FFCP 2017 – No Money, No Future de Lee Dongwoo : Burst Country

Posté le 28 octobre 2017 par

Le Festival du Film Coréen à Paris (FFCP) met toujours un point d’honneur à présenter quelques films documentaires, parfois étonnants. C’est le cas de No Money, No Future qui s’inscrit dans la lignée de ces objets que la musique peut offrir au cinéma, et plus précisément la musique underground.  Des objets bruts, polymorphes mais d’une énergie folle.

Lee Dongwoo est le bassiste du groupe de punk coréen, SCUMRAID. Il décide de capturer des instants de la scène punk coréenne et plus, en 2015, lors de la tournée du groupe au Japon. Nous suivons donc le regard de Dongwoo sur les aventures de son groupe et d’un autre groupe qui jouit d’une certaine notoriété dans la scène punk coréenne, FIND THE SPOT. Le documentaire, par son ton décalé, excentrique et sa capture sans filtre du quotidien des deux groupes est dans la digne lignée de propositions comme The Blank Generation, 1991: The Year Punk Broke ou plus récemment DIG!. Certes, les groupes que l’on suit ne sont pas aussi légendaires ou connus que ceux des documentaires cités, du moins pas encore, mais la folie et la liberté du projet sont les mêmes. Le réalisateur substitue son œil à la caméra, ce qui nous offre une plongée intime dans la lutte quotidienne de ces marginaux d’une société qui tend à les réduire au silence pour garder une idée du bon goût comme garant de l’ordre social.

C’est ainsi que nous découvrons la vie des membres des groupes. Ils sont serveurs, techniciens, photographes mais surtout activistes. Ils sont de toutes les luttes, et de tous les combats. Que ce soit les événements qui ont suivi l’incident du Sewol ou les revendications sociales pour les handicapés ou les homosexuels. Lee Dongwoo nous donne à voir un spectre de la philosophie punk comme mode de vie, on passe du marginal brisé comme le leader de FIND THE SPOT à l’artiste en pleine possession de ses moyens comme la batteuse de SCUMRAID. C’est l’énergie de la révolte qui lie l’ensemble de ses profils autour d’une spiritualité punk qu’il tente de théoriser en vain autour de bières après chaque concert. On observe des milieux assez rares en Corée du Sud, des bars punks de Hongdae aux coulisses des manifestations contre le gouvernement de Park Geun-Hye. En filmant le quotidien des oppressés, des révoltés du Pays du matin calme, Lee Dongwoo dépeint une Corée qui feint de garder son sang-froid à chaque instant. C’est donc autant un document sur une scène artistique qu’une vision de ce pays à un moment précis, ce qui rend l’expérience d’autant plus précieuse.

Mais le film ne se cantonne pas à la Corée du Sud. La tournée de SCUMRAID au Japon et le concert de FIND THE SPOT à Nagoya permettent également de mesurer l’impact du mouvement dans ces pays depuis les années 70. On nous informe rapidement sur l’histoire très dense du punk au Japon, qui est à peu près aussi importante que celle de l’Angleterre en Occident. Le film, qui est une prouesse de DIY (Do it Yourself), nous montre justement cette attitude à l’œuvre dans des situations concrètes. Les SCUMRAID doivent gérer un bar au Japon durant une soirée, et arrivent tant bien que mal à créer une ambiance malgré la barrière de la langue et les a priori culturels, c’est l’esprit du punk. Il y a également cette fraternité internationale qui est montrée comme inhérente au mouvement. A l’image de ses protagonistes, le film passe du document didactique à l’expérience d’un concert de crust punk. Lee Dongwoo joue avec les formats, les sons, les mots, le montage, bref, il fabrique du cinéma, du cinéma punk. On suit le leader d’un groupe coréen qui habite au Texas à travers Skype quand soudain on se retrouve en Suède avec l’une des figures du punk coréen des années 2000. Le film ne s’interdit rien, car c’est l’idéal qui sous-tend les forces qui traversent les corps du film, la recherche d’une liberté et de paix. Cette forme qui change du tout au tout provoque parfois des soucis de rythme ou des blagues redondantes (le film est très amusant et très ironique sur ce qu’il montre). On a parfois du mal à suivre les digressions du cinéaste sur des instants qui devaient probablement être très cocasses dans l’action (et avec quelques bières), comme les délires des punks d’Osaka.

Néanmoins, No Money, No Future reste une captation assez singulière de l’énergie d’un mouvement, d’une époque et d’un héritage qui transcende les frontières et le temps. Les longues discussions des personnages saouls nous mettent surtout face à des peurs ou des moments des détresse qui sont propres à la vie contemporaine. D’une recherche presque spirituelle, nous finissions par nous retrouver face à des hommes, leurs peurs et leurs rêves. Nous avons tous plus ou moins cette colère, sauf qu’eux ont décidé d’en être la voix. Et la singularité de la situation coréenne provoque une fascination voire une certaine admiration envers des hommes et des femmes qui ont décidé de « fight the law ».

Kephren Montoute.

No Money, No Future de Lee Dongwoo (2016). Projeté lors de la 12e édition du Festival du Film Coréen à Paris.

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