller au bout de leur mission, un caractère plus intimiste lorsqu’on suit Shinji et Narumi, alors qu’un dialogue profond et philosophique s’installe entre eux, et pourrait bien décider de l’avenir du monde.

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Kurosawa est un réalisateur qui ne pose jamais de limite. La richesse de ses films provient justement du fait qu’il s’autorise tout et sait varier sa mise en scène en fonction de ce qu’il veut raconter. On peut ainsi passer d’un plan-séquence virtuose pour faire ressentir la confusion qui règne dans un hôpital bondé, à des plans d’une froideur clinique lorsqu’il filme la relation entre Shinji et Narumi, où la chaleur va s’immiscer au fur et à mesure que l’extraterrestre dans le corps de Shinji va apprendre les concepts humains. Kurosawa explore aussi une veine totalement burlesque et s’amuse beaucoup du décalage provoqué par le comportement outrancier d’Akira et Asano, qui diffère complètement de la manière dont réagit une personne humaine, comme certains robots d’une saga de science-fiction bien connue. On en revient aux ruptures de ton chères au cinéaste, qui font la force de son cinéma, mais qui peuvent aussi parfois décontenancer le spectateur, tant les changements de rythme s’avèrent perturbants. Le passage d’un fil narratif à un autre n’est d’ailleurs pas toujours heureux, notamment au niveau du montage musical. On peut aussi reprocher à Kurosawa, comme sur ses précédents films, d’insister un peu trop sur les dialogues explicatifs, alors que la mise en scène suffit amplement à nous faire comprendre ce que le cinéaste veut nous dire.

Malgré ses petits défauts, Avant que nous disparaissions reste une œuvre singulière dans le paysage de la science-fiction, un film de fin du monde qui s’inscrit parfaitement dans la filmographie de son auteur. Derrière cette apocalypse métaphysique, il y a une beauté évanescente qui naît de cette renaissance humaine, une renaissance qui existe par l’amour sacrificiel. C’est toute la puissance du cinéma de Kurosawa.

Nicolas Lemerle.

ENTRETIEN

Par Victor Lopez

S’il s’était fait plutôt rare entre 2008 et 2012, où il s’était perdu dans un projet titanesque avec la Chine, Kurosawa Kiyoshi semble avoir décidé de rattraper le temps perdu et a négocié depuis sa mini-série Shokuzai un come-back conquérant, œuvrant dans tous les genres, entre les pays et les formats (le clip, les films, les séries). Deux ans après Vers l’autre rive, qui lui avait valu le Prix de la mise en scène, le réalisateur revient à Un Certain regard présenter Avant que nous disparaissions. Il y met en scène les prémisses d’une invasion extra-terrestre très conceptuelle, et s’amuse à brouiller les pistes entre les genres : mélodrame, science-fiction paranoïaque, film d’action ou comédie – tous les genres sont harmonieusement mixés sans un film à la tonalité unique, qui prouve la capacité infinie que semble avoir le cinéaste à se renouveler à chaque projet. Nous avons profité de sa venue à Cannes pour évoquer avec lui les mutations de son cinéma, son amour pour le genre et ses nouveaux projets.

Quelle est l’origine de Avant que nous disparaissions ?

Tout a commencé il y a 6 ans, après avoir terminé Tokyo Sonata. Pendant plusieurs années, je n’ai pas pu faire de film. Pendant ce temps, j’ai découvert la pièce qui m’a servi de base pour le scénario de ce film.

On pense en voyant le film aux classiques de la S.-F. politique comme L’invasion des profanateurs de sépultures de Don Siegel. Souhaitiez-vous avec ce film vous inscrire dans cette tradition hollywoodienne ?

Je suis vraiment honoré d’être mis en relation avec ce genre. C’est un genre qui reste encore très vivace aux Etats-Unis, peut-être de manière plus spectaculaire qu’avant, alors qu’’il est quasiment impossible à faire vivre dans le reste du monde, y compris au Japon. Au Japon, nous avons des films qui peuvent ressembler à cela, mais ça va être des films de Kaijus (ndr – montres géants, type Godzilla) ou des films d’animations, mais rarement en prise de vues réelle. C’était mon rêve de faire un film de genre comme ça.

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Il y a dans le film une scène où le personnage du journaliste s’adresse à la foule et la met en garde contre l’invasion extra-terrestre, mais personne ne l’écoute. Vouliez-vous faire passer un message politique avec ce film ?

Oui. Cette scène était déjà dans la pièce originale, mais c’est bien l’un des messages que le film veut faire passer. Ce journaliste est comme une métaphore. Il représente la situation actuelle du Japon. Il a un regard ironique sur la situation dans laquelle nous sommes au Japon aujourd’hui. Je peux clairement dire que c’est un message adressé aux Japonais. Aucun dialogue ne dit clairement qu’il y a une peur du monde extérieur, mais le fait de montrer des aliens qui viennent nous envahir est une métaphore d’un état de guerre à venir, mais personne au Japon ne semble vouloir faire quoique ce soit.

Est-ce à cause de cela que les aliens vont au Japon, seulement là, et pas dans une autre partie du monde ?

