Séoul Hypnotique : Interview de Kim Kyung-mook (Stateless Things)

Posté le 10 octobre 2015 par

Aussi sympatique et gentil que ses films sont dérangeants et provoquants, Kim Kyung-mook a confirmé au Black Movie tout le bien que l’on pensait de son cinéma lors de sa découverte au FFCP. Àl’occasion de la projection de son premier long-métrage, Stateless Thing au Forum des Images dans le cadre du cycle Séoul Hypnotique, entretien avec un « ange avec des cornes de diables » pour reprendre le mot de Bastian Meiresonne.

 Pouvez-vous brièvement présenter à nos lecteurs votre parcours ? 

Mon premier film, Me and Doll Playing, a été réalisé en 2004. C’était un court-métrage documentaire autobiographique. Ensuite, j’ai  réalisé en 2005 Faceless Things puis j’ai continué ma carrière cinématographique jusqu’à mon premier long métrage sortie l’année dernière, Stateless Things.

Kim Kyung-mook 1

Dans votre jeunesse, vous avez beaucoup lu avant de vous mettre à regarder des films, quelles sont vos influences littéraires et vous ont-elles servi dans la réalisation de vos films ? 

En effet, je lisais énormément quand j’étais collégien. Normalement, en Corée du Sud, tous les collégiens après l’école prennent des cours privés, c’est la norme standard. Pour ma part, j’allais directement à la bibliothèque après l’école. Je choisissais des livres sans informations particulières, par exemple si le titre était accrocheur. J’ai beaucoup lu de fictions scientifiques et de romans réalistes. Cette expérience de 10 ans de lecture m’a permis de devenir écrivain. J’ai pu vivre des expériences de la société par la lecture. Celle-ci m’a aussi habitué à la solitude qui est maintenant pour moi une amie, une famille. C’est le résultat de la lecture dans mon adolescence. Depuis mes 20 ans, je ne lis plus autant qu’avant, je passe énormément de temps à sortir et à boire (rires).

Qu’en est-il de vos influences cinématographiques ?

C’est vrai qu’au début, j’ai vu beaucoup de films populaires. Mais les films qui m’ont marqué sont ceux de la nouvelle vague taïwanaise comme ceux de Tsai Ming-Liang et Hou Hsiao Hsien. Quand j’ai vu ces films, j’ai remarqué que je me reconnaissais dans les personnages. C’est pour cela que j’ai souhaité devenir cinéaste. 

Me and doll playing

Me and Doll Playing

Est-ce que cela vous a directement inspiré pour vos réalisations, je pense à Sex/Less qui peut avoir une correspondance avec Blow Job d’Andy Warrol. 

En réalité, je n’ai pas vu le film d’Andy Warrol avant d’avoir réalisé Sex/Less. Même si j’ai entendu beaucoup d’échos en rapport avec ce film, je ne pense pas que j’ai été influencé. Je l’étais plutôt par les films asiatiques, surtout taïwanais. 

On voit dans les crédits de A Cheonggyecheon Dog que votre boîte de production se nomme Angry Inch, y-a-t-il un lien avec la comédie musicale Hedwig and the Angry Inch de John Cameron Mitchell ? 

Avec deux amis, nous avons crée collectivement Angry Inch. Nous aimions beaucoup les films comme Hedwig and the Angry Inch, Velvet Goldmine et Rocky Horror Picture Show. Par la suite, j’ai eu l’occasion de réaliser mon premier court-métrage, Me and Doll Playing, qui était déjà influencé par les films avant-gardistes américains. Pour A Cheonggyecheon Dog, je voulais réaliser le film avec un chien et j’ai pensé tout de suite à Un chien andalou de Louis Bunuel. J’ai adapté le titre pour mon film.

Hedwig and the Angry Inch

Hedwig and the Angry Inch de John Cameron Mitchell

En dehors du cinéma, vous êtes aussi journaliste et critique. Pouvez-vous nous en parler brièvement et nous dire si cela complète votre journal intime de réalisation comme un autre moyen d’expression. 

Désormais, je n’écris plus régulièrement depuis 8 ans en tant que journaliste mais toujours avec plaisir si j’ai des demandes. J’ai écrit jusqu’à mes 21 ans dans des magazines sur la politique, le féminisme et ceux qui traitent des problèmes liés à l’éducation. J’écris plutôt des essais et des critiques. J’aimais bien écrire mais c’était aussi un moyen de gagner ma vie. Une fois que j’ai commencé ma carrière cinématographique, j’ai réalisé que l’écriture et la réalisation étaient deux choses complètement différentes. Je n’aimais pas faire les deux en même temps par souci de confusion.

Dans Peace In Me, vous expérimentez le décalage du son avec l’image tandis que dans Sex/Less et un split screen, vous laissez l’imagination au spectateur, pourquoi de telles expérimentations ? 

