Critique Preview – Black Coal de Diao Yinan : Chine, terre hostile

Posté le 15 avril 2014 par

Auréolé d’un triomphe au dernier festival de Berlin, Black Coal frappe fort, avec une mise en scène précise et percutante.

Ecrire Black Coal a été une épreuve pour Diao Yinan qui a passé huit années à développer son scénario. Sept ans après son dernier film (Train de nuit) et plusieurs transformations, le script a pris la forme que l’on connaît aujourd’hui : Un homme, flic déchu, se remet sur la trace d’un tueur, d’une affaire remontant à dix ans.

Le récit prend place dans la Chine du passé, entre 1999 et 2004, comme si Diao Yinan voulait prendre ses distances pour mieux parler de l’état de son pays actuellement. Le procédé sert également le genre auquel s’attaque le cinéaste, à savoir le film noir. Ce qui peut être vu comme un moyen de contourner la censure, reste un élément particulièrement réussi du long métrage : il respecte parfaitement le cahier des charges d’un genre totalement américain. Le flic alcoolique qui perd son boulot après une douloureuse affaire, la veuve éplorée qui cache beaucoup de choses et une ambiance inquiétante, jouant de la pénombre et d’une géographie assez particulière.

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L’histoire prend place dans une ville minière envahit par une vague de froid éreintante. Les sols sont gelés, les gens glissent en permanence, le monde semble plonger dans une torpeur effrayante. Tellement que les visages sont figés, les rires se font rares, chaque habitant se regardent en chien de faïence. Il ne fait pas bon d’y vivre, dans cette ville chinoise qui semble oubliée des dieux. Diao Yinan dresse un portrait plutôt effrayant d’une société qui paradoxalement s’effrite à mesure qu’elle se développe. Dans l’univers du cinéaste, on laisse peu de place aux émotions, comme si elle ne servait aucun but, qu’on perdait toute productivité à ressentir. Une des scènes les plus éloquentes à ce sujet reste celle où la jeune femme pleure la mort de son mari et que les policiers font preuve d’une dureté incroyable. D’amour, il n’est pas non plus question. Les rapports sont souvent glaciaux, violents ou intéressés. Plus globalement, toute cette ville se transforme en zone de non droit, un coupe gorge, dans lequel on peut perdre la vie pour la moindre seconde d’inattention, se faire dévaliser alors qu’on git endormi dans un froid polaire. La violence au quotidien fatigue les personnages qui s’embourbent tous dans une vie lassante, sans véritable but et de raison d’aller plus loin. Que ce soit au sein de l’administration ou dans un simple salon de coiffure, les gens évoluent en victimes, partout tout le temps. De cette forêt de béton jaillit la folie, en permanence. De cette urbanité, presque monstrueuse, fait ressortir les instincts primaires de tous. Même les divertissements n’existent qu’artificiellement, on patine sur la glace ensemble, dans une chorégraphie robotique, qui semble surjouée.

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On le comprend bien vite, Diao Yinan s’intéresse plus à la société chinoise et à son évolution plutôt qu’à une intrigue un peu nébuleuse par moment. On a du mal à se rattacher à cette histoire de meurtre, même si tout ce qui concerne la relation ambiguë entre le policier et la jeune veuve, classique du film noir abordé ici de la façon la plus classique. Il y a la rencontre, la fascination grandissante du policier pour une femme qu’il sait loin d’être innocente… Diao Yinan déploie toutes les ficelles du film noir. Bel acte de résistance que d’aborder un genre totalement américain pour parler de la Chine. La filiation avec A Touch Of Sin de Jia Zhang-Ke apparaît évidente tant les deux films partagent les mêmes préoccupations. La Chine s’embourbe dans un capitalisme sauvage, toujours plus urbain, toujours plus inhumain. Deux genres, le wu xia et le film noir, pour des films sociaux intelligents, forts et pertinents. Les deux films ont aussi en commun un sens certain de l’absurde, un humour à froid dérangeant et pourtant très efficace. Et bien sûr, il y a cette mise en scène impressionnante.

Diao Yinan, malgré la torpeur de son univers, garde sa caméra en mouvement, déploie des trésors d’ingéniosité dans la construction de ses plans (notamment une brillante ellipse) et appuie son propos par l’image comme le faisait avec talent Jia Zhang-Ke. En dépit d’une intrigue quelque peu flottante, Black Coal se révèle comme une douloureuse peinture sociétale mêlé d’un impressionnant moment de mise en scène.

Jérémy Coifman.

Black Coal de Diao Yinan, en salles le 11 juin 2014.

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