Pas vraiment. C’est plutôt pour des raisons de budget. À l’origine, ils devaient aller partout dans le monde.

La musique est employée de manière très originale dans le film, comme si vous jouiez avec les attentes du public. Comment avez-vous envisagé l’utilisation de la musique dans Avant que nous disparaissions ?

J’ai demandé au compositeur d’utiliser différents types de styles musicaux. Ce film est un film d’invasion, mais pas seulement : c’est aussi une romance et une comédie. Je pense que pour chacune de ces parties, la musique est primordiale. J’ai demandé à mon compositeur de faire des choses très distinctes suivant le type de scène. C’est ce qui a dû impressionner les spectateurs. Je lui ai demandé de faire quelque chose facile à comprendre et à retenir. Comme référence, je lui donné les compositions d’Ennio Morricone des années 70.

Comment est-ce que vous choisissez vos compositeurs ?

Je les choisis selon mes sentiments, presque à l’instinct. J’écoute leur musique et tout dépend de ce que j’en pense. Rien n’est intellectualisé, tout vient de mes sentiments pour la musique. Si je n’aime pas une musique, même si elle colle bien à une scène, il peut m’arriver de ne pas l’utiliser.

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Après Seventh Code, c’est la seconde fois que vous filmez des scènes de combat et d’arts martiaux dans un film. Comment avez-vous travaillé avec votre actrice ?

C’était assez fun à faire. Mon actrice s’est entraînée pendant 7 semaines avec moi et un spécialiste des scènes d’action. Pour le tournage, elle a joué ces scènes de manière continue, sans coupes, et je filmais avec deux caméras pendant 5 minutes. C’est ensuite au montage que tout a pris forme. Dans ces conditions, les acteurs se fatiguent très vite. Le mouvement n’est plus très clair et c’est justement ce que je cherchais : des mouvements imprévisibles.

Il y a dans ce film des explosions en plan-séquence, des scènes d’action impressionnantes. Aviez-vous un budget confortable pour réaliser tout cela ?

Je ne peux pas dire que j’avais un budget confortable, mais il était supérieur à mes précédentes réalisations, environ une fois et demi plus. Mais comparé à Hollywood, ce n’est pas grand-chose. Pour la scène de fin avec les explosions, c’est quelque chose que je voulais faire depuis que j’ai lu le roman d’H. G. Wells, La Guerre des mondes. J’adore cette histoire, et je m’étais juré de faire quelque chose dans ce ton si jamais je réalisais un film de science-fiction.

The Excitement of the Do-Re-Mi-Fa Girl

Vous travaillez dans tous les genres, est-ce que vous reviendrez même au film érotique comme à vos débuts ?

Oui, mon premier film était un pinku. J’ai ensuite réalisé un roman-porno : The Excitement of the Do-Re-Mi-Fa Girl. Mais les producteurs n’ont pas vraiment aimé car ça ne ressemblait pas du tout à un roman-porno. On ne m’en a ensuite plus jamais proposé (rires). Je travaille toujours selon le genre du film que je fais. Mon rêve est de faire des films dans tous les genres possibles. Un jour, j’aurai fait des films dans tous les genres qui existent dans le monde ! Si on reste dans un unique genre, les gens pensent que l’on est spécialiste de ce genre et les producteurs commencent à penser que l’on ne peut faire que ça. Je veux éviter ça, et c’est pourquoi j’essaye de faire toujours des choses dans des genres différents.

J’adore les films de genre. Je pense que ceux-ci ont été définis pendant la période classique d’Hollywood. C’est donc impossible de les retranscrire dans le contexte japonais contemporain. Il faut adapter les genres pour pouvoir les utiliser aujourd’hui.

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Quel genre de réalisateur êtes-vous sur un tournage ?

C’est compliqué de me juger moi-même. J’espère être quelqu’un de flexible, amical et sympathique. (rires) En tout cas, j’aimerais être comme ça ! Ma politique sur un tournage est de faire en sorte que l’on puisse travailler ensemble, car il y a beaucoup de gens sur un tournage. Il faut savoir utiliser toutes les ressources des gens qui participent pour travailler correctement. Il y a plusieurs types de réalisateur, certains ne se concentrent que sur le jeu des acteurs, d’autres restent derrière leur moniteur… J’essaye de faire attention à tout : aux acteurs, à la lumière, au maquillage, à la technique… À tout ! Tout est essentiel dans un film.

Travaillez-vous déjà sur un nouveau projet ?

Je ne suis pas sensé trop en dire, mais je travaille pour la télévision. C’est une mini-série qui sera dans le ton de Shokuzai. Le tournage est terminé et je suis en train de faire le mixage sonore. Il y aura aussi sans doute un montage pour le cinéma.

Kiyoshi Kurosawa

Propos recueillis par Victor Lopez à Cannes le 22/05/2017.

Remerciements : Michael Arnon, Rachel Bouillon.

PODCAST SUR LE FILM

Pour écouter le podcast, cliquez sur le « play » ci-dessous

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Avant que nous disparaissions de Kurosawa Kiyoshi. Japon. 2017.

Projeté au BLACK MOVIE (Festival International de Films indépendants) de Genève.

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