Si vous me demandez de sélectionner mes films préférés, je citerai Sex/Less, Faceless Things et Peace in Me car j’ai fait ces trois films par intuition, sans réflexion. J’ai fait beaucoup d’expérimentations mais pour A Cheonggyecheon Dog et Stateless Things, j’ai beaucoup étudié. Ces deux films représentent le résultat de mes études. Maintenant, je suis un peu las et pour mes prochains films, je veux retourner à mes débuts avec mes désirs et mes intuitions. Pour Peace in Me, j’ai utilisé le son et l’image pour montrer que les deux sont dissociables. Par exemple, il fait beau avec un grand soleil mais dans mon cœur, j’ai le sentiment qu’il pleut. Pour Sex/Less, il n’y a pas de son dans le film. Il y a deux images à travers un split screen, l’une de surface et l’autre de l’intérieur. Je voulais laisser le choix du son au public qui pouvait amener leur propre musique  à écouter en regardant le film. J’ai essayé une fois à Taiwan et tenté la même chose au FFCP mais je n’ai pas pu contacter les organisateurs en avance.

Sex less

Sex/Less

Dans le dernier plan de Faceless Things, vous regardez la caméra avec une certaine tristesse. Pouvez-vous expliquez pourquoi ?

 Je venais de passer une nuit blanche et j’étais en effet très fatigué. Mais c’est très bien si le spectateur a ressenti de la tristesse liée à l’histoire très lourde.

Comment auditionnez-vous vos acteurs ?

Pour Faceless Things, je n’ai pas vraiment eu besoin d’acteurs professionnels, je voulais du réalisme. J’ai recruté des amis à moi qui ne sont pas vraiment des acteurs. Pour A Cheonggyecheon Dog, j’avais besoin d’un personnage dynamique qui sait maîtriser le visage et qui sait bien jouer devant la caméra. J’ai choisi cet acteur, Park Ji-Hwan, que je connais personnellement et dont j’avais pu voir jouer dans ces autres films. Pour Stateless Things, j’ai effectué des auditions parmi les adolescents qui souhaitaient devenir acteur.

Park Ji-Hwan

Park Ji-Hwan, acteur principal dans A Cheonggyecheon Dog

Comment dirigez-vous les acteurs ? Que pensent-ils des thématiques proposées ?

Mes films n’ont pas vraiment une histoire facile à lire. Je n’essaie pas de faire comprendre le récit, le concept ni les thématiques qui sont trop lourds pour mes acteurs. Je pense que cela entraverait trop leur mouvement face à la caméra s’ils comprenaient. On discute uniquement des caractères des personnages.

Lors du tournage, avez-vous un storyboard bien défini ou laissez-vous place à l’improvisation ?

Il n’y pas vraiment de storyboard détaillé. Je parle avec le cadreur et le directeur de la photo sur quelques principes. On repère les lieux auparavant mais une fois dedans, on improvise tout le temps. Une fois, j’ai essayé de faire un tournage avec un storyboard, mais c’était vraiment difficile à préparer. Si on a une grande équipe dans le cinéma populaire, on peut contrôler la situation en mobilisant par exemple la police. Mais pour la réalisation d’un film d’auteur indépendant, nous n’avons pas les moyens, donc on s’adapte en fonction des situations.

Après vos courts-métrages et la sortie du plus populaire The King and the Clown, l’homosexualité est-elle plus reconnue et acceptée en Corée du Sud ?

Je pense que la queer culture a commencé à la fin des années 80’s. C’est toujours par les films étrangers que cela passe comme ceux de Kenneth Anger. C’est grâce à ces films qu’une ouverture sur le sujet a été possible. Grâce à cela, les cinéastes coréens ont commencé à réaliser leurs propres films au début du 21ème siècle.

the king and the clown

The King and the Clown de Lee Jun-ik

Pourquoi ne jouez-vous pas dans vos films qui traitent personnellement de votre quête identitaire sexuelle ?

J’ai joué dans Me and Doll Playing mais j’étais caché (rires). Je suis quelqu’un de très timide. Je suis toujours trop nerveux devant la caméra donc je n’ai jamais pensé que je pouvais faire le métier d’acteur. J’étais obligé dans Me and Doll Playing car c’était un documentaire et je ne pouvais pas recruter d’autres acteurs. Une fois fini, je me suis dit « plus jamais ! ».

Pourquoi dans Faceless Things ?

Dans une toute petite partie du film et une seule minute à visage ouvert à la fin du film. J’ai toujours honte de me regarder faire l’acteur. C’était mon dilemme. Je raconte mon histoire mais je n’ai vraiment pas envie d’être dans la scène. Désormais, pour les mêmes raisons, je ne veux plus raconter mon histoire.

Vos films font office de journal intime, et l’on s’attendrait donc à les voir réalistes. Néanmoins, vous optez pour une fissure imaginaire dans le récit, particulièrement dans A Cheonggyecheon Dog et Stateless Things. Pourquoi ?

On est tous un acteur social. Les problèmes que j’avais sont de réels problèmes actuels identitaires. Pour les résoudre, j’ai  eu des troubles à l’intérieur qui ne sont pas la réalité. Ce sont des sentiments que je ne peux pas expliquer par du réalisme. Il y a toujours une interaction avec le réalisme et le fantasme. Je veux montrer ces deux oppositions et les lier à travers mes films.

faceless-things-2

Faceless Things

Comment financez-vous vos projets ?

Jusqu’à maintenant j’ai toujours eu les fonds par le gouvernement ou bien les par les ONG.

En Corée du Sud, vos films sont projetés lors de festivals, seul Stateless Things a bénéficié d’une sortie nationale en salles mais censurée. Avez-vous eu des retours de la population locale sur ce film ?

Mon long métrage a atteint 4 000 entrées, ce qui est déjà beaucoup pour moi. Le fait que le film soit censuré (une scène montrant le sexe de l’homme) a été la rumeur qui a attiré les spectateurs pour voir mon film. Le problème de la censure en Corée du Sud, c’est que le gouvernement contrôle le contenu des films avant leur sortie en salles. Stateless Things a eu un degré extrême de censure. Pour palier à cette censure, j’ai dû masquer à l’image le sexe. Avant que le film sorte, il a engendré une grande promotion autour de la scène censurée. Il y a des gens pour et des gens contre. Même pour les critiques, il y avait des extrêmes au niveau de la notation. Le film a été présenté à Venise en 2011, c’est difficile de parler de l’accueil du film. Les gens qui ne l’aiment pas ne le disent pas devant moi. Venise est un grand festival et c’est une coutume d’avoir des appaudissements après la projection. C’était pour moi très touchant, j’en garde de bons souvenirs.

Stateless-Things

Stateless Things

Je crois que vous ne regardez jamais vos films une seconde fois, est-ce qu’un jour vous souhaiteriez revoir vos films chronologiquement pour constater l’évolution de votre cinématographie et de votre thérapie personnel ?

Je le prends comme une proposition. Pourquoi pas dans dix mais aujourd’hui je ne peux pas (rires).

Vous avez deux nouveaux projets, pouvez-vous nous en parler ?

Je viens de finir mon documentaire sur la prostitution qui se passe dans un quartier de Séoul, Young Deung Po. Le gouvernement et la ville de Séoul veulent détruire ce quartier mais ce n’est pas facile. Il y a des conflits des deux côtés. Je dois maintenant opérer le montage du film. Cette année, j’ai un projet de long métrage dans un supermarché. Il faut que je rédige un scénario.

De quel cinéaste coréen vous rapprochez-vous le plus et pourquoi ?

Je ne sais pas au niveau de l’influence mais mes réalisateurs coréens préférés sont Im Kwon-taek et Hong Sang-soo car chaque fois à leur nouveau film, ils me surprennent. Ce sont des cinéastes extraordinaires. Je voulais travailler dans l’équipe de Hong Sang-soo, mais il  a refusé poliment en répondant que j’étais déjà réalisateur.

Connaissez-vous les frères Kim (Gok et Sun) qui font également du cinéma expérimental et dont Solution est projeté au Black Movie ?

Ce sont mes préférés, je les connais en personne. J’ai vu Solution, très drôle !

Vive l'amour

Vive l’amour de Tsai Ming-Liang

Nous demandons à chaque réalisateur que nous rencontrons de nous parler d’une scène d’un film qui les a particulièrement touché, fasciné, marqué et de nous la décrire en nous expliquant pourquoi.

Pouvez-vous nous parler de ce qui serait votre moment de cinéma ?

La dernière scène de Vive l’amour de Tsai Ming-Liang est très choquante. Avant cette scène,  j’aimais déjà beaucoup le cinéma mais après je l’ai adoré. Un autre moment fort était pendant mon film A Cheonggyecheon Dog où j’avais utilisé tout le budget mais il restait encore des scènes à tourner. J’ai arrêté la production pendant deux semaines pour emprunter de l’argent. Après ces deux semaines, toute l’équipe est revenue pour finir le tournage gratuitement.

Un dernier mot pour nos lecteurs ?

Je vous aime ! (en français)

Traduction : Park Eunhee.

Propos recueillis à Genève lors du Black Movie le 23/01/2013 par Julien Thialon. Photos, vidéo et retranscription par Julien Thialon.

Stateless Things de Kim Kyung-mook. Corée.  

Dance Town de Jeon Kyu-hwan. Corée. 2010.

À découvrir le 29/09/ 2015 à 16h30 et le 01/10/2015 à 18h30 au Forum des Images, dans le cadre du cycle Séoul Hypnotique. Plus d’information et reservation ici. 

Le lien vers notre critique de Stateless Things ici !

Imprimer


Laissez un commentaire


*